Depuis quelque temps, les menaces fusent de partout, entre partisans de Pastef et militants de l’Alliance pour la République. Une situation qui inquiète de plus en plus certains observateurs.
Exit la justice, place aux muscles. Depuis quelque temps, Pastef et l’APR jouent véritablement à se faire peur. Chacun croyant ferme que le rapport de force lui est favorable. Sur les plateformes de leurs militants respectifs, les messages prônant la loi du talion font florès. Emboitant ainsi le pas au président de Pastef/Les patriotes qui a été le premier à proclamer le ‘’gatsa-gatsa’’ (œil pour œil, dent pour dent). Un gatsa-gatsa qui ne vise plus seulement les institutions et les biens publics, mais qui vise également les biens privés de personnes appartenant au régime ou supposés être proches du pouvoir. Le plus inquiétant, déplore le Dr Moustapha Ndiaye, sociologue, c’est que ces menaces ne se limitent plus au discours, on est passé à l’acte.
‘’La remise en cause de l’indépendance de la justice ne date pas d’aujourd’hui ; elle a toujours existé. Mais jusque-là, elle se limitait surtout au discours. Malheureusement, depuis quelque temps, on assiste à un certain basculement. On est passé d’un discours négatif à des actes violents, pour ne pas dire un règlement parallèle privé, par des mécanismes autres que judiciaires, des conflits entre composantes de la société. Espérons que cela va rester un événement, c’est-à-dire limité dans le temps et dans l’espace, plutôt que d’être un phénomène, c’est-à-dire appelé à durer dans le temps’’, dénonce-t-il.
Lors des dernières manifestations du lundi 29 mai, certains n’ont pas hésité à cibler et à incendier des biens (voitures et maisons) appartenant à des responsables du régime. Parmi les victimes, il y a Matar Ba, Serigne Mbaye Thiam et Abdou Latif Coulibaly. Sur les plateformes de groupes se réclamant de Pastef, on continuait à divulguer de plus belle les adresses et identifiants de personnalités politiques et judiciaires du régime.
Pour Birame Faye, coordonnateur de la Task force républicaine, le parti de Sonko vire dangereusement vers le terrorisme. ‘’Il faut noter que depuis les événements de mars 2021, aucune maison d’un responsable de Pastef n’a été incendiée. Il n’y a que les maisons des partisans de la majorité qui sont prises pour cibles. À ce jour, aucune association de défense des Droits de l’homme ne l’a dénoncé. Nous pensons qu’ils vont avoir la décence de nous épargner de leurs cris d’orfraie et d’indignation malhonnête, le jour où la loi du talion sera appliquée’’, prévenait le directeur général de l’Agence de sécurité de proximité dans un communiqué publié dans la presse.
Quand les citoyens décident de se faire justice eux-mêmes
Dans le même temps, des actions ont été signalées, pour la première fois depuis le début des hostilités, contre des biens de personnalités de l’opposition, dont Aida Mbodj et le siège de Pastef. Une escalade qui commence de plus en plus à prendre de l’ampleur.
En visite, hier, chez l’ancienne maire de Bambey, Cheikh Tidiane Dièye proteste : ‘’Cela montre simplement qu’on a dépassé toutes les limites en termes de violences et d’insécurité. Nous estimons que le seul responsable de cette situation, c’est le président de la République Macky Sall. Car dans une démocratie, la majorité a tous les moyens pour se protéger. C’est la minorité qui doit être protégée, défendue et sécurisée. Malheureusement, on a l’impression que l’État utilise ses leviers politiques pour s’en prendre à des leaders de l’opposition. Ce qui a commencé ici aujourd’hui peut nous mener vers des situations incontrôlées, si l’on n’y prend pas garde’’.
Dénonçant les violences contre les biens appartenant aux gens de la mouvance, il a estimé que l’État (sic) ne doit pas verser dans des actes de vengeance et que les tenants du régime sont les principaux responsables.
Embouchant la même trompette, Moustapha Guirassy demande à l’État de veiller à la sécurité de tous les citoyens, de l’opposition comme du pouvoir. ‘’Nous ne sommes pas des hommes violents, nous sommes des acteurs de développement, des acteurs politiques et tout le monde nous connait. Il faut que la sécurité soit de mise pour que nous puissions vivre dans la paix et la concorde. Notre héritage démocratique doit être sauvegardé et le président de la République est interpellé au premier chef. Il doit comprendre que l’heure est grave et travailler à restaurer la paix dans le pays’’.
En attendant, c’est comme dans la jungle. Pendant que certains hauts responsables tentent d’appeler à la désescalade, les fanatiques des deux bords continuent, eux, les menaces et les attaques, qu’elles soient verbales ou physiques. Et personne ne semble épargné. Hommes politiques, de médias, leaders d’opinion, tout le monde craint l’insécurité et l’air ambiant de vendetta qui continue de souffler. Mais comment en est-on arrivé là ?
De l’avis du sociologue, il y a plusieurs facteurs. D’abord, il y a le sentiment d’insatisfaction par rapport à la marche de la justice qui a été un des éléments déclencheurs. ‘’Quand les citoyens considèrent que les règles les plus élémentaires de régulation sociale ne sont pas au rendez-vous, cela peut engendrer ce genre de situation. Aujourd’hui, beaucoup de Sénégalais pensent que nous n’avons pas une justice impartiale. Pour eux, la justice s’abat de manière brutale ou injuste sur ceux qui ne sont pas avec le pouvoir, pendant qu’elle ne fait rien contre ceux qui sont du côté du pouvoir et qui sont coupables de certains actes répréhensibles’’.
Quand les citoyens décident de se faire justice eux-mêmes
Dans le même temps, des actions ont été signalées, pour la première fois depuis le début des hostilités, contre des biens de personnalités de l’opposition, dont Aida Mbodj et le siège de Pastef. Une escalade qui commence de plus en plus à prendre de l’ampleur.
En visite, hier, chez l’ancienne maire de Bambey, Cheikh Tidiane Dièye proteste : ‘’Cela montre simplement qu’on a dépassé toutes les limites en termes de violences et d’insécurité. Nous estimons que le seul responsable de cette situation, c’est le président de la République Macky Sall. Car dans une démocratie, la majorité a tous les moyens pour se protéger. C’est la minorité qui doit être protégée, défendue et sécurisée. Malheureusement, on a l’impression que l’État utilise ses leviers politiques pour s’en prendre à des leaders de l’opposition. Ce qui a commencé ici aujourd’hui peut nous mener vers des situations incontrôlées, si l’on n’y prend pas garde’’.
Dénonçant les violences contre les biens appartenant aux gens de la mouvance, il a estimé que l’État (sic) ne doit pas verser dans des actes de vengeance et que les tenants du régime sont les principaux responsables.
Embouchant la même trompette, Moustapha Guirassy demande à l’État de veiller à la sécurité de tous les citoyens, de l’opposition comme du pouvoir. ‘’Nous ne sommes pas des hommes violents, nous sommes des acteurs de développement, des acteurs politiques et tout le monde nous connait. Il faut que la sécurité soit de mise pour que nous puissions vivre dans la paix et la concorde. Notre héritage démocratique doit être sauvegardé et le président de la République est interpellé au premier chef. Il doit comprendre que l’heure est grave et travailler à restaurer la paix dans le pays’’.
En attendant, c’est comme dans la jungle. Pendant que certains hauts responsables tentent d’appeler à la désescalade, les fanatiques des deux bords continuent, eux, les menaces et les attaques, qu’elles soient verbales ou physiques. Et personne ne semble épargné. Hommes politiques, de médias, leaders d’opinion, tout le monde craint l’insécurité et l’air ambiant de vendetta qui continue de souffler. Mais comment en est-on arrivé là ?
De l’avis du sociologue, il y a plusieurs facteurs. D’abord, il y a le sentiment d’insatisfaction par rapport à la marche de la justice qui a été un des éléments déclencheurs. ‘’Quand les citoyens considèrent que les règles les plus élémentaires de régulation sociale ne sont pas au rendez-vous, cela peut engendrer ce genre de situation. Aujourd’hui, beaucoup de Sénégalais pensent que nous n’avons pas une justice impartiale. Pour eux, la justice s’abat de manière brutale ou injuste sur ceux qui ne sont pas avec le pouvoir, pendant qu’elle ne fait rien contre ceux qui sont du côté du pouvoir et qui sont coupables de certains actes répréhensibles’’.
Aux origines du fléau
À côté de ces manquements de la justice, il y a, selon le docteur en sociologie, un ressenti profond de ce que Bourdieu appelait une violence symbolique chez certaines populations. Il explique : ‘’Quand on arrive à une situation où certaines couches sociales s’approprient, dans une République, tout ce qui est privilèges au détriment du plus grand nombre, simplement en raison de leur appartenance au groupe dominant, cela crée des frustrations et ressentiments qui, une fois que la coupe est pleine, peut déborder sur des situations très graves comme celles que nous connaissons actuellement. L’exemple type, c’est ce qui s’est passé au mois de mars 2021. Il y a eu certes un détonateur, mais en réalité, les grands ressentiments, c’était la situation économique difficile due notamment aux décisions liées au confinement qui avaient annihilé les activités de l’écrasante majorité de la population. Notamment ceux qui vivent dans la banlieue, dans les quartiers périphériques et qui vivent au jour le jour.’’
Et comme pour ne rien arranger, la misère et la pauvreté prennent de plus en plus de l’ampleur, privant des couches importantes de la population du minimum pour vivre décemment. Tout un tas d’ingrédients propices à toutes les instrumentalisations et manipulations. ‘’Vous avez vu beaucoup de jeunes braver la mer, dans des conditions presque inhumaines, pour fuir la réalité du pays, en se disant de toute façon qu’ils ne peuvent pas vivre pire. Ils préfèrent tenter leur chance, quitte à y laisser leur vie, plutôt que de rester inertes face à la situation qu’ils vivent dans leur pays. Des personnes qui en sont à ce niveau de désespoir n’ont pas peur de braver tout ce qui peut symboliser l’autorité publique. Il y a une volonté manifeste d’en découdre, de sortir tout ce qu’ils ont comme ressentiment. C’est parfois une réaction de survie pour beaucoup d’entre eux’’.
De l’autre côté, se sentant menacés dans leurs corps et dans leurs biens, la riposte n’a pas tarder à s’organiser. L’on ne semble plus faire confiance à la police et à la gendarmerie qui sont tenues d’agir conformément à un certain nombre de règles procédurales.
De l’avis de Dr Moustapha Ndiaye, il urge d’agir pour mettre un terme à cette situation qui prévaut actuellement dans le pays et qui pourrait dégénérer. A l’en croire, il est fondamental de restaurer la confiance entre la justice et les citoyens. ‘’Quand le justiciable ne fait plus confiance à l’institution censée réguler et décide lui-même de sévir pour régler ses contentieux, ses différends, alors, on franchit le point de non-retour. C’est ce à quoi nous assistons en ce moment avec des règlements de comptes entre factions politiques, des règlements de comptes où chacun se croit devoir se faire justice lui-même. Pour les uns, il s’agit de répondre contre des violations de leurs droits. Pour les autres, on riposte contre des violences exercées directement par l’adversaire. On se dit : ‘Puisque notre vis-à-vis a franchi un pas, nous aussi, nous allons riposter pour montrer que la terreur peut être de partout ; on ne va plus saisir les institutions habilitées. Ce sera la loi du talion.’ Dans une telle situation, on sort d’une société normale pour verser dans une situation d’anomie, c’est-à-dire l’absence de normes, une société sans foi ni loi’’, soutient l’enseignant à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Selon lui, une société sans norme est une société où l’institution judiciaire n’a plus les moyens de faire ce qui est attendu d’elle. ‘’Alors, on peut arriver à voir des milices privées qui vont se substituer à la police régulière pour assurer la sécurité des uns et des autres. Comme on le voit dans certains pays avec des gangs qui définissent leurs périmètres et qui se chargent d’assurer la sécurité des groupes, moyennant le paiement de rentes. Il faut espérer que l’on revienne au plus vite à la normale. Sinon, nous ne sommes pas à l’abri de ce qui est arrivé au Liberia, à la Sierra Leone ou à la Côte d’Ivoire’’.
Dr Moustapha Ndiaye : ‘’On sort d’une société normale, pour aller vers une situation d’anomie, c’est-à-dire une société sans norme, sans foi ni loi’’
Quelles peuvent être les conséquences d’une telle situation ? La première, c’est la détérioration de tout ce qui est régulation de la vie sociale, indique le Dr Ndiaye. Il insiste : ‘’Si on en arrive à cette situation d’anomie, ce sera la fin de ce que l’on a appelé l’exception sénégalaise. Malgré les soubresauts, on a toujours su préserver l’essentiel, c’est-à-dire notre bien le plus précieux : la paix. Malheureusement, on est de plus en plus dans la loi du talion et chacun utilise les ressources dont il dispose pour semer la terreur. C’est un grand basculement qui peut aller très loin… Les conséquences peuvent être néfastes.’’
À son avis, il est temps que les forces vives, notamment les religieux, reprennent leur bâton de pèlerin pour tenter de recoller les morceaux. ‘’Cette situation dépasse désormais la sphère politique. Elle concerne toutes les franges de la société. Il faut rappeler que notre principale richesse, c’est la stabilité politique qui nous a permis depuis les indépendances de vivre de façon harmonieuse, d’échapper à toutes les formes d’instabilité qui ont secoué les autres pays. Aujourd’hui, toutes les forces vives, tous les régulateurs sociaux doivent prendre leur bâton de pèlerin pour arrondir les angles, amener les gens à la table des négociations, pour vider les contentieux.
De façon substantielle, il faudrait qu’on réfléchisse sur une nouvelle société sénégalaise à bâtir, une nouvelle société qui va faire revenir les bases d’une société, c’est-à-dire la justice sociale, que les ressources qui existent puissent profiter à tout le monde, que l’État puisse permettre à tous ses enfants d’avoir accès aux droits fondamentaux comme la santé, l’emploi… C’est comme ça qu’on peut se prémunir durablement de ces genres de troubles’’, indique M. Ndiaye, convaincu de la nécessité de ‘’débats objectifs et impartiaux’’. Lesquels doivent être basés, d’après lui, sur des connaissances.
‘’Mais quand on est dans une société avec des débats tranchés, qui font ressortir une forme de radicalité des différents bords politiques, chacun s’agrippant dans sa petite parcelle en se disant que la prairie n’est verte que chez lui. Quand on arrive à cette situation comme on le voit dans l’espace médiatique, un espace où il n’y a plus de filtre, ni sélection de ceux qui doivent intervenir, ça pose problème. Il faut poser le débat de manière sereine, objective et courageuse. Malheureusement, ceux qui auraient dû poser ce débat ne jouent plus leur rôle. Je parle notamment des élites intellectuelles qui ont fui les véritables débats. On est plutôt dans les débats de personnes, les petites querelles stériles, de borne-fontaine. Et c’est aussi entretenu par la presse’’, souligne le docteur en sociologie non sans relever que la justice a un grand rôle à jouer dans ce projet de stabilisation de l’espace public.