La situation de l’enseignement préscolaire dans la région de Matam est peu reluisante. Avec ses 9,03%, la région détient l’un des plus faibles taux d’enrôlement sur le plan national. Ce constat, justifié par divers facteurs sur le terrain, pourrait être inversé grâce à une meilleure sensibilisation des communautés de base et le renforcement des infrastructures dédiées.
Dossier réalisé par Falel PAM (Correspondant LE SOLEIL)
Il est admis que le préscolaire constitue une étape très importante dans le processus de scolarisation des enfants. Le passage dans ce sous-secteur de l’éducation permet de développer plus facilement et plus rapidement des aptitudes et des habiletés personnelles et cognitives, selon les spécialistes.
Et pourtant, à Matam, l’enseignement préscolaire ne décolle pas. Une situation que regrettent les autorités académiques de la région. Dans cette académie, l’enseignement préscolaire n’emballe pas trop les populations. Selon les récentes données statistiques, le taux de préscolarisation est estimé à 9,03%. Très largement en deçà de la moyenne nationale qui tourne autour des 17,3%.
Évoquant le sujet, Mbaye Babou, l’Inspecteur d’académie, dresse d’abord la cartographie du sous-secteur avant de revenir sur les raisons qui justifient le faible taux de préscolarisation dans la région de Matam. « Nous avons 186 structures préscolaires dans la région, dont 45 cases des tout-petits, 10 classes préscolaires créées dans certaines écoles élémentaires, 14 écoles maternelles et 117 classes préscolaires communautaires sous l’impulsion du projet Investir dans les premières années de la vie pour le développement humain au Sénégal (Pipadhs) », a-t-il listé d’emblée. Dans cette cartographie, l’autorité académique précise que «Kanel regroupe 39,78% de structures, Matam 38,17% et Ranérou 22,5%». 11.241 enfants fréquentent ces structures dans la région de Matam. Ceux-ci sont encadrés par 403 intervenants composés de 195 titulaires, 72 contractuels, 73 intervenants communautaires et 63 bénévoles ».
De l’avis de l’Inspecteur d’académie de Matam, les populations de la région doivent faire preuve d’engagement pour booster le taux de préscolarisation dans la région.
Les raisons d’une désaffection
Selon Mbaye Babou, plusieurs facteurs justifient le faible taux de préscolarisation dans la région de Matam. L’Inspecteur d’académie cite, en premier, les pesanteurs sociales liées notamment à la méconnaissance de l’intérêt et des enjeux de la préscolarisation dans la vie scolaire et dans l’évolution de l’enfant. « Le poids des pesanteurs socioculturelles figurent parmi les obstacles qui justifient le manque d’intérêt noté chez des communautés pour la préscolarisation des enfants », affirme l’Inspecteur d’académie.
À Matam, les pesanteurs socioculturelles constituent un frein à l’adhésion des communautés pour un enrôlement plus accru dans le sous-secteur, martèle l’IA. « Beaucoup de parents refusent d’envoyer leurs enfants au préscolaire, car pensant que seuls des chants et des danses y sont dispensés », déplore M. Babou. « Nous avons aussi noté la faiblesse des initiatives communautaires, l’existence d’un environnement scolaire peu attrayant et l’insuffisance des structures d’accueil appropriées. Tout cela ne favorise pas le développement du préscolaire dans la région », note Mbaye Babou. Il évoque également d’autres aspects tels que le déficit d’infrastructures dédiées et de personnels d’encadrement qualifiés ainsi que la réticence des communautés concernées d’envoyer dès le bas âge, leurs enfants dans l’enseignement classique. « Dans cette région, beaucoup de parents préfèrent d’abord envoyer leurs progénitures à l’école coranique (daaras) jusqu’à un certain âge avant de les conduire dans les établissements scolaires. Ce qui fait qu’on n’arrive pas à enrôler un nombre important d’enfants dans le préscolaire », a laissé entendre l’Inspecteur Babou.
Abondant dans le même sens, l’Inspecteur de l’éducation et de la formation (Ief) de Kanel, Mouhamed Bassirou Diop, soutient aussi que dans ce département, « seuls 4093 enfants sont dans le préscolaire pour un total de 78 structures, dont 13 dans la commune de Orkodiéré ». Il est d’avis que le préscolaire, dans cette partie Nord du pays, fait face à des obstacles liés particulièrement aux pesanteurs socioculturelles. « Les pesanteurs socioculturelles constituent le principal frein qui plombe le sous-secteur dans notre région », a indiqué l’Inspecteur Diop.
« À vrai dire, les parents se laissent emporter par des préjugés qui ne favorisent pas le développement de l’enseignement préscolaire dans cette académie », a souligné l’Ief de Kanel. À l’image de l’Inspecteur d’académie, M. Diop pointe aussi du doigt l’environnement scolaire peu attrayant et l’insuffisance de structures d’accueil appropriées. Comme l’a souligné Mbodj Ndiaye, le Directeur de l’école maternelle El Hadji Mamadou Guèye de Matam, le manque d’infrastructures adéquates est l’un des facteurs qui plombent le sous-secteur du préscolaire dans la région de Matam. Pour preuve, dit-il, la commune de Matam ne dispose que de 5 structures dédiées à la petite enfance. « Beaucoup d’enfants ne sont pas préscolarisés parce qu’il y a un réel manque de structures préscolaires pour les accueillir. On note une insuffisance d’établissements dédiés au cycle préscolaire. C’est peut-être ce qui est à l’origine du faible taux de préscolarisation dans l’académie de Matam », a dit le Directeur d’école. Selon Issa Kane, l’Inspecteur en charge de la petite enfance dans l’Ia de Matam, le manque d’établissements dédiés à la petite enfance constitue un handicap pour le développement de l’enseignement préscolaire.
L’inspecteur Kane souligne également la concurrence des écoles coraniques (daaras). « On n’a pas tous les enfants préscolarisables dans les écoles préscolaires. Les écoles coraniques concentrent l’essentiel des enfants. On n’arrive pas à enrôler beaucoup d’enfants dans les établissements préscolaires de la zone », a-t-il souligné. La prédominance des foyers religieux dans la région, selon Issa Kane, n’encourage pas l’enseignement préscolaire parce que les parents préfèrent souvent envoyer leurs enfants dans les daaras d’abord.
Président des parents d’élèves de l’école maternelle El Hadji Mamadou Guèye de la commune de Matam, Ahmed Guèye, partage le même avis que les inspecteurs. Il estime qu’il est difficile d’enrôler tous les tout-petits en âge de fréquenter le cycle à cause de la faiblesse des capacités d’accueil dans les structures. Il estime néanmoins que les choses commencent à bouger dans le bon sens dans la ville de Matam où, dit-il, les populations commencent à comprendre l’importance de l’enseignement préscolaire. La demande est de plus en plus forte à l’école maternelle El Hadji Mamadou Guèye, implantée depuis 1984, dans la commune, affirme le parent d’élève. Les populations, soutient-il, commencent à sentir la nécessité d’envoyer, très tôt, les enfants dans le système éducatif, notamment dans le préscolaire. Il invite à une sensibilisation tous azimuts des populations afin qu’elles puissent comprendre que « le préscolaire permet à l’enfant d’avoir suffisamment de compétences pour aborder facilement le cycle élémentaire».
La sensibilisation : un levier à activer
Selon l’Inspecteur d’académie de Matam, l’État est en train de déployer des efforts pour booster le taux de préscolarisation dans cette région. « Des progrès ont été notés avec la mise en œuvre du Projet Investir dans les Premières Années Pour le Développement Humain au Sénégal (Pipadhs) qui nous a permis de faire passer le taux de préscolarisation de 7% à 9,03% sur le plan régional, aujourd’hui », a déclaré l’IA. Selon Mbaye Babou l’invite du Chef de l’État à généraliser l’enseignement préscolaire dans le système éducatif peut aider aussi à relever le niveau de préscolarisation dans tout le pays. Il recommande aux acteurs de l’éducation de renforcer la sensibilisation sur le terrain pour lutter contre certains facteurs qui plombent encore le sous-secteur dans certaines localités du pays. « Il faudrait une implication particulière à la base des collectivités territoriales et des populations pour lutter contre les préjugés », a dit M. Babou. Il invite les collectivités locales à s’impliquer aussi dans la construction d’infrastructures dans le sous-secteur.
Issa Kane, le chargé du sous-secteur à l’académie de Matam, suppose que les parents n’ont pas été suffisamment sensibilisés. Selon lui, il est impératif de mener des campagnes de sensibilisation afin de leur faire comprendre l’importance et l’intérêt de l’enseignement préscolaire pour l’enfant.
Ces collectivités territoriales à pied d’œuvre
Pour accompagner les efforts de l’État dans le sous-secteur de la petite enfance, des initiatives ont été développées dans certaines localités de la région. C’est le cas du Dandé Mayo où les populations ont construit plusieurs structures dédiées aux tout-petits. Il en est de même à Gababé Pêcheur (Commune de Dabia), Ndiaffane Sorokoum et Ndiaffane Bélithindy (Commune des Agnams). « L’engagement de ces villages a permis, aujourd’hui, à beaucoup d’enfants, de fréquenter le préscolaire», a affirmé le président des jeunes de Ndiaffane Sorokoum, Yaya Daby Gadio. Pour lui, les mairies et les conseils départementaux doivent s’impliquer davantage en injectant des moyens assez conséquents pour le développement de la petite enfance dans cette partie septentrionale du pays.