De Guédiawaye à Yoff, le littoral s’érode, au fil du temps, à cause de multiples agressions dont l’extraction du sable marin. Une pratique interdite, mais qui étend ses tentacules le long de la côte, avec son corollaire de conséquences environnementales, dont l’avancée de la mer.
Les premiers rayons du soleil filtraient entre les dentelures des nuages, au-dessus de la plage de Yoff Dagoudane. Même une vue aérienne ne permet pas de percer le mystère de cette partie de Dakar, ancien village lébou, fondé en 1432. Du haut de la colline sablonneuse qui surplombe les dunes de sable jonchées de trous béants, creusés par des charretiers qui œuvrent la nuit, les traces des pelles décorent le sol alors que, depuis 2009, le code minier interdit toute extraction du sable marin.
Sur la rive, quelques mômes insouciants jouent au football, à côté des moutons qui se pavanent. Résidus de poissons, tas d’ordures, morceaux de plastique ou de tesson cohabitent sans émouvoir personne. En ce dimanche 14 mai 2023, la plage de Yoff expose ses trophées : une litanie d’épaves, des cargos rouillés, drossés sur le sable avec leurs mâts, sont tendus vers le ciel. Sèche et bouillante, la chaleur d’été étouffe l’horizon et arrache des gouttes de sueur aux corps endurcis.
Sur les murs glauques des habitations qui croulent sous les assauts de la brise marine et jaunies par le temps, le grignotage de l’eau, au fil des années, est saisissant. La rive s’érode, à force de lécher les dunes désensablées que les vagues finissent par creuser. De Guédiawaye à Malika, en passant par Yoff et Cambérène, l’usage du sable marin, pour construire les maisons, fait courir à ses communes un danger environnemental.
Au fil des années, la mer a avalé des espaces marins par des rafales qui font gicler les vagues. À Dagoudane, les demeures dépourvues de peinture, pour la plupart, sont au bord du précipice. En clair, le grand bleu grappille 5 à 10 mètres d’érosion par an, selon les autochtones, bien aidé par les changements climatiques. On est face à une marée basse, mais les pirogues accostées sont menacées de chavirement par l’eau.
Sur le littoral, flotte un drame écologique dont les contrecoups risquent de rayer de la carte les localités situées sur la zone côtière.
Barbe taillée et touffue, avec sa tenue noire, tel un maître-nageur, Doudou Bèye, venu laver ses moutons, exprime ses inquiétudes. « Le prélèvement du sable favorise l’avancée de la mer. Là où je suis en train de vous parler, il y avait des maisons. Mais, tous ces lieux que vous voyez s’approvisionnent ici en sable pour construire. Les gens le font la nuit, avec l’aide des charretiers », dénonce-t-il. Dans ses souvenirs, il remonte le temps pour rappeler l’image reluisante de la plage de Yoff qui était jadis un lieu de baignade prisé. « Nous ne dormons plus parce que les vagues frappent nos murs », s’inquiète ce quadra, contraint de vivre avec les incertitudes, sur la montée du niveau de la mer.
« De 1986 à aujourd’hui, la mer a avancé d’au moins 200 mètres »
Eux sont assis sous une tente qui ploie sous les assauts des rayons solaires. Les regards sont dirigés vers la mer, cette masse d’eau, à perte de vue, devenue le symbole de leur désillusion, leur misère. Posés sous un sol garni de gravats, ces pêcheurs et anciens pratiquants de la mer palabrent, les yeux rivés vers l’horizon. Aux alentours, c’est un amoncellement de tas de gravats pour s’adapter aux effets de l’extraction du sable. Habillé d’un blouson bleu, casquette de couleur verte sur la tête, Médoune Mbaye, dit Khoulé, yeux rougis par des années de contact avec l’eau salée, a assisté à la dégradation du littoral. « De 1986, année où j’ai commencé la pêche, jusqu’à aujourd’hui, je crois que la mer a avancé d’au moins 200 mètres », développe l’homme de 56 ans, nostalgique des années fastes du littoral. Dans sa tête, il a encore repris les coursives du fléau du prélèvement. Khoulé a replongé dans les méandres de cette activité qui risque d’emporter toutes les dunes de sables, situées désormais à une dizaine de mètres de la mer. « L’État doit faire quelque chose. Sinon, on ne pourra plus avoir de lieu pour accoster nos pirogues », abonde Ablaye Dial, pêcheur depuis 1983, au moment où les vagues s’écrasaient sur la berge de l’atlantique. « Ce sont les populations qui doivent nous aider, en dénonçant ceux qui extraient du sable marin », invite Seydina Issa Laye Sambe, Maire de Yoff.
À Guédiawaye, département créé en 2002, la nature, autrefois généreuse et verdoyante, a laissé place à un espace sec et aride. Sur la bande des filaos, la chaleur assèche les arbres dont les feuilles tombent sous les assauts du vent. À Hamo Téfess, le soleil pose ses rayons sur des blocs de terre qui souffrent de l’extraction du sable. Plantés pour fixer les dunes de sable et protéger la cuvette maraîchère, les filaos sont programmés à mourir à cause d’une forte urbanisation sauvage sur fond de spéculation foncière. L’océan, malgré sa brise berceuse, gronde à quelques mètres et rappelle le danger qu’il représente, avec l’effondrement de cette barrière naturelle. À la Cité des magistrats, sise dans la commune de Sahm Notaire, les chantiers sortent de terre. Ça ne chôme pas à côté de la Vdn 3… Au grand dam de l’environnement !
DR OUMAR NGALLA DIÈNE, GÉOGRAPHE
« La persistance de l’extraction du sable marin rend vulnérable l’écosystème littoral »
Sur les 300 km de côtes sableuses que compte le Sénégal, l’urbanisation incontrôlée et la forte pression sur les ressources naturelles, dont le sable de mer, constituent des menaces, selon Dr Oumar Ngalla Diène, géographe, spécialiste de la planification urbaine et du développement durable.
Avis d’expert. Le prélèvement illicite du sable marin menace la subsistance des côtes sénégalaises. D’après le géographe Oumar Ngalla Diène, la persistance de cette extraction du sable de mer irrégulière et les aménagements (bâti côtier : habitations, ports, quai de pêche, hôtels, auberges, campements…) non conformes à loi « finissent par rendre vulnérable l’écosystème littoral d’abord, aux inondations marines, puis à l’érosion maritime et ensuite au réveil du trait de côte et enfin des pertes de plage ». Il cite, en exemples, Thiawlène/Rufisque, Doune Baba Dièye de Gandiol, Djifère et les installations hôtelières, dans la zone de Saly…. « Récemment, des menaces qu’il ne faut pas négliger ont été relevées au niveau de l’autopont de Cambérène, près du mausolée de Seydina Issa Laye. Les aménagements littoraux en règle requièrent des études d’impact », insiste M. Diène.
En effet, le littoral est un écosystème naturel, composé de plusieurs éléments dont une partie immergée (une partie du plateau continental) et une autre émergée (l’estran de plage, l’arrière-plage…). Son fonctionnement obéit à des lois naturelles. Selon le Dr Diène, une de ses caractéristiques essentielles concerne le transit sédimentaire qui participe à l’équilibre écologique de cet espace. Mais, du fait de l’urbanisation, le géographe note qu’il est relevé que 70% des grands centres urbains, dans le monde, sont situés dans les espaces littoraux.
Dans les pays sous-développés comme le Sénégal, l’expert signale, non seulement une urbanisation incontrôlée, mais aussi une très forte pression urbaine sur les ressources naturelles dont le sable de mer. « La forte demande, liée à l’industrie du bâtiment avec l’extraction du sable de mer et les constructions sur le domaine public maritime entraînent une exploitation irrégulière de cette ressource, ce qui provoque un déséquilibre écologique sur le dispositif décrit un peu plus haut. Ceci est d’autant plus significatif que le Sénégal compte 300 kilomètres de côtes sableuses, 234 km de côtes composées d’estuaires à mangroves et 174 km de côtes rocheuses », conclut M. Diène.
L’équation de la surveillance
« Depuis le début des années 2000, le ministère de l’Environnement et celui des Mines et de la Géologie, avaient conjugué leurs efforts pour interdire l’exploitation du sable marin. L’ensemble des corps de contrôle de l’État, y compris les Forces de défense et de sécurité, ont été mis à contribution, pour accompagner l’administration, dans la surveillance des sites d’extraction du sable marin », souligne Baba Dramé, Chef de la Direction de l’environnement et des établissements classés (Deeg). Mais, relève-t-il, « maintenant, il y a une extraction frauduleuse du sable sur tout le littoral. On nous signale ces actes vers Mbao, au niveau de la bande des filaos de Guédiawaye, à Yoff ». Ainsi, quand ils sont saisis, le Centre des urgences environnementales, qui a un numéro vert, est dépêché. « C’est le 1221. Quand des gens font face à ces situations, il faut appeler ce numéro vert. Quand la réclamation est reçue, aussitôt, le Centre de gestion des urgences environnementales transmet l’information aux Forces de défense et de sécurité, particulièrement à la section de l’environnement de la gendarmerie, qui se déploie sur les lieux, pour constater la situation », explique M. Dramé. Selon lui, « si des gens sont trouvés sur place en train de s’adonner à cette activité, ils sont mis aux arrêts ». Malheureusement, dans la plupart des cas, « ces activités se font la nuit et ce n’est que le lendemain qu’on constate les dégâts. Ce qui fait que la surveillance devient difficile. C’est ça notre difficulté », regrette-t-il, précisant : « c’est une activité interdite parce que, dans la politique de l’État en matière de lutte contre l’érosion côtière, on a effectivement constaté que l’un des facteurs aggravants, c’est l’extraction du sable marin ».
À Dakar, le trait de côte se rétrécit
Le Président du Mouvement Sos littoral, Omar Diagne, a dénoncé le fait que certaines personnes, pour des gains personnels, exploitent frauduleusement le sable marin. Pourtant, cette question a fait l’objet de panels scientifiques, d’ateliers nationaux, des sorties médiatiques… mais, le problème reste entier. « Nous interpellons les ministères des Mines et de la géologie, de l’Environnement, et de l’Urbanisme. Ils doivent se lever pour éradiquer ce phénomène d’extraction du sable marin », a appelé Omar Diagne. Selon lui, le trait de côte de Dakar se rétrécit, depuis 1921. Ce qui lui fait dire qu’une bonne partie de la capitale risque d’être coupée du département de Rufisque. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a créé la digue de Thiawlène qui a été le premier projet d’adaptation aux changements du climat depuis le sommet de Kyoto. « Au niveau marin, il va y avoir des conséquences dramatiques parce que les tortues de mer viennent pondre sur le littoral. Si on ne prend pas cette question en compte, c’est la Convention de la biodiversité qui sera profanée, de même que celle de Ramsar, qui protège toutes les zones humides du monde », a expliqué le Président du Mouvement Sos littoral. Il a indiqué, dans la même foulée, que l’écosystème marin sera perturbé et entrainera la rupture de la chaîne biologique. « Il faut alors des politiques hardies pour éradiquer ce fléau ». a plaidé M. Diagne.
IBRA SECK, DIRECTEUR DES CARRIÈRES
« Il convient de signaler la diminution drastique du potentiel de sable de la région de Dakar »
L’extraction du sable marin cause d’énormes dégâts environnementaux tels que l’avancée de la mer, l’effondrement des maisons, les disparitions des plages, la destruction de la flore végétale, etc. Telle est l’alerte du Directeur des carrières, Ibra Seck. Il note, par ailleurs, la réduction des réserves de sable à Dakar, à cause de la forte demande.
Que fait la Direction des carrières pour combattre le phénomène de l’extraction frauduleuse du sable marin ?
Tout d’abord, il faut préciser qu’au Sénégal, l’extraction du sable de plage est interdite. Seuls les prélèvements au niveau des carrières légales comme Bambilor, Sangalkam, etc. sont autorisés par le ministère des Mines et de la géologie. C’est la gendarmerie de l’environnement qui est chargée de lutter contre l’exploitation frauduleuse du sable sur le littoral.
Avez-vous des données officielles dans la lutte contre ce phénomène ?
À ce jour, le ministère ne détient pas de données officielles sur l’extraction du sable marin.
Plus de 2 millions de m3 de sable ont été extraits en 2021, d’après la Direction de contrôle et surveillance des opérations minières (Dcsom). Quel sont les chiffres pour 2022 ?
En 2021, la production de sable était de 3 240 550 m3. Elle est de 2 388 142 m3 en 2022.
La croissance exponentielle de la demande du marché de sable, la raréfaction de la ressource, la préoccupation d’ordre environnemental et les conditions d’accès à la ressource minérale menacent-elles les réserves de sable ?
Dans la région de Dakar, les carrières de sable ont permis de satisfaire la demande. Cela s’est traduit par une hausse de 3 % de la production durant l’année 2021, par rapport à 2020. Cette hausse est principalement due à un accroissement de l’extraction du sable, du fait de la forte demande. Toutefois, il convient de signaler la diminution drastique du potentiel de sable de la région de Dakar, causée, d’une part, par une forte demande en sable due à la réalisation en cours des projets d’infrastructures, notamment le Bus rapid transit (Brt), les travaux des chantiers de Diamniadio et le programme de logements sociaux dénommé « 100 000 logements » et, d’autre part, par une urbanisation très rapide des zones d’extraction (Sangalkam et Bambilor).
De Yoff à Guédiawaye, en passant par Diamalaye et les Parcelles assainies, l’extraction frauduleuse existe toujours. Quels sont les dangers sur le plan environnemental ?
Oui. En fait, les charretiers extraient parfois nuitamment du sable qu’ils vont ensuite vendre. Mais, la Gendarmerie environnementale surveille régulièrement cette zone pour empêcher le vol de sable. D’ailleurs, l’année dernière, elle a arrêté 10 charretiers qui s’adonnaient à cette pratique. L’extraction du sable marin cause d’énormes dégâts environnementaux tels que l’avancée de la mer, l’effondrement des maisons, les disparitions des plages, la destruction de la flore végétale, etc.
Comment les fausses déclarations impactent-elles négativement les revenus que l’État engrange de l’activité d’extraction de sable ?
Les fausses déclarations causent d’énormes pertes à l’État du Sénégal. C’est pourquoi, en 2015, le Président de la République a pris un décret pour créer la Direction du contrôle et de la surveillance des opérations minières qui a acquis récemment des drones et des Gps (géolocalisation) pour estimer les volumes extraites dans les Carrières.
Avez-vous chiffré l’impact financier des fausses déclarations d’extraction de sable en 2022 ?
Non ! Le ministère n’a pas encore chiffré l’impact financier des fausses déclarations d’extraction de sable en 2022.