« Omar Blondin Diop : Un révolté » est un documentaire qui souhaite participer à percer à jour la vérité des faits sur la mort du défunt contestataire et figure intellectuelle du mouvement communiste au Sénégal (1946-1973). L’énigme entoure encore aujourd’hui sa mort dont le régime de l’époque a vainement tenté de maquiller en suicide. Pour l’occasion, ce documentaire du réalisateur Djeydi Djigo sert de prétexte pour dresser le portrait d’un personnage historique qui continue de hanter le Sénégal, 49 ans après sa mort, à 27 ans.
Par Mamadou Oumar KAMARA
Le mythe persiste. Il s’entête dans le confort de sa légende. Il s’engraisse aussi de l’esprit qui couvre notre ère de contestation populaire mijotée à la sauce du militantisme et du panafricanisme qui sont de mode. Omar Blondin Diop refuse, 49 ans après son décès, de mourir. Son fantôme continue d’envahir le temps et les empreintes de la vie politique. Un film documentaire, produit et réalisé par Djeydi Djigo, tamponne mieux encore le personnage. « Omar Blondin Diop : Un révolté » est à la fois un portrait, un rappel, un tract filmique et un argument pour le dévoilement d’une vérité qui se veut d’Histoire. Il a été projeté en première nationale mercredi dernier au Théâtre Daniel Sorano à Dakar.
Le jeune Omar Blondin Diop, élève au lycée Louis-le-Grand (Paris), est un girond. Socialement, il était un mec gracieux, plaisant, mâtiné aux manières bourgeoises et à la culture française. Son jeune frère, Dialo Diop, le reconnaît d’ailleurs dans le film, avec une petite dose d’embarras. Toutefois, Blondin avait déjà tout d’un anar, réfractaire au désordre social établi par l’autorité. Il est né avec, au Niger, où son père était affecté pour avoir désapprouvé le colonialisme. Le pater partira ensuite en France, en 1960, et son fils le suit encore. Académiquement, Omar Blondin était un génial étudiant, très tôt bâti du sable et du bois intellectuel. Il est admis à l’Ecole normale supérieure Fontenay St-Cloud) et devient ainsi le premier normalien africain.
Le papa et la maman d’Omar Blondin, visiblement pleins de considération pour leur fils, font des confidences dans ce sens.
UN PERSONNAGE SINGULIER ET PLURIEL
C’est aussi à partir de ce moment que ses proches lui découvrent son caractère et ses convictions marqués du rouge du communisme-léninisme. Omar Blondin s’engouffre allègrement dans cet engrenage accéléré par la survenue de « Mai 68 », mouvement protestataire auquel il prend une part active, en France. Cet engagement politique lui vaudra une expulsion du territoire français, une tentative de meurtre, déjà, et un séjour contraint à Londres. « Cela va l’affecter, car il considérait la France comme son terroir, aussi », confie Dialo Diop, pour rappeler l’injustice subie par son frère quant à sa liberté de circuler dans ce pays où il avait fait son adolescence et ses humanités.
De retour au Sénégal, il constate de visu la réalité de la ségrégation et les faits coloniaux persistants. Son mépris pour le système « néocolonial » n’en est que plus grand. Il influence par ailleurs plusieurs de ses frères (Il est l’aîné d’une fratrie de douzes enfants) dans sa posture sardonique et ses opinions gauchistes. Son radicalisme est grimpant. Des témoignages de ses amis et compagnons français sont édifiants : Omar Blondin était devenu plutôt raciste. « Je ne peux plus t’embrasser, t’es un Blanc », a-t-il rétorqué à un ami qui s’excitait de le revoir. Au moment où les luttes progressistes étaient une exaltation, lui, s’y cramponnait.
Ainsi, après déjà son adoption des idées du mouvement Black Panthers depuis quelque temps, il rejoint la Syrie pour s’entrainer militairement et opposer une guérilla urbaine au régime senghorien qu’il considérait fasciste, policier et réactionnaire. C’était dans le contexte de Tupamaros. Il s’y trouvait avec son ami Alioune Sall Paloma, qui intervient dans le documentaire. Ce projet est précipité par l’emprisonnement de ses frères, qui avaient saboté la visite au Sénégal en 1971 de Georges Pompidou, alors président de la France. Ils avaient notamment incendié le Centre culturel français, « symbole de l’aliénation culturelle » et entendaient lancer du cocktail Molotov sur le cortège du président français. Ils seront appréhendés et condamnés à perpétuité, et Blondin projetait de les faire évader depuis le Mali où il s’est retrouvé entre-temps. Il faut noter son sens de la famille, et du devoir.
L’OPINION FAIT CORPS !
À Bamako, il est arrêté par le régime militaire de Moussa Traoré et torturé dans les geôles du fameux Thiékoro Bagayako. Blondin avait corrigé ce dernier, très craint à l’époque, après qu’il l’ait traité de « femmelette ». On trouve par-devers lui des correspondances compromettantes, qui prouvent un projet de kidnapping de l’ambassadeur français à Dakar. Il est extradé à Dakar, en février 1972, et y est jugé à 3 ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’État. Il est incarcéré d’abord à Fort B, puis à la prison de Gorée où étaient envoyés les désobéissants de 100 m² (la Maison d’arrêt de Reubeuss). Là, il subit plusieurs fois la torture des matons, sans jamais se laisser faire. Jusqu’à ce 11 mai 1973 où le Gouvernement sénégalais annonce son « suicide par pendaison, dans sa cellule ». Il avait 27 ans. Son père se rend sur place, constate le cadavre de son fils étalé dans la cellule (Chambre 3), couvert d’un drap, des barres de glace sur le corps.
Le ministre de l’Intérieur fait savoir à la famille Diop qu’il n’est aucunement possible de leur remettre la dépouille, et qu’il sera inhumé avec leur présence ou non. L’opinion ne gobe pas la thèse du suicide, mais le Gouvernement s’y accroche. Il entrave l’instruction et libère les matons inculpés. Le Président Senghor, quelques jours après, à Paris, dira : « Omar Blondin Diop est l’ami de mon fils. Il faut (maintenant) accepter son suicide ». Omar Blondin fait ainsi don de soi, véritablement. Dans ce contexte pénible de parti unique, où les courants politiques sont phagocytés ou étouffés, le héros précoce s’est sacrifié. Il continue d’inspirer toute une génération qui a foi au panafricanisme et a le « rêve sévère ».
Dialo Diop rapporte que Mamadou Dia, à sa sortie de prison en 1976, tenait à voir son père et à dire que c’est au prix du sacrifice de Blondin qu’il est libéré. Ce sacrifice était également un point de départ crucial à la libération de la parole publique et à la reconnaissance de partis politiques opposants au Sénégal. Près de cinquante ans après, le peuple lui manifeste encore sa reconnaissance et refuse de l’oublier. Sa jeunesse entretient sa mémoire et réclame justice, avec sa famille.
Une esthétique qui fait sens
L’esthétique du documentaire a accentué le caractère bouleversant du sujet. Pour les interviews, le chef opérateur a joué sur des fonds sombres, avec de très subtils réverbères rouges. En sourdine, une musique de suspense. Le procédé fait sens. Il maintient le spectateur dans la gravité du thème et le concentre aux témoignages des intervenants qui se veulent intimes et historiques. L’auteur est allé parler aux gens qui connaissent vraiment Omar Blondin, de vrais témoins de l’histoire. C’est l’histoire d’un homme qui chantait le rouge du marxisme-léninisme. Des images d’émeutes et de manifestations populaires d’un passé récent ont renseigné sur la persistance des lamentations et du propos actuel contre la servitude et l’impérialisme. C’est aussi l’histoire d’un homme dont on a peu d’images. Djeydi Djigo nous en sert d’autres, dont une vidéo où il s’illustre dans l’action de « Mai 68 ». Mais l’auteur a lui aussi buté sur la rareté du fond d’archives graphiques sur Omar Blondin, due à la réalité de l’époque et quelque peu aussi à son jeune âge à son décès (Blondin est mort à 27 ans). Djeydi Djigo a eu aussi recours à l’animation 3D et à des archives privées et de presse. Naturellement, les archives de «Le Soleil», seul quotidien d’informations générales, ont beaucoup paru. Ses pages ont été, à l’époque, la tribune privilégiée du Gouvernement pour la propagande en faveur de la thèse du suicide. C’est aussi quelque peu pour cela que le film est raconté, pour respecter la triangulation et servir la version de la famille, 49 ans après. Il aurait peut-être fallu insister sur l’identité artistique de Blondin, qui rejoignait éloquemment sa menée pour la désaliénation de son peuple. La contribution du tube « Afrik » de Seydina Insa Wade aurait aussi été d’un beau panache. Cependant, « Omar Blondin Diop : Un révolté » garde toute sa beauté. Il a d’ailleurs fait partie de la Sélection officielle du Fespaco 2021, dans la section Panorama 2021.