Symboles de piété, de vertu et de générosité, elles ont marqué l’histoire comme bien d’autres membres de la famille de Cheikh Ahmadou Bamba et de son cercle d’influence. Sokhna Aminata Lô, une de ses épouses, Sokhna Maïmouna et Sokhna Mbène « Ngabou », ses filles, se sont inspirées de la vertueuse Mame Diarra Bousso, illustre mère du fondateur du Mouridisme, pour rendre à cette communauté de foi et à l’Islam d’innombrables services. Les figures féminines mourides ayant contribué au rayonnement de la religion musulmane et au bien-être de l’humain tout court sont nombreuses. Elles sont dignes du récit qui les célèbre. Celles dont les portraits sont, ici, dressés n’en sont pas moins honorables.
SOKHNA AMINATA LÔ, ÉPOUSE DU CHEIKH
L’auréole de la martyre
Parmi les saintes épouses de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, Sokhna Aminata Lô n’est pas des moins illustres. La mère de Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, premier Khalife du fondateur du Mouridisme, et de Serigne Mouhamadou Lamine Bara Mbacké s’est entourée de l’auréole des martyrs après avoir consenti des sacrifices pour le rayonnement de l’Islam. Elle est considérée comme la première femme martyre de la voie mouride.
Issue de la grande famille religieuse de Serigne Mokhtar Ndoumbé de Coki, Sokhna Aminata Lô est la mère de deux figures emblématiques de l’Islam et du Mouridisme : Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, premier Khalife de Serigne Touba, et Serigne Mouhamadou Lamine Bara Mbacké. Un jour, raconte Serigne Cheikh Thioro Bassirou Mbacké, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké avait réuni son entourage juste avant la prière de l’Asr (Takusaan) pour leur dire ceci : « Le Créateur m’a informé qu’il va prendre mon âme, mais il m’a aussi signalé que s’il y avait une personne disposée à me suppléer, ce sacrifice me permettrait de poursuivre ma mission sur terre ». Attentive à ce discours du Cheikh, Sokhna Aminata Lô, soumise et vertueuse, lui répondit : « Je suis avec mes nobles maîtresses (coépouses), Sokhna Awa Bousso et les autres. Je suis votre dévouée esclave, alors je suis prête à vous remplacer pour rejoindre notre Seigneur. Je n’ai que deux enfants, Serigne Mouhamadou Moustapha et Serigne Mouhamadou Lamine Bara ; je vous les confie et vous demande de veiller sur eux ». Serigne Touba, poursuit Serigne Cheikh Thioro Bassirou Mbacké, accepta la proposition de son illustre épouse. Et il en fut ainsi.
À l’approche du crépuscule, relate-t-il, « Sokhna Aminata Lô est allée chercher de l’eau ou du bois de chauffe dans la clairière. Et c’est là qu’elle a été mordue par un serpent ». À son retour, elle trouva le Cheikh en train de prier. Elle finit par succomber à ses blessures. À la fin de la prière, Serigne Bara, alors âgé de sept mois et qui rampait vers sa mère, a été pris et soulevé par son père. Une situation très difficile ».
Ainsi se sacrifia-t-elle pour sa famille et pour toute la communauté islamique. Cette épreuve a sans doute fait de son fils, Serigne Mouhamadou Lamine Bara, un homme d’une dimension exceptionnelle, aux pouvoirs mystiques reconnus. Le Cheikh a alors fait cette prédiction pour son fils : « Mouhamadou Lamine, tu seras élevé à une station qui suscitera l’envie de tes contemporains. Et quiconque sera avec toi aura la félicité ici-bas et au-delà. Il entrera au paradis. N’en doute jamais (…) ». Analysant la portée de ce sacrifice, Serigne Cheikh Thioro Bassirou Mbacké en dit ceci : « C’est ce qui explique la puissance ésotérique du fils du Cheikh. Il est facile de remarquer la baraka d’une femme soumise à travers ses enfants. L’histoire de Birame Yacine Boubou est connue de tous, tellement son acte de bravoure a été chanté, alors qu’elle ne s’était sacrifiée que pour le pouvoir temporel. Vous pouvez donc imaginer à quel point un sacrifice pour la religion musulmane est important ».
SOKHNA MAÏMOUNA MBACKÉ, FILLE CADETTE DU CHEIKH
Une œuvre intemporelle
Elle fut un modèle accompli de la femme vertueuse. Sa formation intellectuelle et son éducation islamique, conformément à son statut, ont fait d’elle une savante, une éducatrice, mais aussi une poétesse réputée.
Sokhna Maïmouna Mbacké, fille de Cheikh Ahmadou Bamba et de Sokhna Khary Darou Sylla, a vu le jour en 1925 à Diourbel. Elle est réputée être une grande formatrice de disciples. La jeune génération qui a eu la chance de connaître la fille cadette de Cheikhoul Khadim retient d’elle ces qualités : piété, générosité, douceur et hospitalité. De Darou Mouhty à Touba, en transitant par Darou Wahab, partout où elle est passée, elle y a laissé une empreinte indélébile. Engagée dans la recherche éternelle de l’agrément de Dieu, elle a été un symbole dans la concrétisation du pacte d’allégeance derrière les vénérables Khalifes de Khadimou Rassoul. De Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké à Serigne Saliou Mbacké, elle a été le prototype du disciple dévoué et du soldat présent à tous les grands combats pour le triomphe de la cause de l’Islam. Sokhna Maïmouna, c’est cette Mouride dont l’amour sincère à l’endroit de son père et maître spirituel n’avait de limite. C’est pourquoi elle s’est engagée dans des chantiers et actions multiples pour le servir.
Cette disciple éprise d’amour pour son guide, Khadimou Rassoul, et animée d’une ferme résolution à le servir a fait de la réhabilitation du Laylatul Qadr (Nuit du destin) dans le Mouridisme un sacerdoce. Durant l’édition de 1998, Serigne Saliou Mbacké, alors Khalife général des Mourides, lui a dit ceci : « Soyez convaincue que les actions que vous entreprenez au service de votre père et maître spirituel sont agréées par Cheikhoul Khadim ». Ce à quoi celle qui a disparu en 1999 a répondu : « Soyez aussi assuré que tout ce que vous voulez dans ce jour, vous et vos illustres prédécesseurs, tout ce que vous y formulez comme prières sera exaucé par Cheikhoul Khadim. Puisse Dieu, par la grâce de l’Élu le plus pur (Al Muçtafâ) et la bénédiction de son vénéré père, Serigne Touba, nous gratifier des bienfaits que renferme le Laylatul Qadr ».
Sokhna Maïmouna Mbacké, à l’instar de ses frères, n’avait comme compagnon inséparable que le Saint Coran et les « Xassaïd » de Serigne Touba. Elle était une référence pour plusieurs générations de femmes qui ont trouvé en elle l’incarnation d’un modèle à tous ses contemporains. Les dignes continuateurs de son œuvre ont hérité d’un legs au poids mystique sans précédent et nécessitant beaucoup de courage et d’abnégation pour mener à bien cette mission.
Les témoignages sur la vie et l’œuvre de cette femme vertueuse, éducatrice hors pair, continuent d’émouvoir la communauté mouride grâce à ses qualités exceptionnelles. Pérenniser son œuvre constitue un défi pour toute une communauté.
SOKHNA MBÈNE « NGABOU », FILLE DU CHEIKH
Une éducatrice au service de l’humain
Khadim Rassoul a donné le nom de Seydatouna Aïcha, l’épouse du Prophète Mohamed, à plusieurs de ses filles et dans son cercle d’influence. Sokhna Mbène « Ngabou », qui s’appelle, en réalité, Aïcha, est l’une d’elles. Elle partage ce prénom avec Sokhna Aïssatou « Gawane », Sokhna Aïssatou « Cadior ».
Sokhna Aïcha Mbacké est née en 1922 à Ngabou, localité située entre Mbacké et Diourbel. Plus connue sous le nom de Sokhna Mbène Ngabou, son nom est lié à cette localité où elle a vu le jour. De l’avis de son fils, Serigne Modou Lô, porte-parole des petits-fils de Cheikh Ahmadou Bamba, Serigne Touba avait érigé, en 1917, une école coranique dans cette localité et y avait logé une partie de sa famille, dont la mère de Sokhna Mbène, Sokhna Faty Khoudia Mbacké, elle-même fille de Serigne Mbacké Ibrahima ou Serigne Mbacké Cadior. Elle était véridique et aimait tous ceux avec qui elle partageait ce caractère, cette vertu. Elle était une grande éducatrice.
Serigne Modou Lô Ngabou est réputé être d’une grande simplicité, d’une grande ouverture d’esprit, d’une rigueur et d’une droiture déconcertante ; des qualités inculquées par une mère vertueuse qui a été au service de la communauté islamique, de l’humain. Il rapporte que le nom de la localité, associé à celle de sa mère, trouve son origine dans ce récit : « Très jeune, un jour, elle et sa mère ont rendu visite au Cheikh à Diourbel. Elle n’a cessé de manifester à sa mère sa volonté de rentrer à Ngabou. Le Cheikh demande alors à son épouse l’objet des sollicitations de sa fille. « Elle insiste pour que l’on retourne à Ngabou ». Et le Cheikh de dire : « Je devrais donc la faire résider à Ngabou, afin qu’elle en fasse sa propriété ». C’est ce qui est à l’origine de cette appellation ».
Serigne Modou Lô Ngabou souligne que sa mère était en bons termes avec tous ses frères et sœurs, et ils le lui rendaient bien. Ils la consultaient souvent devant certaines situations, depuis Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké. Ce dernier l’avait recommandée à des disciples qui, jusqu’à ce jour, lui sont restés fidèles malgré son rappel à Dieu, en 1984, après avoir bien rempli sa mission terrestre.
Sokhna Aïcha Mbacké était connue très dégourdie et entreprenante. D’ailleurs, à l’époque, elle prenait en charge beaucoup d’étudiants de l’Université de Dakar. Elle faisait des pieds et des mains pour leur venir en aide face aux difficultés auxquelles ces derniers étaient confrontés. « Ils venaient constamment lui rendre visite. Je me rappelle, une fois, ils sont venus en nombre impressionnant. Elle m’a alors chargé de les conduire auprès de Serigne Abdoul Ahad Mbacké et de lui faire savoir que si elle prend soin de ces étudiants, c’est juste par rapport à ce que les autorités coloniales ont fait subir au Cheikh. Ces jeunes ayant subi leur formation ne se gênent pas à se confier au Cheikh. Cela prouve juste que le Cheikh a pris le dessus sur elles. C’est la raison pour laquelle elle leur vient en aide », rapporte son fils. Serigne Modou nous apprend également que beaucoup parmi ces étudiants sont devenus, aujourd’hui, de hautes personnalités. Ils ont maintenu le contact et racontent combien l’appui de Sokhna Mbène les a aidés à franchir bien des obstacles. « Quand elle se rendait à Dakar, ces étudiants venaient réciter les panégyriques de Khadim Rassoul dans sa résidence », explique Serigne Modou Lô. Les gardiens de la tradition à Ngabou nous apprennent que les traits dominants de Sokhna Mbène Ngabou étaient, outre une forte personnalité, son culte du travail et sa générosité légendaire.
De son vivant, Sokhna Mbène Mbacké avait choisi le 27ème jour du mois de Tabaski pour organiser des actions de grâce en hommage à Khadim Rassoul. Toutefois, de nos jours, le Magal de Ngabou a lieu le 17ème jour du mois de « digui Tabaski », date à laquelle Sokhna Mbène est venue au monde.
Mamadou DIÈYE (avec www.mourides.com)