À la Galerie nationale d’art de Dakar, les artistes du Collectif des plasticiennes du Sénégal jettent un regard pluriel sur la femme sénégalaise au salon « Jokkooti ».
Par Nénucha CISS (stagiaire)
Le titre ne s’invente pas. Il porte le nom des tableaux de la plasticienne Amoyi Hawawoo : « La femme dans toute sa plénitude ». Cette artiste fait partie des 63 membres du Collectif des plasticiennes du Sénégal (Cps) qui exposent jusqu’au 13 novembre 2022 à la Galerie nationale d’art à Dakar. Avec ses créations hautes en couleur, l’artiste Amoyi Hawawoo offre à la vue du public des portraits de femmes noires somptueuses dans leurs boubous de couleurs chaudes (rouge, orange) et claires. Leurs ports vestimentaires font rayonner leurs univers comme les parures éclatantes de la « Femme peule », œuvre de l’artiste Maguette Coulibaly.
Les tableaux du salon « Jokkooti » sont réalisés comme beaucoup d’autres à l’aide d’une peinture acrylique sur toile. Ils font apparaître les femmes sous des traits sombres et mystérieux. C’est à l’image de la création de la plasticienne Korka Ndiaye dénommée « L’arbre mystérieux ». Son tableau dessine les contours d’un tronc d’arbre, composé de couleurs vives et de figures géométriques, avec des perles. L’arbre échevelé n’est pas en paix. Car au milieu de son feuillage multicolore, un œil et une bouche l’obsèdent. Ce sont celles d’une femme. Elle est aussi mystérieuse que le chat tigré du Cheshire, célèbre personnage fictif du roman de Lewis Caroll : « Alice au pays des merveilles ». Elle vous fixe du regard comme si elle avait quelque chose à vous dire. Mais quoi ? À travers cette peinture authentique, l’artiste dépeint la femme comme un être teinté de mystère insaisissable pour l’homme, une énigme pour elle-même. Elle est à la fois séduisante et effrayante, réaliste et onirique. Tout un charme s’opère autour d’elle. N’est-ce pas ? Quant à la « femme obscure » de Anta Germaine Gaye, elle nous fixe du regard avec les pupilles noires comme la nuit. Impénétrable ! Que regarde-t-elle si intensément ? A-t-elle peur ? A-t-elle vu des horreurs ? Toute en encre et émail, les tresses descendues sur le front, la « Femme obscure » garde le fond de sa pensée dans le noir de ses yeux.
UNIES POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE
Dans le sillage de Amoyi Hamawoo, la plasticienne Aminata Seck élève les femmes aux nues. Avec son tableau « La prière », elle les éclaire sous un halo de lumière aussi chaude que le soleil ardent d’Afrique. Elles sont sublimes, drapées dans leurs ensembles clairs-obscurs. Dans sa toile rouge huile de palme, quatre femmes tirent leurs forces de la racine des prières de leurs sœurs. Elles forment un tronc d’arbre puis des branches de bras tendus vers l’au-delà. Ensemble, elles sont un baobab majestueux, structuré. Ensemble, elles sont plus fortes et plus audacieuses.
Cette toile d’Aminata Seck incarne bien le thème du 1er salon du collectif des plasticiennes du Sénégal : « Jokkooti ». Car par le nom « Jokkooti », mot wolof qui veut dire communiquer, l’exposition invite les femmes sénégalaises au dialogue, à l’édification de solutions durables essentielles pour lutter pour la protection de l’enfant et contre les violences conjugales. Deuxième thème cher à toutes les exposantes. Le mutisme des femmes n’est pas une option comme le sculpte Ndeye Djenaba Dembelé. Avec son « cri de cœur », une structure en céramique formée par un buste de femme et une main sur la paume de laquelle sont inscrites les lettres du mot « stop », elle appelle la femme africaine à sortir de son enfermement, à dire « stop » à toutes les violences exercées contre elles ou contre les enfants. Adama Boye, présidente du Cps, jointe au téléphone, rejoint le message de la créatrice du « cri de cœur » en ces mots : « Les plasticiennes rappellent à leurs sœurs africaines l’importance de s’unir et de dialoguer afin de construire un avenir meilleur pour elles ». L’unité des femmes est une porte ouverte aux solutions contre les violences qu’elles subissent dans la société.
EXCEPTIONNELLES
Au moyen des plus anciennes disciplines des arts plastiques à savoir le dessin, la peinture et la sculpture, les 63 plasticiennes nous introduisent dans l’univers des femmes. L’artiste Fatoumata Sy se donne à cœur joie dans l’expression de la particularité féminine. Dans ses deux peintures en acrylique et encre sur toile, elle présente la femme africaine comme « la reine du make-up ». Son dessin représente une femme aux lèvres rouges et pulpeuses, qui sourit de son pouvoir de magicienne à savoir sa capacité à se transformer à sa guise. La femme est ici une créature aux facettes multiples. Tantôt rouge, tantôt verte, tantôt orange. Elle est tout ce qu’elle veut. Elle change de couleurs comme elles changent d’humeurs. Avec le maquillage, elle se métamorphose. « La reine du make-up » est aussi une experte du tatouage faciale. Elle se déguise pour plaire et se plaire. Elle touche les gens par l’esthétique de sa toilette. L’artiste Houda Harbaoui est très sensible à cette esthétique féminine. Puisque dans son œuvre « femme », les femmes sont remarquables et pleines de lumière. Elles se couvrent de tissus de couleurs aux motifs en cœur et en fleur. Elles sont pimpantes. Elles donnent l’impression de vivre chaque jour comme une fête. Chaque jour, en effet, elles se donnent le droit d’être belles et irrésistibles. Dans la Galerie nationale d’art de Dakar, les plasticiennes imaginent la femme en puisant l’inspiration dans leurs existences et leur condition féminine. Il est difficile de passer à côté des peintures et des sculptures sans avoir les yeux qui piquent. Les pigments arc-en-ciel des tableaux des plasticiennes du Cps attirent le regard du visiteur du fait de leur brillance, de leur finesse et de leur délicatesse. Il faut le voir pour y croire. Toutes les créations de ces femmes artistes restent accessibles à la vue du grand public jusqu’au 13 novembre 2022. Alors qu’est-ce que vous attendez pour y jeter un coup d’œil ? Vous serez surprises par la qualité des plasticiennes aux talents raffinés et subjectifs. Le salon « Jokkooti », c’est un grand moment de séduction féminine en pointillé.