Défenseur assumé de la cause féminine au Sénégal, le ministre délégué Papa Amadou Sarr a été limogé après une sortie téméraire contre certaines pratiques de la société sénégalaise qu’il juge rétrogrades. Son renvoi relance un débat clivant sur les traditions et la situation des femmes dans le pays.
Au Sénégal, Papa Amadou Sarr, ancien ministre délégué à l’Entreprenariat rapide des femmes et des jeunes (DER/ FJ) a présenté des excuses suite aux propos ayant conduit à son limogeage. Le mercredi 9 mars, le président Macky Sall l’a en effet démis de ses fonctions suite à sa sortie sur la femme et la religion. Il avait notamment qualifié d’inepties plusieurs interdictions de l’Islam concernant la gent féminine, comme le fait de ne pas serrer la main du sexe opposé et le fait que la femme doit rester derrière l’homme durant la prière.
Papa Amadou Sarr salue les femmes pour leur « abnégation au travail et leur rôle dans la création de richesse ».
« Mes propos servaient à présenter les conditions de travail dans lesquelles nous sommes, et les difficultés auxquelles les femmes sont confrontées pour accéder au foncier afin de travailler dans les meilleures conditions. Mais ils ont choqué certains religieux et je m’en excuse. En tant que bon musulman et bon croyant, il y a des choses qu’on ne devrait pas remettre en question. Je ne le ferais pas », s’est expliqué le désormais ex-ministre.
Un technocrate qualifié, mais sans réel soutien politique
Sur les réseaux sociaux ces dernières années, Papa Amadou Sarr a souvent récolté des éloges pour son travail en faveur des femmes et des jeunes. Des avis qui contrastaient avec les critiques à lui faites dès son arrivée dans l’équipe gouvernementale, tant par des personnalités proches du pouvoir que des opposants, à lui qui ne faisait partie d’aucun mouvement politique. Normal pour un technocrate apolitique, intégré au gouvernement à cause de son parcours et son CV.
« J’ai expérimenté qu’en donnant le même travail à certaines femmes qu’à un homme de même niveau, le travail est mieux fait. C’est du vécu »
Né le 14 mars 1979 au Sénégal, Papa Amadou Sarr part poursuivre ses études universitaires à l’extérieur après un cursus secondaire au lycée Mame Cheick Mbaye Tamba de la commune de Tambacounda. Il passe par l’Université d’Essex en Angleterre, puis par l’Institut d’études du développement de la Sorbonne, l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (DEA) et l’Ecole de Sciences Politiques en France. Titulaire d’une Maitrise en affaires publiques et d’un DEA en économie à la fin de ses passages en France et en Angleterre, il y ajoute un certificat en Gestion financière publique obtenu à Harvard.
De multiples expériences internationales
Bardé de diplômes, il fait sa première expérience professionnelle à Paris en France où il est chargé de recherches au centre de développement de l’OCDE de 2008 à 2013. Cette année-là, il est nommé responsable du programme pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre au sein de la Fondation Bill & Melinda Gates à Seattle. Il rentre ensuite au Sénégal et est employé au ministère de l’Economie et des Finances. De 2015 à 2018, il y travaille comme directeur général des services financiers et de la compétitivité, puis comme conseiller technique principal.
Ce poste lui donne rang de ministre délégué, certes gratifiant, mais qui le place surtout sur un échiquier politique auquel il n’est pas rodé. « Mon unique acte de militantisme se résume à quelques années au sein d’une organisation de jeunes à tendance libérale au lycée », confie-t-il.
Entre 2016 et 2019, il est aussi membre du conseil des gouverneurs à la Banque Africaine de Développement et au Fonds Monétaire International. En 2017, le président sénégalais Macky Sall crée la Délégation générale à l’Entrepreneuriat Rapide des Femmes et des Jeunes. « C’est une structure publique placée sous la tutelle du président de la république, qui a pour vocation d’accompagner et d’accélérer la création des initiatives entrepreneuriales des femmes et des jeunes », explique alors Papa Amadou Sarr, qui prend la direction de l’institution publique.
Ce poste lui donne rang de ministre délégué, certes gratifiant, mais qui le place surtout sur un échiquier politique auquel il n’est pas rodé. « Mon unique acte de militantisme se résume à quelques années au sein d’une organisation de jeunes à tendance libérale au lycée », confie-t-il.
Reproches sur fond de tollé religieux
A son nouveau poste, Papa Amadou Sarr devient l’un des principaux défenseurs des femmes sénégalaises pour leur « abnégation au travail et leur rôle dans la création de richesse ». Malgré tout, la DERFJ déclenche assez vite de nombreuses critiques, notamment tenue responsable de la montée du taux de chômage au Sénégal. On accuse aussi l’institution d’être un outil politique, du fait qu’elle a été créée dans une période proche de l’élection présidentielle de 2019.
Pour essayer de prouver l’impact bénéfique de son service, Papa Amadou Sarr commandite un audit auprès du Bureau de la prospective économique en 2021. « Ce document révèle que nous avons contribué à deux points supplémentaires pour le Sénégal dans le classement Doing Business, et avons permis de créer 100 000 comptes bancaires et autant d’entreprises », assure-t-il. Selon les détracteurs, pour une institution qui dispose d’une allocation de 30 milliards FCFA par an, c’est trop léger. Du côté des entreprises bénéficiaires du programme par contre, on loue l’action de la DERFJ et de son directeur en faveur des femmes.
C’est pourtant en défendant ces dernières qu’il sera limogé. « J’ai expérimenté qu’en donnant le même travail à certaines femmes qu’à un homme de même niveau, le travail est mieux fait. C’est du vécu », déclare-t-il à l’occasion de la journée pour les droits des femmes le 8 mars dernier. Il qualifie ensuite « d’inepties » plusieurs interdits de la religion islamique concernant les femmes, comme le fait de ne pas serrer la main du sexe opposé, le fait que la femme doit rester derrière l’homme durant la prière, ou encore l’interdiction faite à la femme de se rendre à la mosquée durant ses menstrues.
Il qualifie ensuite « d’inepties » plusieurs interdits de la religion islamique concernant les femmes, comme le fait de ne pas serrer la main du sexe opposé, le fait que la femme doit rester derrière l’homme durant la prière, ou encore l’interdiction faite à la femme de se rendre à la mosquée durant ses menstrues.
Des propos qui provoquent un vrai tollé au sein d’une société sénégalaise majoritairement musulmane. Quelques heures plus tard, Papa Amadou Sarr est limogé par décret présidentiel. Ses excuses publiques n’y changeront rien, pas plus qu’elles n’empêcheront pas de relancer un éternel débat.
Ses excuses publiques n’y changeront rien.
Au Sénégal, on continue de se demander si ce qui choque est le ton utilisé envers les pratiques traditionnelles, ou le fait que l’ex-ministre remette en cause certaines formes de discrimination. Des questions auxquelles seul le peuple sénégalais pourra réellement trouver des réponses.