Épouser un homme dont on ignore tout de sa famille, de ses activités, de ses fréquentations, peut parfois s’avérer dangereux. La sulfureuse Arame Ba l’a appris à ses dépens. Cette belle nymphe a succombé aux charmes d’Aly Bousso. Une idylle qui l’a menée dans une vie à trois avec l’apparition impromptue du jumeau de son époux qui avait disparu sans laisser de traces. Qui est le vrai ? Qui est le faux ? Avec qui refaire sa vie ? Le lecteur a 282 pages pour démêler les intrigues dans « Légitime imposture », l’époustouflant roman de Marème Soda Ndoye Lô, et connaître la vérité.
Par Le SOLEIL
Une imposture peut-elle être légitime ? C’est la question qui traverse l’esprit quand on voit le titre du livre « Légitime imposture » de Marème Soda Ndoye Lô. L’intrigue commence même avant que l’on n’ouvre les pages de son deuxième roman après « Un homme infidèle et parfait » paru en 2012 aux éditions L’Harmattan. L’auteure nous replonge à l’époque romantique qui fourmillait de héros « imposteurs », de personnages vivant sous une fausse identité. Sauf que dans l’ouvrage, cette imposture est parfois « justifiable » pour l’imposteur.
Avec « Légitime imposture », Marème Soda Ndoye Lô nous plonge dans un roman de 32 chapitres truffé d’intrigues, où les situations se mêlent, s’entremêlent. L’auteure nous immerge dans l’univers d’Arame Ba, une nymphe qui a tout pour être heureuse, mais qui se retrouve dans une situation inextricable. Son mari, Aly Bousso, disparaît un samedi 30 juin 2009, six mois seulement après l’avoir épousée. De lui, elle ne reçoit qu’un coup de fil deux jours plus tard. Puis, plus rien. Jusqu’au jour où elle tombe sur Malang Niang, un jeune paumé de 32 ans, qu’elle prend pour sa douce moitié disparue. La ressemblance est frappante. Ce dernier, après avoir connu la désillusion à Dakar ne pouvait rêver mieux.
Originaire de Dindéfélo, dans la région de Kédougou, le jeune étudiant s’est vite rendu compte que la capitale n’était pas cet Eldorado auquel il avait rêvé. Après s’être fait virer de l’université pour avoir redoublé deux fois, il se retrouve sans toit ni argent ni boulot. Expulsé de sa chambre à cause d’arriérés de paiement, il élit domicile dans la rue, vit dans une précarité absolue. Il projette alors de tenter sa chance en embarquant dans les pirogues de fortune pour rallier l’Europe. Jusqu’à son agression à Colobane par des voyous qui lui prennent toutes ses économies qu’il avait si durement thésaurisées. Il y voit un signe du destin. Avec ce tournant inattendu que prenait sa vie marquée par une frustration chronique, il se convainc qu’il n’avait rien à perdre pour se faire passer pour Aly Bousso, malgré les risques. Et la vue des « formes proéminentes » de la jeune femme le persuade davantage d’usurper l’identité de son sosie. Un jeu trouble auquel il se prête volontiers en feignant de perdre la mémoire, d’être amnésique.
ÉCRITURE SANS FIORITURES
À travers les 282 pages de ce roman d’une écriture sans fioritures, l’auteure réussit à construire un puzzle périlleux et subtil. Elle installe le lecteur dans un « jeu de déséquilibre et d’énigme » comme le souligne si bien Abdoulaye Racine Senghor dans sa préface. La trame de l’histoire est bien maîtrisée, le suspense omniprésent, parfois insoutenable. Tout au long du récit où les apparences sont souvent trompeuses, le lecteur se perd dans un lacis d’intrigues à démêler. Et ce n’est qu’au chapitre 8 qu’on saura ce qu’il est advenu du vrai Aly Bousso. Ce dernier, pendant que sa vraie femme était rongée de désespoir, se trouvait à mille lieues à la ronde, précisément à Allentown, en Pennsylvanie, où il se faisait appeler Gordon. Il se la coulait douce avec une belle blonde, Sarah, dont les parents étaient ses parrains. Il s’était marié à la jeune femme deux ans plus tôt et avait coupé les ponts avec ses parents restés à Dakar. Le couple était dans un programme de protection de témoins du Fbi. Ils avaient assisté à un meurtre suivi d’extraction d’organe impliquant de très hauts responsables et les malfrats voulaient les éliminer.
Après une soirée arrosée en compagnie de Arame et durant laquelle il met fin à la « diète charnelle » de deux ans de la dame, Malang Niang se retrouve grâce à un phénomène télépathique inexplicable en Pennsylvanie, aux côtés de Sarah. Dans le même temps, Aly Bousso est téléporté à Dakar. Les deux hommes ont échangé de personnalité ; l’âme de l’un s’était retrouvée dans le corps de l’autre. Le vrai Aly était toutefois étonné de se retrouver avec sa vraie femme et pendant ce temps, Malang peinait à retrouver ses esprits. Le doute s’était installé dans la tête du vrai Aly qui s’était aperçu que quelqu’un avait pris sa place et couchait avec sa femme. De son côté, le « faux » Aly avait découvert que le « vrai » Aly était bien vivant et menait une double vie. Alors était née « une relation à trois aux conséquences insoupçonnées ».
SUSPENSE ET REBONDISSEMENTS
Mais pour Malang Niang, il était hors de question d’arrêter ce jeu après avoir partagé l’intimité de sa « femme ».
Pour bien mener sa trame, l’auteure diplômée de l’Ecole nationale d’administration (Ena) et Conseiller technique au Secrétariat général du ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur (Maese), a fait jouer son imagination fertile. Arame qui nourrit le secret désir de devenir mère, d’avoir un enfant pour lui tenir compagnie pour nourrir sa vie de joie, tombe enceinte ; les malfrats kidnappent Sarah et lui prennent un rein, le nouveau Aly Bousso apprend qu’il est le Directeur général d’un hôtel cinq étoiles, Bocoum, le policier qui a réussi à démêler l’énigme en découvrant que Aly Bousso et Malang Niang sont des jumeaux en miroir, c’est-à-dire identiques mais avec des empreintes digitales symétriques, se fait percuter par un bus qui roulait à grande vitesse alors qu’il traversait la route pour informer Arame de sa découverte … Autant de suspense et de rebondissements qui tiennent en haleine le lecteur.
En découvrant que Malang Niang avait usurpé l’identité de son « fils », le vieux Tamsir Bousso se rend à Kédougou pour connaître la vérité. C’est là-bas que tout a commencé. En mettant au monde les jumeaux, leur mère est décédée. Et avant de rendre l’âme, elle avait supplié Tamsir qui travaillait à l’époque avec des volontaires américains d’amener l’un d’eux pour éviter que la vision du Djalma, une prédiction, se réalise. Les jumeaux ne devaient pas « toucher à la clé au risque d’embrouiller leurs âmes à trois reprises ». Et si cette clé c’était Arame, le fruit défendu auquel Aly Bousso et Malang Niang ont tous deux touché, goûté ? Leurs âmes s’étaient déjà embrouillées après leur échange de personnalité à deux reprises.
ACCUMULATION DES MALHEURS
C’est ce qui expliquait sans doute la difficulté d’Aly Bousso de revenir à Dakar et l’accumulation des malheurs.
Malang Niang qui voulait mettre fin à la vie d’Aly Bousso devenu son rival dans le but de prendre la sienne à Dakar provoque volontairement sa téléportation aux Etats-Unis. Malencontreusement, ce troisième échange de personnalité permet à Aly Bousso de retrouver sa vraie vie, de revenir à Dakar. Il redevient complètement Aly. L’imposture de son jumeau était une aubaine pour lui. Sa femme lui avait donné un enfant, son boulot et ses affaires marchaient comme sur des roulettes ; même s’il se sentait coupable d’avoir abandonné Sarah. Cependant, Arame n’était plus heureuse. Sa vie de couple était devenue un désastre depuis le départ du faux Aly et le retour du vrai Aly arrogant, insolent, mesquin. Elle finit par tout comprendre en tombant par pur hasard sur une demande d’emploi de Malang Niang. Les pièces du puzzle se rassemblèrent dans sa tête. Aly lui avoue avoir un jumeau qui avait pris sa place, lui explique leur échange de personnalité. Elle se rend alors compte qu’elle aimait Malang et non Aly. Et il n’y avait pas de place pour deux dans sa vie. L’un l’avait épousée et l’autre était le père biologique de son enfant. Après 7 ans passés dans le coma, Malang est de retour à Dakar pour reprendre sa place. Arame devait choisir entre son mari et l’imposteur. Le destin le fera à sa place. Les malfrats engagés par Tamsir Bousso pour éliminer Malang Niang se trompent de cible et tuent Aly Bousso qui avait commis l’imprudence de se trouver sur les lieux, malgré les mises en garde de son père.
Derrière ce récit tout aussi poignant que passionnant, parfois cruel, qui plonge le lecteur dans un enchevêtrement d’intrigues bien ficelées et captivantes, le message de l’auteure est on ne peut plus clair. Pour la présidente du Cénacle des jeunes écrivains du Sénégal, « Vivre ce n’est pas seulement maintenir son enveloppe corporelle avec la nourriture, les médicaments, le sport, le plaisir. C’est aussi faire une succession de conquêtes du savoir, de l’avoir et du pouvoir. L’usage fait de ces acquisitions en représente les véritables défis ». Pour l’auteure, « les tentatives de modifier le destin conduisent à des évènements prévus et nécessaires à son accomplissement ».