Malgré son rôle déterminant dans une œuvre musicale, le parolier a tendance à disparaître, aujourd’hui, pour laisser place au chanteur et aux musiciens. De plus en plus, les jeunes artistes négligent l’apport des auteurs et choisissent eux-mêmes d’écrire leurs chansons. Si cette démarche est jugée « incohérente », elle n’est pas aussi sans conséquence sur la qualité du produit musical.
Réalisé Par LE SOLEIL
Souleymane Faye, Thione Seck, Youssou Ndour, Omar Pène ou encore Ismaël Lô… l’histoire de la musique contemporaine sénégalaise, c’est aussi celle de chanteurs talentueux dont les textes portent l’empreinte d’excellents paroliers. La justesse des propos dans certaines de leurs chansons fait qu’elles ont traversé presque toutes les générations. Certains refrains de leurs tubes sont encore logés dans un coin de la mémoire. Ces chanteurs, en tout cas la plupart, ont toujours exprimé le besoin de faire recours à des paroliers pour composer les textes de leurs chants. Et grâce à ceux-ci, la beauté de leurs œuvres a fini de leur assurer une immortalité dans le temps de l’éternité.
Dans la musique comme dans n’importe quelle œuvre artistique, l’originalité est un critère fondamental. L’artiste est ainsi appelé à prendre soin des mots qu’il utilise et à être au carrefour linguistique et esthétique.
Cependant, au regard d’une partie de la composition musicale actuelle, le constat est tout autre : peu d’artistes font actuellement appel à des paroliers. Cette situation menace désormais le métier du parolier dans le champ musical national. « Fondamentalement, le métier a tendance à disparaître parce que les paroliers ne sont pas sollicités par les jeunes artistes. En plus, nous n’avons pas de jeunes paroliers », fait comprendre Alioune Diop, journaliste culturel à Radio Sénégal internationale (Rsi). Pourtant, poursuit-il, il existe d’excellents paroliers à l’image de Birame Ndeck Ndiaye, Kabou Gueye mais aussi certains artistes comme Ismaël Lô, Youssou Ndour. Malgré le fait d’exercer un « métier de l’ombre », les paroliers ont été toutefois à l’origine de grandes chansons qui ont marqué les époques. « S’il y a un corps de métier qui n’a pas bénéficié concrètement de l’aspect économique de la scène musicale au Sénégal, c’est bien celui de parolier », regrette M. Diop.
IMPACT SUR LA QUALITÉ DES ŒUVRES MUSICALES
Aujourd’hui, la décision de certains artistes, notamment les jeunes, de tourner le dos aux auteurs n’est pas sans conséquence. Elle a fini d’influer sur la qualité des œuvres musicales qui inondent le marché. Certains, comme le souligne le parolier Birame Ndeck Ndiaye, font de la musique pour danser, alors que cette expression artistique est aussi destinée à ceux qui ne dansent pas ou ne savent pas danser.
Ce faisant, en dépit d’une profusion de productions musicales, certains observateurs de la scène de la musique restent sur leur faim. « Le parolier réfléchit autour du thème et pour ensuite essayer de le mettre forme. Il s’agit souvent des thèmes qui relatent des faits sociaux, c’est-à-dire des aspects bénéfiques pour les populations. Malheureusement, aujourd’hui, il y a beaucoup de sentimental dans la musique. Il y a trop d’amour », explique le journaliste culturel. Selon lui, sur 100 chansons, peut-être 90 sont dédiées à l’amour.
Si dans la musique Mbalax, les textes font débat, dans le milieu du hip-hop, les artistes sont réputés être d’excellents paroliers. Des architectes de mots très engagés pour dénoncer les maux de la société et ainsi faire jaillir une certaine conscience citoyenne. Les textes dans la musique rap sont ciselés et les thématiques dégagées pour évoquer, au-delà de l’aspect ludique, des questions d’intérêt public. Cette démarche replace l’artiste au cœur de la société en tant que porte-parole légitime de la bonne cause. « Les véritables guerriers qui se sont efforcés d’être de bons paroliers, ce sont les jeunes rappeurs. Leurs textes font mouche », soutient Alioune Diop. Ce dernier exhorte les artistes à se rapprocher des paroliers après avoir écrit, pour au moins que cela puisse apparaître dans le crédit des albums.
Producteur et manager de nombreux artistes, Guissé Pène a écrit également des textes pour beaucoup de chanteurs. De son point de vue, il s’agit d’un métier « extrêmement difficile » au Sénégal. Dans la musique, défend celui qui a écrit des textes pour Baaba Maal, Ouza ou le rappeur Alex, il est pourtant nécessaire, car il s’agit d’une division de plusieurs maillons pour faire une chaine. « Il y a ceux qui savent jouer de la musique, ceux qui font la promotion, les managers et les paroliers. Les exigences dans la musique africaine font qu’il faut beaucoup privilégier la parole. Dans la musique, on écoute beaucoup plus les paroles que la musique », explique-t-il.
PROBLÈME D’IDENTITÉ
Pour preuve, il cite des artistes comme Thione Seck, Ismaël Lo, Omar Pène, Pape et Cheikh… Ces artistes sont connus à travers des textes dont le contenu a marqué les esprits. Ainsi, poursuit-il, dans le contenu « Yatal Guew bi » et « Gorgui » de Pape et Cheikh avaient fait tabac à l’époque pour vanter l’alternance politique et le bilan du Président Wade ; « Beyrouth » d’Omar Pène avait atterri aux Nations unies et contribué à la résolution de la crise au Liban.
Si les ténors de la musique sénégalaise ont montré la voie en faisant appel à des auteurs comme Birame Ndeck Ndiaye et Cheikh Ndiaye, qui a beaucoup écrit pour Fallou Dieng, Alioune Mbaye Nder, aujourd’hui, le texte souffre de son interprétation. Les jeunes artistes, informe l’acteur culturel Guissé Pène, mettent davantage l’accent sur la thématique de l’amour. « Les jeunes sont extrêmement pressés. La musique, dans sa globalité, pose actuellement le problème de l’identité… Nous devons savoir que le Sénégal est un pays multiculturel et multiethnique. Il y a donc assez de choses à dire et à écrire afin de donner une vraie identité à la musique sénégalaise », avance-t-il.
Dans ce désordre musical, « les jeunes artistes ne savent pas qu’il n’existe pas d’autres alternatives que de s’appuyer sur des textes pour être cohérent ». Guissé Pène regrette les nombreuses chansons à travers lesquelles les artistes passent du coq à l’âne. « Il n’y a pas de cohérence parce que le texte est un corps et quand on n’a pas quelqu’un qui sait écrire, cela pose problème. Il faut aller vers les paroliers afin qu’il y ait au moins une cohérence dans les écrits », estime-t-il. Dans l’histoire de la musique moderne du pays, Guissé Pène juge que les meilleures chansons sont celles écrites par les paroliers.
Si les paroliers continuent d’évoluer dans l’ombre du champ musical, ils gardent néanmoins leur place. Pour le manager d’artiste, il ne s’agit pas d’un manque de considération, mais plutôt une sorte d’ignorance. À ses yeux, le métier du parolier ne peut pas disparaître. « Il arrive un moment où les gosses sont bloqués parce qu’il y a beaucoup de textes qu’on rectifie quand on les écoute même en studio…en essayant d’y mettre la cohérence », souligne Guissé Pène.
D’ailleurs, pour compenser le vide laissé par la musique, les paroliers font des collaborations dans d’autres secteurs. « Il y a d’autres portes qui nous sont ouvertes et que nous exploitons. Nous collaborons avec des acteurs du cinéma, des chanteurs religieux, mais aussi tous ceux qui s’expriment par la parole », laisse-t-il entendre.
Le métier du parolier requiert certaines prédispositions naturelles. Pour être un bon parolier, indique le journaliste Alioune Diop, il faut des qualités intellectuelles, une maîtrise de la langue. En outre, rappelle l’acteur culturel Guissé Pène, « il faut une bonne compréhension de sa société, de la vie », pour magnifier ce qui est intéressant et dénoncer les mauvaises pratiques.
Un travail pourtant assez bien rémunéré
Selon Guissé Pène, avant la Société sénégalaise des droits d’auteur et droits voisins (Sodav), les auteurs (paroliers) « encaissaient » leur dû au Bureau sénégalais des droits d’auteur. Aujourd’hui encore, la répartition se fait entre les auteurs, les arrangeurs et les compositeurs. Cheffe du Département juridique et des affaires internationales de la Sodav, Jacqueline Ndiaye explique que sur une œuvre musicale, il y a trois catégories d’ayants droit : l’auteur (parolier), le compositeur et l’arrangeur. Ce faisant, considéré comme un ayant droit, le parolier, ajoute-t-elle, a habituellement une grosse part, sauf si c’est négocié entre les différents intervenants. Selon elle, l’auteur touche souvent 50% sur l’œuvre musicale. Le compositeur et l’arrangeur se partagent le reste avec 25% chacun. De son côté, Daniel Gomes, président de l’Association des métiers de la musique (Ams), renseigne que la rémunération dépend généralement des accords contractuels entre les auteurs et les artistes, ainsi que des pratiques de l’industrie. « Leur rémunération par le biais de la Sodav, s’ils en sont membres, dépend également des modalités prévues dans les contrats et accords entre les auteurs et les artistes. Elle collecte les redevances provenant de différentes sources telles que les diffusions radio, les représentations publiques, les ventes de supports physiques ou numériques, etc. Lorsqu’une chanson est diffusée ou utilisée publiquement, la Sodav perçoit les redevances correspondantes et les répartit ensuite entre les différents titulaires de droits, y compris les paroliers », informe-t-il.
En outre, relève M. Gomes, les modalités précises de rémunération et de répartition des droits peuvent varier en fonction des accords individuels et des pratiques spécifiques de l’industrie musicale au Sénégal. « Il est important pour les paroliers de comprendre et de négocier leurs droits contractuels avec les artistes, les maisons de production et les sociétés de gestion collective comme la Sodav pour garantir une rémunération équitable. Nous encourageons une transparence accrue dans la répartition des droits d’auteur et un système de rémunération équitable pour les paroliers », ajoute le président de l’Ams. I. BA
DANIEL GOMES, PRESIDENT DE L’ASSOCIATION DES MÉTIERS DE LA MUSIQUE AU SÉNÉGAL
« La contribution des auteurs est fondamentale »
Contrairement à l’idée de certains observateurs, la baisse de l’utilisation des services des paroliers ne signifie pas, selon le président l’Association des métiers de la musique au Sénégal (Ams), une baisse de la qualité de la musique. Daniel Gomes rappelle toutefois que la contribution des auteurs, notamment les paroliers, « est fondamentale ».
Quelle est la place des paroliers dans la musique sénégalaise ?
Les auteurs, notamment les paroliers, occupent une place essentielle dans la musique sénégalaise. Ils sont les architectes des paroles qui transmettent des messages, des émotions et des histoires, à travers nos chansons. Leur contribution est fondamentale pour la création artistique.
Les artistes font de moins en moins appel aux paroliers. L’absence de ces derniers dans les œuvres musicales peut-elle influer sur la qualité du produit ?
Il est vrai que nous observons une réduction de l’utilisation des services des paroliers ces derniers temps. Cependant, cela ne signifie pas nécessairement une baisse de la qualité de la musique. Les artistes ont différentes approches créatives, et certains préfèrent écrire leurs propres paroles. Cela peut également être influencé par des facteurs économiques ou des tendances artistiques. Néanmoins, nous encourageons la collaboration entre auteurs et artistes, car elle peut enrichir la diversité musicale et créer de nouvelles opportunités pour les paroliers. Ils jouent un rôle crucial dans l’industrie musicale sénégalaise. Leurs paroles donnent un sens profond aux compositions musicales et permettent de connecter les artistes avec leur public.
Que faut-il présentement pour revaloriser le métier de parolier ?
Afin de valoriser le métier du parolier et de reconnaître son rôle essentiel, plusieurs mesures peuvent être prises. Tout d’abord, il est important de sensibiliser le public, les artistes et l’industrie musicale sur l’importance des paroliers. Les plateformes de diffusion musicale peuvent également jouer un rôle en mettant en avant les crédits des paroliers sur les chansons. Par ailleurs, il est crucial de renforcer les droits d’auteur et de promouvoir des contrats équilibrés pour assurer une rémunération adéquate aux paroliers. Enfin, des initiatives telles que des ateliers d’écriture ou des concours de composition peuvent encourager l’émergence de nouveaux talents et contribuer à la reconnaissance du métier de parolier.