Les talk-shows ramadan, en vogue depuis le début du mois du jeûne musulman sur toutes les télévisions sénégalaises qui les diffusent du lundi au dimanche, souffrent d’un manque de créativité, estiment des spécialistes des médias dont les avis sont à l’opposé de ceux des animateurs de ces émissions, lesquels se targuent de proposer des thèmes variés et éducateurs.
Depuis le début du jeûne musulman, ces émissions foisonnent sur toutes les chaînes de télévision sénégalaises, qui les diffusent parfois jusque tard dans la nuit. La Télévision Futurs Médias (TFM), initiatrice de ce format d’émission en 2016, mise sur son émission culte ‘’Quartier général’’, alors que la Radiodiffusion Télévision sénégalaise (RTS) a décidé de séduire les téléspectateurs avec ‘’Tandarma’’, qui en est à sa deuxième saison.
Les autres chaînes de télévision ne sont pas en reste : ‘’Grand Plateau’’ (SenTV), ‘’Salon d’honneur’’ (Walf TV), ‘’Gudi Gui’’ (DTV), ‘’Ramadan Show’’ (7TV) et ‘’Iftaar’’ sur iTV. Ces émissions interactives, diffusées entre 18 heures et minuit et parfois même jusqu’à l’aube, sont conduites par des animateurs et animatrices aux côtés de journalistes pour mener des débats en société, politique, culture, sport, etc.
Animatrice principale de l’émission de la RTS, Yakham Thiam estime que ‘’Tandarma’’ se démarque des autres talk-shows dans la mesure où cette émission se focalise sur les enseignements du Coran. Aussi cette émission fait-elle une large place à sa rubrique ‘’Wareef Koor’’, où le maître coranique Mohamed Lamine Diop s’évertue avec pédagogie à répondre aux questions des internautes, le digital y tenant une place importante, explique-t-elle à l’APS.
‘’Tandarma’’, précise Yakham Thiam, ne parle pas de confréries, mais se focalise plutôt sur des thèmes en rapport avec l’islam tels que ‘’Islam et dialogue islamo-chrétien’’ ou encore ‘’Islam et troisième âge’’, ‘’Islam et sport’’, etc. Pour décortiquer ces sujets, la chaîne publique fait appel à des personnes ressources, des experts pour la plupart.
L’animateur vedette Boubacar Diallo, alias Dj Boubs, précise qu’‘’Iftaar’’, l’émission qu’il conduit sur la chaîne de télévision iTV, de 22 h 30 à 1 heure du matin, est un rendez-vous destiné à ‘’éclairer la nuit du ramadan’’.
‘’Nous nous évertuons à servir un débat productif, des sujets de société, des débats contradictoires aux gens qui, après avoir mangé et fait leurs prières, sont assis devant leur téléviseur pour suivre un rendez-vous avec la société, les politiques’’, dit-il.
Boubacar Diallo rappelle que l’émission a déjà reçu comme invité le colonel Antoine Wardini, ancien commandant de la zone militaire n °1, à l’occasion de la célébration de l’anniversaire de l’indépendance du Sénégal, le 4 avril dernier, tout comme le ministre des Pêches, Papa Sagna Mbaye, Yaye Fatou Diagne, la maire de la commune de Ngathie Naoudé (centre)… Boubacar Diallo précise que les sujets sont choisis par la rédaction d’iTV.
L’émission ouvre la voie à un concours de récitation du Coran et aux actions sociales, avec des dons de produits alimentaires pour les nécessiteux. ‘’Chez nous, on ne montre pas les visages des bénéficiaires’’, prend-il soin de préciser. Pour lui, les contenus des talk-shows ramadan diffèrent d’une chaîne de télévision à une autre.
Le manque de créativité décrié
Cette analyse n’est cependant pas partagée par l’expert audiovisuel Mamadou Baal, ancien directeur de la chaîne publique sénégalaise, la RTS, qui relève un ‘’manque de créativité’’ de ces talk-shows qui ont, selon lui, les mêmes contenus. ‘’Dès qu’une télévision propose quelque chose qui accroche, tout le monde fait la même chose. Il y a une paresse de l’esprit, on ne cherche pas, on triche’’, constate-t-il.
Mamadou Baal explique que les chaînes de télévision locales n’ont pas de budget de production. Faire de la télévision nécessite des moyens financiers importants, rappelle Mamadou Baal, estimant que ‘’la télévision doit être confiée à des gens qui ont des moyens pour la faire’’.
La télévision, précise-t-il, c’est de l’édition incluant la programmation et le contenu dévolu à la télé, alors que la production doit revenir aux artistes habilités à créer. Il a rappelé que la Télédiffusion du Sénégal, appelée aussi TDS SA, s’occupe de l’archivage, du transport et de la diffusion. Ailleurs, dans les pays anglo-saxons, dit-il, la production est confiée à d’autres acteurs. L’expert audiovisuel salue toutefois les émissions ‘’Quartier général’’ et ‘’Tandarma’’, qui essaient d’être créatives.
‘’‘Quartier général’ et ‘Tandarma’ sont de belles émissions, avec un décor réussi, une variété de rubriques. Ils essaient d’être créatifs, il y a du spectacle. La télévision, c’est du spectacle…’’ soutient le consultant en audiovisuel, qui conseille un dosage du temps d’antenne des émissions.
Les journalistes Adama Sow et Ousmane Sène sont eux aussi on ne peut plus critiques. Ils relèvent le manque de créativité dont souffrent ces émissions. ‘’C’est vraiment le symbole de la panne en termes de créativité, en concept ou contenu audiovisuel dans nos télévisions sénégalaises. C’est un format qui a été recopié par toutes les télévisions’’, s’est désolé Adama Sow, rappelant en avoir fait le constat il y a deux ans.
Ces émissions copiées par les chaînes de télévision relèvent de ‘’l’anti-télévision’’, raille le journaliste et expert en communication.
‘’Les décors sont faux et inadaptés, si on parle de télévision. Je suis désolé ! Ils sont inappropriés en télévision. Regardez ces fauteuils […] dans un espace tellement grand. C’est de l’ostentatoire et c’est vraiment en porte-à-faux avec ce que l’émission veut véhiculer’’, critique Sow.
Il estime que le problème avec les concepts de ces émissions est le placement des produits. ‘’Le caractère commercial est très violent, c’est de la tromperie sur la marchandise’’, relève le spécialiste des médias. Ce sont des tribunes pour ‘’des navétanes’’ (championnats populaires de football organisés au Sénégal pendant l’hivernage) entre des confréries’’.
‘’Il faut que les gens se ressaisissent. Le côté griotico-religieux dévoile le sens et masque le côté spirituel. Les sociologues diraient que c’est le reflet miroir de la pratique religieuse au Sénégal où tout est buzz’’, conclut Adama Sow.
Un problème de timing et de contenus
Directeur de la radio UCAD FM, le journaliste Ousmane Sène déplore la généralisation de ce type de talk-show sur les chaînes de télévision sénégalaises. ‘’Il y a un problème de timing, de contenus et un suivisme remarqué par tous’’, déplore-t-il.
Sène, qui a exercé d’importantes fonctions à la chaîne Walf TV, estime que le ramadan devrait être mis à profit pour mieux apprendre et maîtriser la pratique religieuse, ainsi qu’une occasion de mettre les religieux au-devant de la scène. La parole devrait leur être donnée, pour des interventions en profondeur dans le domaine de la religion. ‘’Malheureusement, ces émissions fourre-tout tournent en bourrique certaines pratiques religieuses. Il y a des débats politiques, une sorte de redondance sur les autres émissions quotidiennes’’, relève-t-il, déplorant que sur les plateaux de ces émissions, ‘’la parole prend le dessus sur l’image’’.
Mais tout cela ne semble guère tourmenter les téléspectateurs qui préfèrent zapper selon le contenu des émissions et leur degré de fidélité ou non à une chaîne de télévision. Maguette Ba, un balai à la main, promène son chariot sur la rue 6 de La Médina. La technicienne de surface dit regarder ‘’Quartier général’’ de la TFM pendant les week-ends, car elle doit se coucher tôt les autres jours de la semaine, pour être d’attaque au boulot du lendemain.
De retour d’une séance d’entraînement, un jeune homme rencontré sur la corniche est un habitué de l’émission ‘’Grand Plateau’’ de la SenTV. Mbayang se décrit, elle, comme un accro de l’émission ‘’Tandarma’’ de la RTS, qu’elle trouve plus ‘’instructive’’ que ses concurrentes.
« APS »