Abdou Faye, âgé de 23 ans, habitant le village de Fouk, qui était parti pour chercher des feuilles d’oseille dans leur champ, est tué à coups de machette par un berger. Ses vaches avaient envahi l’exploitation familiale, provoquant l’ire du jeune homme. Cette scène est illustrative de la cohabitation souvent conflictuelle entre paysans et éleveurs. A cause de la disparition des couloirs de pâturage du fait d’une mauvaise politique foncière, l’avenir de l’élevage traditionnel est compromis dans plusieurs parties du pays. Chassés de leurs nids (Mbour, Dakar, Thiès…), les éleveurs et aussi les paysans ont un horizon bouché devant eux.
MBOUR – Disparition des couloirs de pâturage : Champs de mines
Pour un pays qui n’arrive pas à être autosuffisant en moutons en période de Tabaski, c’est quand même curieux de constater que sa politique foncière est en train de tuer les activités liées à l’élevage. En dépit de ses gros investissements, l’Etat fait tout pour détruire les zones d’élevage traditionnel avec des octrois de centaines d’hectares à des sociétés privées et aussi publiques. Dans le département de Mbour, où se concentre l’essentiel des grands travaux de l’Etat, les couloirs de pâturage se réduisent comme peau de chagrin. Si parfois les relations entre paysans et éleveurs sont conflictuelles, ils arrivent à surmonter ces différends pour faire face aux spoliations foncières qui les frappent tous. C’est leur avenir qui est en jeu, car certains bradent leur patrimoine pour devenir de simples employés des promoteurs qui investissent dans des cultures commerciales destinées à l’exportation.
La cohabitation entre paysans et éleveurs est souvent conflictuelle dans le département de Mbour. Privés d’espaces pour faire paître leurs troupeaux à cause des nombreux lotissements, les bergers, face à l’absence de couloirs de pâturage dans certaines communes du département, essaient de survivre dans l’incertitude.
Dans le département de Mbour, l’occupation des terres annonce des lendemains sombres pour plusieurs secteurs, faute d’espace. L’élevage risque d’avoir un avenir très sombre dans cette zone où les chantiers s’enchaînent à perte de vue, réduisant comme peau de chagrin les endroits réservés aux éleveurs et aussi aux paysans. S’ils n’ont presque plus un environnement pour faire paître leurs troupeaux, leurs bêtes envahissent les champs des cultivateurs pour manger les récoltes. Une situation qui finit souvent dans la violence. Le meurtre du jeune Abdou Faye à Kirène le 13 décembre dernier n’est pas encore enterré par les populations.
Abdou Faye, âgé de 23 ans, habitant le village de Fouk, était parti chercher des feuilles d’oseille dans le champ familial situé derrière leur quartier. A sa grande surprise, selon les témoins, il a trouvé sur place des bergers, qui avaient mis leurs vaches dans leur champ pour brouter les plantes d’oseille. Il a intimé l’ordre à ces bergers de sortir du champ. Il s’en est suivi une vive altercation. Il sera atteint par un coup de sabre au niveau du cou. En dépit de la blessure, il s’est levé pour essayer de se sauver. Mais, il ne réussit pas à rejoindre son quartier qui se situe à quelques encablures de leur champ. Il va s’écrouler et rendre l’âme à cause d’une abondante hémorragie.
Pour venger la mort de leur frère, Abdou Faye, tué à coups de machette, des habitants du quartier Fouk, situé à Kirène, ont réduit le village d’où est originaire l’auteur du coup fatal en cendres : ils ont brûlé toutes les cases, la mosquée et défoncé les portes des maisons.
20 mille ovins et caprins en errance, faute de couloirs de pâturage
Finalement, la Section de recherches de Thiès a permis d’identifier et de localiser le mis en cause au domicile de son marabout au village de Saré Birane, situé à moins d’un kilomètre de la frontière gambienne, dans le département de Bounkiling. Selon les premiers éléments de l’enquête, le bourreau de M. Abdou Faye est allé se réfugier dans le village de Saré Birane, chez son marabout. Ce dernier lui aurait demandé de lui donner la somme de 200 mille francs Cfa pour le blinder mystiquement afin que cette affaire soit étouffée et qu’il n’aille pas en prison. Or, il sera appréhendé et écroué pour meurtre.
Cet exemple illustre évidemment la cohabitation difficile entre deux camps, qui sont tous victimes de la pression foncière. La commune de Nguéniène semble payer le plus lourd tribut car n’ayant plus de terres à cause de la convoitise des promoteurs, qui ne soucient plus des couloirs de pâturage où vont passer les troupeaux.
D’ailleurs, les conducteurs de tracteurs de la société Produmel n’oublieront pas de sitôt cette terrible journée passée dans la zone de pâturage du village de Balabougou. Cette fois-ci, les pasteurs et cultivateurs de Nguéniène, opposés à l’installation du projet agricole d’exploitation de melon, ont mis dehors les conducteurs des engins, qui avaient commencé à labourer les 100 ha que la mairie avait attribués à l’entreprise espagnole. Une foule surexcitée et très déterminée, venue des villages de Ndoffane, Ndianda et Guedj, a tout de suite intimé l’ordre aux conducteurs de vider les lieux. Face à leur refus, ils ont sorti leurs machettes pour s’attaquer aux travailleurs. Pris de peur, les conducteurs d’engins ont appuyé sur l’accélérateur pour quitter en trombe les champs afin d’échapper à la vindicte des populations.
Finalement, les travaux ont été arrêtés et les populations ont repris provisoirement leur aire de pâturage et de culture. Elles demandent l’intervention prompte du Président Macky Sall avant que le pire ne se produise. En colère contre la mairie de Nguéniène, qui a octroyé cette assiette foncière à cette société espagnole, Ndéné Diogoul, président des Eleveurs du village de Nguéniéne et aussi président du Foirail de la commune, assène ses vérités : «C’est la mairie qui a œuvré à nous exproprier de la seule zone de pâturage qu’il reste aux éleveurs de la zone nord, elle ne se soucie nullement du développement de la localité. C’est pourquoi nous demandons au maire comment une telle décision peut-elle être prise dans une zone qui ne vit que de l’agriculture et de l’élevage. Au prix de notre vie, nous n’allons pas laisser cet espace au promoteur espagnol, car elle nous a toujours servi de zone de pâturage. Et j’en appelle à la responsabilité de l’Etat, nous sommes des citoyens sénégalais qui vivons de notre activité économique. Donc vouloir nous prendre cet espace, c’est nous appauvrir.»
C’est la troisième fois que ces conducteurs d’engins sont chassés de ce site. A ce rythme, le pire est à craindre. Mbade Sarr, éleveur habitant au village de Ndoffane, ne cache pas sa désolation : «J’ai été vraiment surpris d’entendre que les travaux ont repris alors que nous avions cru que ce problème était réglé par l’Etat. C’est pourquoi j’ai pris ma charrette pour venir m’opposer aux travaux. Le 1/3 de mon troupeau a passé l’hivernage ici, le reste est parti au Djolof pour éviter les divagations. Maintenant, la seule zone tampon qui nous reste et où nous gardons le bétail en période d’hivernage, on veut nous l’arracher.
Si l’Etat veut nous prendre la zone de pâturage, qu’il nous indique une autre zone plus large que celle qu’il nous a prise. Nous ne demandons rien d’autre, sinon l’élevage n’existera plus dans la zone. Avant qu’on en arrive là, nous résisterons par tous les moyens qui sont à notre disposition. C’est pourquoi nous demandons au Président Macky Sall d’intervenir avant que la situation ne dégénère», a invité cet éleveur de Ndoffane.
En plus de sécuriser le périmètre pastoral, les éleveurs ont également enclenché une procédure judiciaire. «Nous avons déjà cédé deux espaces dans le même village : le champ de Soussane pour une superficie de 150 ha et celui de Winditiohal pour 80 ha. Mais au lieu de se limiter à ces terres, la mairie a franchi le Rubicon en allant vers le nord du village pour y octroyer, à la même société, les 100 ha qui nous restaient comme zone de pâturage et qui polarisent l’ensemble des villages de la zone nord de la commune. Plutôt mourir que de l’accepter», tranche net cet éleveur du village de Ndianda.
L’endroit en question est la seule zone de pâturage dans le sud, où plus de 20 mille ovins et caprins sont gardés.
Maintenant, à cause d’un manque d’espaces de divagation et de tapis herbacé, la quasi-totalité des éleveurs parcourent des centaines de kilomètres pour se rendre à Daara Djoloff. Face à la gravité de cet incident, le maire de la commune de Nguéniène n’a pas voulu se prononcer sur la question. Ce problème, qui existe depuis bientôt trois mois, devrait connaître une issue sans contestation.
Mbodiène n’est plus une terre promise pour les éleveurs
Non loin de la commune de Nguéniène, le village de Mbodiène, situé dans la commune de Malicounda, se bat aussi pour la préservation des terres paysannes et de la forêt classée de Nianing. Cette zone, jadis très convoitée par les éleveurs, est devenue méconnaissable à cause de l’urbanisation galopante qui gagne du terrain.
En effet, les populations du village de Roff, situé dans le sud de la commune de Malicounda, s’insurgent contre le projet néfaste d’une entreprise, qui veut installer une carrière dans la forêt classée de Nianing. Elles refusent l’implantation de ce projet à cause des risques sur leur bétail et leur santé. «Quand elle extrait et broie son produit (attapulgite), les habitants du village de Roff, éleveurs et agriculteurs souffrent. Nous avons beaucoup de cas de maladie, c’est pourquoi nous disons non à Sénégal-Mines. Nos troupeaux ne peuvent plus aller dans cette partie pour brouter l’herbe, parce que couverte de poussière», déclare Ernest Dieng, habitant le village de Roff.
Avec cette installation qui date de plus de 25 ans, des paysans et éleveurs du village de Roff ont été spoliés de leurs terres sans indemnisation. «Les troupeaux ne peuvent plus accéder au site, en plus, sur un rayon de plusieurs centaines de mètres, voire de kilomètres, l’environnement est complètement détruit. Ni l’agriculture, ni l’élevage ne pourront plus être pratiqués, sans parler des problèmes sanitaires liés à cette poussière», alertent les populations de Roff.
Pour éviter d’exposer les habitants à des maladies respiratoires, mais également que le bétail ne fasse la transhumance, elles disent «non» à la présence de cette entreprise. D’ailleurs, selon elles, la forêt classée de Nianing permet aux femmes de générer beaucoup de ressources grâce au bois de chauffe et accueille les troupeaux grâce à son écosystème. «Ce qui, du coup, permet d’éviter les divagations en période d’hivernage et encourage la fertilisation des sols», précise Ernest Dieng.