Au lendemain des émeutes qui avaient secoué le Sénégal en mars 2021, nous avions prévenu de leur retour très probable du fait d’absence de réponses données à leurs causes profondes.
Nous n’avons ensuite cessé de les rappeler, invitant Macky Sall et son Gouvernement à davantage
de lucidité lorsque la réponse qu’ils avaient trouvée consistait à suréquiper les forces de l’ordre
parce que mettant la gravité des troubles survenus sur le compte d’une insuffisance d’équipements
des forces de l’ordre et de stocks de grenades lacrymogènes.
Pourtant les causes de ces émeutes, celles de la semaine dernière dont la braise n’est pas
définitivement éteinte et qui risquent fort de se reproduire, sont toujours présentes.
Quelles sont-elles ?
Commençons par alerter qu’il ne faut surtout pas demeurer dans la confusion entre l’étincelle et les
combustibles. Et dans le cas de notre pays il s’agit de plusieurs combustibles formant un cocktail
détonant.
Pourtant les causes de ces émeutes, celles de la semaine dernière dont la braise n’est pas
définitivement éteinte et qui risquent fort de se reproduire, sont toujours présentes.
Quelles sont-elles ?
Commençons par alerter qu’il ne faut surtout pas demeurer dans la confusion entre l’étincelle et les
combustibles. Et dans le cas de notre pays il s’agit de plusieurs combustibles formant un cocktail
détonant.
Citons d’abord l’absence de croissance partagée, car, même si elle existe selon les affirmations des
statisticiens de Macky Sall, force est de reconnaître que la majorité de la population vit, depuis au
moins dix années, dans une misère grandissante et qui s’est accélérée avec la Covid 2019 et les
conséquences de la guerre en Ukraine.
L’agriculture a été délaissée, la production d’arachide fournissant le principal revenu monétaire des
paysans s’est effondrée ; la pêche artisanale s’est affaissée ; tous les citoyens se plaignent de leur
inaccessibilité aux soins de santé et de leur coût trop élevé ; l’inflation des prix à la consommation
n’a jamais été aussi élevée, ceux du carburant et de l’électricité plombent la compétitivité de
l’économie ; les prix du carburant, de l’électricité et des loyers sont parmi les plus élevés de toute
l’Afrique ; Dakar est classée parmi les villes les plus chères du monde ; la formation et l’éducation
sont malades ; la création d’emplois est notoirement insuffisante.
L’État fait désormais face aux murs d’un déficit budgétaire porté à un niveau jamais atteint et à une
capacité d’endettement devenue inexistante ; ses marges de manœuvre n’existent plus.
Les seules portes permettant à l’État d’être assisté sont celles du FMI. Les conditions posées par
cette institution sont celles d’un recul des subventions au bénéfice de populations déjà en
souffrance et d’une priorité à donner au service de la dette extérieure aux dépens de la commande
publique qui pourrait être interne pour relancer l’offre nationale.
Telles sont les conséquences d’une mal gouvernance qui nous conduisent à affirmer depuis deux
années que les Sénégalais sont non seulement fatigués mais le seront de plus en plus.
Telles sont les raisons des pillages qui à chaque émeute privilégient les magasins de vivres comme
cibles.
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La seconde cause est l’absence de perspectives d’amélioration à court ou à moyen terme pour les
populations sénégalaises qui souffrent. Cette cause est la source de graves tourments avoués par
des parents désemparés lors de mes tournées à travers le pays. Eux-mêmes sont sans revenus
significatifs. Ils ont en outre conscience que seul le chômage de longue durée est l’avenir de leurs
enfants. Aussi en viennent-ils souvent à rassembler leurs maigres économies pour permettre à ces
derniers d’affronter la mort sur les océans vers un eldorado hypothétique : ce n’est pas de
l’aventure, c’est du désespoir.
La politique économique mise en œuvre par Macky Sall ne brille que par tous ces scandales
financiers qui éclatent régulièrement, et ces politiciens devenus milliardaires en de très courtes
années.
L’espoir que pouvait représenter le pétrole et le gaz a été définitivement détruit par le scandale
Petrotim révélateur de ce que sera la suite de l’exploitation des hydrocarbures de notre Nation.
A la misère s’ajoute donc le manque d’espoir allant jusqu’au désespoir qui ne refuse pas la mort en
océan ou tout simplement la mort comme solution.
Puis vient l’étincelle responsable de l’embrasement. Au Sénégal elle est faite de causes multiples
alliant recul démocratique et injustices de toutes sortes.
Depuis qu’il a constaté qu’il était devenu minoritaire au niveau national lors des élections
législatives de 2017, Macky Sall n’a cessé de mettre en œuvre plusieurs procédés avec pour seule
logique le souci de durer le plus longtemps au pouvoir afin de mettre en œuvre sa gouvernance
d’accaparement et d’échec.
Alors que le Sénégal est supposé être une démocratie représentative, la première injustice est celle
d’une minorité représentant 49,47% des suffrages exprimés lors des élections législatives de 2017
qui détint une majorité de 75,78% des sièges à l’Assemblée nationale grâce à un système d’élection
inique. Elle lui a permis de faire passer les réformes allant dans le sens de son projet que j’ai qualifié
plus d’une fois de « soft dictature ».
Nul n’ignore, au moins depuis Montesquieu, qu’« Il n'y a point de plus cruelle tyrannie que celle que
l'on exerce à l'ombre des lois et avec les couleurs de la justice ».
Cette majorité automatique a permis de préparer sa victoire à l’élection présidentielle de 2019 par
le choix des candidats qui se sont présentés face à lui.
Ainsi, en 2018, le Code électoral consensuel de 1992 a été modifié sur sa seule décision pour
introduire un système de parrainage inapplicable, condamné par la Cour de Justice de la CEDEAO, et
donc devenu illégal. La CJ CEDEAO lui a enjoint de le supprimer au plus tard le 25 octobre 2021. Il
n’en a rien fait. Le parrainage est toujours en vigueur. Il permet d’éliminer des candidats au bon gré
des contrôleurs des parrainages.
Par la même réforme du Code électoral consensuel de 1992, alors que les auditeurs extérieurs
(Union européenne et auditeurs dans le cadre d’un projet financé par l’USAID) et la classe politique
nationale demandaient la suppression des articles prévoyant la perte automatique des droits
d’électeur en cas de condamnation pénale mineure pour laisser cette prérogative à une décision
judiciaire, il a rendu automatique la perte des droits d’éligibilité en même temps que ceux de vote.
Les décisions de justice ont donc servi à éliminer des candidats, et serviront à en éliminer d’autres.
Quelques cas de mise en œuvre de cette stratégie ont suffi à rompre toute confiance du peuple en
sa justice.
L’injustice c’est également une justice à deux vitesses car seuls les opposants sont poursuivis et les
poursuites cessent lorsque l’opposant rejoint son camp.
L’injustice ce sont aussi ces milliardaires qui fleurissent en génération spontanée, tous ces scandales
de détournements de deniers publics sans que jamais il n’y ait de coupables, ce sont ces dossiers
déclarés conservés sous le coude du Président de la République par celui qui doit faire respecter la
loi, c’est l’inégalité face à l’emploi par la fonction publique, c’est la grosse activité de prédation de 3
terres, ce sont les interdictions de manifestations pacifiques, c’est l’impossibilité organisée de
pouvoir disposer de salles de réunions lorsque l’on est parti politique d’opposition, etc…
L’injustice c’est surtout des enquêtes restées sans suite lorsque 14 morts sont comptabilisées à la
suite des manifestations de février-mars 2021.
Quelles sont les solutions pour sortir de la situation de blocage dans laquelle la gouvernance de
Macky Sall a conduit le Sénégal ?
Nous redisons qu’il faut avoir une claire conscience que les solutions pour sortir les Sénégalais de la
misère aggravée dans laquelle Macky Sall les a plongés ne peuvent produire d’effets à brève
échéance. Bien au contraire, il faudra convaincre chaque citoyen d’un temps de correction, de
redressement et d’ajustement structurel nécessaire.
La seule réponse immédiate possible pour conduire à la baisse des tensions doit donc être politique
et d’espoir.
Macky Sall a réformé notre Constitution 5 fois en 10 ans. Il lui a montré bien peu de considération.
Il doit aujourd’hui changer d’attitude et lui montrer le maximum de respect au regard des
circonstances. A défaut de pouvoir préciser laquelle de ses 5 réformes a été engagée pour lui
permettre de briguer un 3 ème mandat, il doit confirmer au plus vite qu’il ne sera pas candidat en
2024. Il doit, ce faisant, faire preuve de respect à l’endroit du Peuple sénégalais qui n’est pas un
ramassis d’ignares.
Il doit prendre conscience de la nécessité de laisser l’administration organiser des élections
inclusives, libres et transparentes en 2024. Cela passe par une réforme du Code électoral consistant
en grande partie à revenir à ce qu’il était avant les réformes qu’il a introduites et la prise en compte
de demandes émanant aussi bien des dialogues politiques tenus et des recommandations des
auditeurs externes de notre processus électoral (USAID et UE). Les articles L29 et L30 doivent être
supprimés et remplacés par une rédaction laissant au juge le soin de décider de la perte des droits
de vote et d’éligibilité tel que prévu par l’article 34 de notre Code pénal. L’article L57 doit
également revenir à sa mouture initiale.
Dès lors l’élection de 2024 deviendra inclusive. Elle devra évidemment être transparente pour ne
pas être contestée.
Comme autrefois, le droit de vote du citoyen doit redevenir la règle. La liberté de s’abstenir de
voter selon l’élection et son libre choix doit être respectée. Le statut de « non électeur » introduit
par Macky Sall comme privation systématique du droit de voter doit être supprimé.
Comme mesures d’apaisement Les nombreuses personnes arrêtées, notamment lorsque de très
jeune âge, sans aucune relation avec des projets insurrectionnels, doivent être immédiatement
libérées comme mesures d’apaisement.
Le dernier acte qui a mis le feu la semaine dernière est celui dirigé contre Ousmane Sonko, dernière
victime des procédés habituels de Macky Sall.
Selon le verdict rendu, le Tribunal a disqualifié les faits de viols répétés et de menaces de mort
reprochés à l’opposant. Un autre débat juridique s’est installé sur cette possibilité de
disqualification associée à une condamnation. J’estime pour ma part que, comme d’autres
opposants avant lui, il doit absolument conserver son éligibilité, ce que permet la réécriture
proposée des articles L29, L30 et L57 du Code électoral. Au regard du délibéré déjà vidé, des voies
existent permettant à cette affaire d’être rejugée.
Certes sa présence au procès aurait facilité le travail de ses nombreux et talentueux avocats, avec le
soutien du Peuple et sous l’observation de la Communauté internationale. Elle aurait permis des
recours. Mais il n’est pas trop tard.
Je ne puis achever cet écrit sans un message adressé à la jeunesse de mon pays. Une jeunesse
oubliée, exclue, désespérée car persuadée d’être sans avenir dans son pays. Je leur dis que les
solutions sont possibles avec une autre gouvernance. Elles ne passent pas par le saccage, la
violence et la destruction des biens publics ou d’autrui. La résistance qui doit conduire à cette autre
gouvernance peut être pacifique si elle est de masse. Montrons à Macky Sall et à son ministre de la
Justice que, si selon leurs propos 2 millions de militants encartés APR peuvent les conduire à
violenter notre Constitution et nos droits fondamentaux, 4 millions de citoyens en marches
paisibles sur toute l’étendue du territoire suffisent à les rappeler à l’ordre tant qu’ils conserveront
quelque once d’intelligence. Cependant craignons que l’installation du désordre puisse profiter à
d’autres qu’à la restauration de la démocratie sénégalaise.
A défaut de voir notre cher Sénégal s’engager dans cette voie d’apaisement, je me dois d’avouer un
très fort pessimisme sur ce que nous pourrions vivre avant la fin de l’année en cours.
Souvenons-nous que le Sénégal et ses voisins ont les mêmes cultures, les mêmes populations ;
souvenons-nous qu’ils vivent les mêmes difficultés économiques. L’exception sénégalaise a eu pour
fondement une démocratie qui, bien qu’imparfaite, se renforçait par le combat politique et citoyen,
parfois par la seule intelligence de ses Présidents. Malheureusement, le recul démocratique que
nous vivons depuis au moins 2017 érode dangereusement ce qui caractérisait l’exception
sénégalaise. Nous risquons donc de devenir l’un des dominos dont la chute enfoncerait l’ensemble
de l’Afrique de l’Ouest dans un chaos de longue durée.
Dakar le 6 juin 2023
Abdoul Mbaye
Président de l’Alliance pour la Citoyenneté et le Travail (ACT)