L’achat du mouton pour la fête de Tabaski n’est pas qu’une affaire d’hommes. Les femmes mettent également la main à la poche pour sacrifier au rituel de l’immolation du bélier. Entre recommandation divine et devoir familial, elles casquent cher pour faire le bonheur des leurs.
Réalisé par Arame NDIAYE
Le point de vente de moutons du stade Léopold Sedar Senghor ne désemplit pas. Á moins de dix jours de la fête, les vendeurs sont déjà installés et n’attendent que de potentiels acheteurs. C’est le cas de Mabousso Kébé. Le vendeur s’occupe de l’aliment de ses bêtes. En ce début de journée, il n’a pas encore de clients. Mais il compte sur ses habitués y compris des femmes. « Chaque année, j’ai au moins une dizaine de clientes. Elles achètent le plus souvent, deux jours avant la Tabaski », avoue-t-il. Dans la vente depuis six ans, ce dernier soutient que toute personne en a les moyens doit s’acquitter de l’achat du mouton.
Seynabou Fall achète un bélier pour la fête depuis bientôt cinq ans. Cette année, l’entrepreneure ne fait pas exception. « J’ai déjà acheté un mouton. C’est indispensable pour moi », confie-t-elle. Une façon pour la jeune femme de perpétuer ce « geste symbolique » dans la pratique de la religion. Mais c’est aussi une manière de marcher sur les traces de son père. « Il le faisait mais il est décédé. C’est une fierté pour moi de prendre la relève », avoue-t-elle d’un brin nostalgique.
« Je gagne un peu d’argent et j’estime que c’est plus important que de verser dans la gabegie », soutient Ndèye Fatou Tall. La trentenaire a donc décidé d’acheter un mouton pour la première fois. Ce geste est surtout une occasion pour elle de faire plaisir à sa mère en lui achetant un mouton. Khady Thiam compte également se procurer un bélier pour sa maman et un autre pour elle indépendamment de celui de son mari. Un choix que Khady justifie aisément. « C’est une recommandation divine dont je dois m’acquitter car j’en ai les moyens », explique la commerçante.
Au-delà de l’achat, une recommandation divine
Rama Thiam achète un mouton depuis l’âge de 24 ans. « Je peux dire que mon premier mouton a été une fierté car cela voulait dire que j’étais une responsable désormais et depuis lors j’ai continué », fait savoir cette dernière. Aujourd’hui, âgée de 37 ans, la juriste continue de le faire pour une raison bien précise. « Mes parents m’ont toujours dit que c’est un devoir pour tout musulman ayant des ressources toute l’année de sacrifier un mouton pour la Tabaski », explique-t-elle.
« Le mouton de la Tabaski représente une reconnaissance envers Dieu qui pourvoie à mes besoins. C’est une chose que j’accomplis avec fierté », soutient Bintou Lo. L’assistante de direction voit également cela comme une recommandation divine qu’elle accomplit depuis 2018. C’est également le cas d’Aminata Sy qui déclare sacrifier au rituel de l’immolation du mouton pour la sunna. La quadragénaire le s’y plie depuis cinq ans. « C’est une copine très pieuse qui m’avait poussé à acheter un mouton. Depuis lors, je le fais chaque année », reconnait-elle.
Awa Fall est fonctionnaire dans l’administration. Depuis dix ans, la femme de 37 ans achète un mouton. Chaque fête de Tabaski, elle sacrifie un bélier qu’elle distribue aux nécessiteux. « C’est très important de partager avec les plus démunis. C’est aussi un moment de partage », estime-t-elle.
Un mouton, mille sourires
La vie et ses turpitudes peuvent pousser certaines femmes à devoir assurer le rôle de cheffe de famille et les responsabilités qui vont avec ce statut. Adji Nogaye Gadio et Maty Diop sont divorcées. Chaque année, elles prennent le mouton par les cornes afin de sacrifier au rituel de l’achat du bélier. « Cela fait 3 ans que je le fais pour mes enfants », avoue Adji Nogaye Gadio. La femme de 36 ans affirme que c’est une façon de faire le bonheur de ses chérubins. Maty Diop confie aussi acheter un mouton pour « satisfaire » ses bambins. L’entrepreneure a déjà un bélier pour cette fête. « Je prévois cela car c’est l’achat le plus important. Le bonheur de mes enfants n’a pas de prix », déclare la quadragénaire.
« J’ai acheté un mouton pour la première fois avec mes économies soit 40.000 FCfa. Quand j’ai vu la lueur de fierté dans les yeux de mes parents, je me suis promis de ne jamais arrêter », se remémore Astou Diouf. Depuis 2010, la femme de 39 ans perpétue « cette tradition ». Derrière le vœu de faire le plaisir des siens, la jeune femme confie avoir pris exemple sur sa mère. « Elle faisait tout pour avoir son bélier », renseigne-t-elle. Astou Diouf dit suivre ses pas et estime que c’est un devoir pour tout musulman homme comme femme.
MAKHTAR NDIAYE, IMAM
« L’achat du mouton concerne tout musulman qui en a les moyens »
La fête du sacrifice est un acte de sunna fortement recommandé par la législation islamique pour celui qui est capable de l’accomplir selon Imam Makhtar Ndiaye. « L’achat du mouton concerne tout musulman qui en a les moyens », explique-t-il. Par conséquent, la femme qui dispose de moyens ou qui est salariée peut bel et bien faire le sacrifice. C’est une sunna obligatoire. « Le sacrifice lui servira de monture à la traversée du pont nommé Sirat au jour dernier », informe-t-il.
DR SOULEYMANE LO, SOCIOLOGUE
« Il n’est point étrange qu’une femme, qui a en les moyens, puisse répondre à ce sacrifice »
La Tabaski est un rituel sacrificiel relevant de la sunna pour tous quel que soit le statut de la personne au sein de la société. Ainsi, qu’on soit célibataire, marié, veuf, veuve, divorcé, jeune ou vieux, ce sacrifice est un devoir auquel, dans la mesure du possible, chaque membre d’une famille est assujetti lorsque les autres sont ou pas dans l’impossibilité de le faire. « Il n’est point étrange qu’une femme puisse répondre à ce sacrifice dès l’instant qu’elle en a les moyens », affirme l’enseignant-chercheur à l’École supérieure d’économie appliquée, Dr Souleymane Lo.
Aujourd’hui, compte tenu des situations conjoncturelles et de l’émancipation de la femme qui la place et la hisse au sommet des hiérarchies sociales où de plus en plus elle gagne dignement sa place au milieu des hommes, cette dernière à tendance à prendre sa revanche sur l’homme longtemps favorisé par la division sexuelle du travail en assumant sciemment nombres responsabilités qui ne lui étaient dévouées dans la société d’après le sociologue. « Ce format de sacrifice, au-delà du rituel, est révélateur à la fois de la volonté de recherche d’égalité à l’homme et de domination des autres », renchérit Dr Souleymane Lo. En outre, selon ses explications, les femmes deviennent de plus en plus cheffes de famille soit après l’épreuve d’un mariage avorté pendant lequel elles s’habituaient au sacrifice du mouton par leurs maris, soit à l’issue de la disparition de leurs époux. Dans ces circonstances, les femmes sénégalaises en situation de veuvage, de divorce et ou d’abandon marital, parce que pleines de leur dignité et conscientes des conséquences sociales et psychologiques sur leurs progénitures ne ménagent aucun effort pour obtenir un mouton à sacrifier le jour de la Tabaski.