Des voitures disparaissent souvent : la faute aux voleurs. Des propriétaires de voitures disparaissent souvent, après avoir déposé la caisse chez le mécano. Et pour cause…
Il ne sait pas, et il ne cherche pas trop à savoir. Monsieur est plus occupé à faire jaillir du feu de son briquet pour allumer sa cigarette qu’à causer. Il se bat contre le vent. Et c’est presque parler dans le vent que d’essayer de lui parler. «Il faut demander aux clients», dit-il néanmoins. Cheikh Ngom n’essaie pas de comprendre les raisons pour lesquelles les clients, qui ont demandé à ce que leurs malades soient remis en état, se font rares une fois le patient déposé chez le médecin qu’il est.
Il a sa clinique à ciel ouvert. A ciel ouvert, les opérations se font. Certaines ont le ventre ouvert, d’autres voient leurs boyaux tachés de poussière. Des éborgnées par-ci, des écorchées par-là. Des voitures, chez Ngom, un mécanicien installé sur la Vdn. Le mécano de dire sèchement que «tôt ou tard, ils finissent par venir récupérer leurs voitures». Seul cela compte pour lui. De l’autre côté de la même route, un autre mécanicien, plus loquace, Alioune Badara Djiba, lui, estime que le temps que les voitures en face de lui font dans son atelier diffère. Mais, elles ont en commun ceci, tellement elles s’y sont éternisées : M. Djiba ne sait plus depuis quand elles y sont. Exactement ! Deux Tabaski pour l’ambulance, depuis les premières pluies du dernier hivernage pour la voiture jaune.
Et, le mécanicien en est plus que convaincu, l’ambulance ne transportera plus jamais de malade. Pire, ses propriétaires ne sont pas près de revenir reprendre la carcasse qui encombre l’atelier de Aliou Badara. Un vrai cimetière ! L’homme aux doigts noircis par le labeur s’offusque du fait que plus d’un ait le vice de prendre les ateliers de mécaniciens pour leur décharge. Il s’en offusque ! «On aurait aimé que les voitures qui nous parviennent soient réparées dans les plus brefs délais, afin que de l’espace se libère», souligne M. Djiba, rappelant que l’apparence de décharge impacte négativement leur travail.
L’Etat n’est jamais loin. Et ses agents sont parfois de passage pour signifier aux occupants que l’espace ne doit pas être occupé tel dans les jungles. Paroxysme de l’incompréhension : «Je ne peux pas concevoir qu’un individu qui a de l’espace chez lui puisse ne pas y garder sa voiture !» Seulement, tout le monde ne laisse pas sa caisse pour s’en débarrasser. Devant Aliou Badara Djiba, une Bmw X1, précise-t-il, une édentée sans cœur ! Le moteur est mort, la devanture arrachée. L’atelier est son cimetière, comme il l’est pour une autre que M. Djiba indique du doigt…, temporairement. Au moins, «son propriétaire passe des fois». Il leur faut pourtant 2 millions 500 mille pour ressusciter la bagnole. Aussi, les pièces manquantes ne sont pas disponibles…
Teranga, sénégalaisement
Des fois, ce sont des numéros de téléphone, voire tout autre moyen de contacter le proprio, qui sont indisponibles. L’huile a assez craché sur leur blouse pour en occulter la couleur originelle, mais les «médecins» des bagnoles en ont l’habitude. Ils ne sont pas moins de cinq à s’activer autour d’une 4×4. Bouche-à-bouche, massage cardiaque, scalpel…, une autre opération en plein air. Sur l’avenue Bourguiba, cette fois-ci. Ce n’est que la partie visible de l’atelier Bmg.
Plus loin, dans une rue, et derrière le bureau des Impôts et domaines de l’avenue Bourguiba, un monde s’ouvre. Voitures en réparation, voitures déjà réparées, voitures qui ne seront jamais réparées, voitures oubliées, voitures dont on ne souvient plus du visage du propriétaire… Bassirou Amar, le chef de garage, soutient qu’il y a des caisses qui en sont à dix ans de présence au sein de son lieu de travail. «Si on est sûr que le client n’est pas prêt à s’investir dans la réparation de sa voiture, on le rappelle aussitôt pour qu’il vienne la récupérer. Mais, ce n’est pas tous les jours qu’on arrive à déceler cela chez un client», renseigne M. Amar. Ceci faisant que ses collègues et lui sont assez souvent obligés de laisser certaines voitures faire partie du décor de leur atelier.
Disparition du client oblige. A côté du chef de garage, une Citroën… qui n’a plus de propriétaire et sur laquelle il y a pourtant les traces d’un travail de tôlerie déjà entamé. Obligés de les garder, ceux-là qui ne s’arrogent pas le droit de dépiécer la voiture d’autrui et qui n’ont pas les moyens de les déplacer ! Et on tolère, on supporte le manque de réactivité de certains, parce que ce sont des clients de longue date, et qu’on connaît leur bonne foi. Les relations de travail se transformant en relations amicales aussi. Même si le client ne peut plus prendre en charge la réparation, patience et compréhension ! Teranga quoi…