Alors que les navires industriels étrangers raclent illégalement les fonds marins, des usines spécialisées dans la production de la farine et de l’huile de poisson ciblent des espèces qui constituaient jusqu’à récemment une source de protéines abondante et peu coûteuse.
Les mauvaises pratiques de certains acteurs du secteur de la pêche en Gambie mettent à mal les moyens de subsistance des populations et nuisent à l’environnement dans les régions côtières, selon un rapport publié le 31 mai dernier par l’ONG Amnesty International.
Intitulé « Gambie. Le coût humain de la surpêche. Comment la surexploitation des ressources halieutiques à Sanyang menace les droits humains », ce rapport se base des enquêtes menées dans la capitale Banjul et la région côtière de Sanyang, qui est à la fois une zone touristique et un haut lieu de la pêche.
Il en ressort que la situation des populations locales à Sanyang (Sud-ouest) est extrêmement difficile, en raison non seulement de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) pratiquée par les navires industriels étrangers provenant notamment de la Chine et de l’Union européenne, mais aussi des activités d’une grande entreprise étrangère produisant de la farine et de l’huile de poisson, Nessim Fishing And Fish Processing Co, (Nessim), qui s’est installée sur place à la fin de l’année 2017.
Alors que le secteur de la pêche représente 12 % du PIB de la Gambie et fournit des emplois directs ou indirects à plus de 300 000 personnes sur une population totale de 2, 2 millions d’habitants, les personnes travaillant dans ce secteur se retrouvent souvent en concurrence avec de gros chalutiers étrangers qui, faute de patrouilles suffisantes de la marine gambienne, s’approchent plus près de la côte qu’ils n’y sont autorisés, dans des zones réservées aux pêcheurs artisanaux.
Les pratiques illégales de ces navires qui pillent illégalement les abondantes ressources halieutiques du pays ont de graves conséquences sur les moyens de subsistance de la population locale, qui dépend de la pêche pour survivre.
Elles entraînent aussi un risque d’insécurité alimentaire. Le poisson, qui couvrait naguère entre 50 et 60 % de leurs besoins en protéines animales des Gambiens, est de plus en plus rare et cher sur le marché local.
Deux espèces sont particulièrement ciblées
Dans le même temps, l’usine Nessim cible notamment les sardinelles et le bonga, deux espèces qui constituent une source de revenus essentielle pour les habitants du littoral ainsi qu’une source de protéines peu coûteuse jusqu’à récemment. Ces poissons pélagiques sont transformés en farine et en huile et exportés notamment vers l’Europe et l’Asie, où ils servent à nourrir les animaux d’élevage et les poissons voraces de l’aquaculture.
Environ 19 300 tonnes de poisson sont exportées chaque année dans le cadre des activités des usines de farine de poisson, des navires industriels étrangers et des entreprises de transformation du poisson ciblant les marchés étrangers. En 2019, les poissons et les crustacés, mollusques et autres invertébrés aquatiques représentaient 26,6 % des exportations gambiennes contre 11,4 % seulement en 2015.
Mais les dégâts des mauvaises pratiques de certains acteurs du secteur de la pêche ne s’arrêtent pas là. Des exploitants agricoles installés près de l’usine Nessim affirment que la productivité de leurs terres a chuté, en raison de la prolifération des insectes nuisibles qui détruisent leurs légumes depuis son ouverture. En conséquence, ils ont du mal à produire des quantités suffisantes et ont vu leurs revenus diminuer.
D’autre part, les propriétaires de restaurants, d’hôtels et de bars à jus le long de la plage affirment tous avoir perdu de la clientèle en raison des odeurs nauséabondes en provenance de l’usine.
La société Nessim a été aussi condamnée plusieurs fois à des amendes par l’Agence nationale pour l’environnement pour ne pas avoir traité comme il se doit ses eaux usées, qui sont rejetées dans la mer.
Des pêcheurs fournissant l’usine ont par ailleurs affirmé avoir remis dans l’eau des poissons morts à plusieurs reprises après que Nessim a refusé de les acheter, si bien que la plage est recouverte de poissons morts.
Amnesty International recommande dans ce cadre aux autorités gambiennes de doter la marine des ressources nécessaires pour lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, d’améliorer la transparence des accords concernant la pêche et d’étudier de façon approfondie l’impact socio-économique et environnemental des usines de farine et d’huile de poisson, pour protéger les droits des populations locales vivant de la pêche et préserver l’environnement pour les générations futures.