Agir en appui et non à la place de : les armées françaises ont dû tirer les leçons de leur sortie contrainte du Mali à l’été 2022 et testent aujourd’hui au Niger un partenariat discret, ajusté sur-mesure aux demandes de Niamey
« Au Niger et de façon même globale partout en Afrique, la position philosophique est différente de ce qui se faisait au Mali. Aujourd’hui notre aide part d’abord du besoin du partenaire », résume le commandant des forces françaises au Sahel (FFS), le général Bruno Baratz.
Un changement de paradigme nécessaire après le départ du Mali des militaires français de l’opération Barkhane, sous la pression d’une junte hostile qui a fait appel aux mercenaires russes de Wagner, quoiqu’elle s’en défende. Le Burkina Faso voisin, également dirigé par des militaires putschistes, a quant à lui exigé en janvier le retrait des forces spéciales françaises de son territoire et se trouve dans le viseur de Wagner.
Pour moins prêter le flanc aux critiques contre la présence militaire en Afrique de l’ex-puissance coloniale, le président Emmanuel Macron a ordonné une action collant strictement aux demandes spécifiques des pays concernés et restant à bas bruit. Une consigne respectée à la lettre au Niger, qui accepte en retour 1.500 militaires français sur son sol pour faire monter en puissance ses armées, alors que le groupe Etat islamique au Sahara (EIS) a regagné du poil de la bête à la frontière malo-nigérienne.
« Le Niger tient lieu pour l’armée française de laboratoire pour son approche rénovée », résume Michael Shurkin, expert américain spécialiste du monde militaire tricolore. « La France menait sa propre guerre en parallèle de ce que faisaient les forces armées maliennes. Aujourd’hui elle veut faire différemment ».
« Débarkhanisation »
Rester en deuxième ligne demande toutefois une « débarkhanisation des esprits », glisse un officier français, rappelant qu’une génération entière de soldats a traqué les groupes jihadistes pendant une décennie dans les sables sahéliens, dans des conditions bien plus autonomes qu’aujourd’hui. Engagées dans une montée en puissance de leurs forces armées (FAN), qui doivent atteindre 50.000 hommes en 2025 puis 100.000 en 2030, le Niger semble satisfait.
« Aujourd’hui le commandement est nigérien, maître du terrain et des besoins. On ne peut que s’en féliciter. Les Français nous apportent la formation militaire, du matériel, du renseignement, et des moyens aériens qui nous manquent », souligne à l’AFP l’ex-ministre nigérien de la Défense (2016-2019), Kalla Moutari. « Nous devons mettre à profit leur présence et celle d’autres partenaires, car la menace s’enracine de plus en plus dans le centre Mali et à l’est et déborde sur le Niger ».
Alors qu’auparavant le Niger servait essentiellement de base de transit pour les opérations au Mali, les Français y ont renforcé leur présence et détaché des centaines d’hommes dans le sud-ouest du pays, près de la frontière malienne.
« Bascule »
L’opération franco-nigérienne Almahaou, dans la région de Tillaberi, a déjà produit des effets positifs, fait valoir le colonel Grégoire Servent, commandant de la base aérienne projetée (BAP) française de Niamey. « Nous sommes passés de 33% des terres cultivées dans ce secteur il y a un an à 65% aujourd’hui. Cette zone est considérée prioritaire, car c’est le grenier à blé du pays ».
La coopération fonctionne d’autant mieux que « le Niger a une stratégie de contre-insurrection particulièrement efficace », qui vise à « sécuriser les populations et permettre le retour de l’Etat dans les zones contestées par les groupes terroristes », renchérit le général Baratz.
Au Mali, malgré d’indéniables victoires tactiques françaises contre les groupes armés, le pouvoir politique n’est jamais parvenu à réimplanter son autorité dans les zones semi-désertiques ratissées par Barkhane. Et l’armée nationale (FAMa) est restée fragile, malgré les efforts pour l’aguerrir depuis des années.