Présentées comme des espaces aménagés pour la production de biens et services et régies par des lois économiques avec des incitations, les Zones économiques spéciales au Sénégal (Zes) attirent de plus en plus les acteurs. Mais, malgré l’énorme potentiel, elles ne semblent pas avoir les impacts souhaités sur les populations locales.
Selon les résultats d’une étude réalisée par Enda Pronat, avec des chercheurs de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, de l’Ensa, de l’Institut supérieur des recherches agricoles et des experts indépendants, et présentée hier, des doutes subsistent sur les impacts des Zones économiques spéciales (Zes) sur les communautés locales. Il ressort du diagnostic que le processus de mise en œuvre des Zes ne tient pas compte des intérêts et préoccupations des communautés locales surtout en zones rurales au regard des activités prévues dans les zones d’installation. « Les activités promues par les Zes se substituent aux activités rurales sans pour autant proposer des alternatives durables aux communautés. Les seules options proposées se résument parfois à la possibilité d’obtenir des emplois salariés, souvent très précaires, avec des revenus faibles dans les entreprises installées », lit-on dans le rapport. Le document souligne également un manque d’identification exhaustive des acteurs impactés par la création des Zes. Ce recensement, d’après les experts, qui devrait servir de base à un système d’indemnisation faisant l’objet d’un consensus et prenant en compte non pas ce que prévoit la loi actuelle mais la perte des moyens d’existence, n’est pas souvent faite de manière exhaustive.
Entre doublons avec les programmes publics et spoliation
Établies dans des zones où l’État mène des programmes d’envergure, les Zes sont parfois créées sans une prise en compte des projets en cours. C’est l’étude qui le révèle. « Les populations ayant perdu leurs terres n’ont pas accès à des emplois sécurisés, durables et assez rémunérateurs pour assurer aux familles des revenus leur permettant de vivre décemment. Les Zes sont parfois définies sans prendre en compte d’autres programmes étatiques à fort impacts fonciers. Et cela est même souvent à l’origine de tensions entre organismes publics porteurs de ces projets. Par exemple, à moins de cinq kilomètres de la Zes de Diamniadio, est installé le Pôle industriel de Diamniadio », souligne le rapport. « Un manque de coordination et d’appropriation institutionnelles, chose indispensable au succès de la formulation et de la mise en œuvre d’une politique relative aux Zes », poursuit le document. Autant de manquements « qui handicapent les entreprises installées, mais aussi certaines lourdeurs administratives avec l’absence de guichet unique qui constitue pourtant un des arguments phares dans la stratégie de markéting des promoteurs des sites dans deux des trois Zes fonctionnelles (Sandiara et Diass) ; ce qui les oblige à se rabattre sur celui de Diamniadio ».
Pour remédier à ces impairs, l’étude recommande de mettre en cohérence le plan national d’implantation des Zes et les plans nationaux d’aménagement du territoire pour donner corps à l’équité territoriale et favoriser un développement plus harmonieux des territoires à l’échelle nationale. Elle plaide également « pour une meilleure insertion de la politique Zes dans les dynamiques territoriales et favoriser une transformation de l’économie locale en positionnant les entreprises dans la valorisation des produits locaux ». En zone rurale, poursuit la même source, la politique des Zes doit respecter les plans locaux d’aménagement et mieux intégrer les activités agro-sylvo-pastorales dont dépendent majoritairement les communautés. Elle estime également pertinent d’utiliser les Zes comme moteur d’une stratégie pour la promotion du secteur privé national et de grandes entreprises agricoles locales afin de créer des chaines de valeur à haute intensité de main-d’œuvre.
Mieux impliquer les collectivités
Pour un meilleur service aux collectivités territoriales qui les accueillent, l’étude suggère une implication plus poussée des collectivités territoriales et les communautés dans tout le processus de mise en place et de gestion des Zes. Selon les experts, il faut s’inspirer de l’expérience de Sandiara pour mieux impliquer les collectivités territoriales d’accueil. Il faut, en même temps, revoir la politique des Zes et adopter des modèles gagnant-gagnant entre les populations locales et les investisseurs, suggère l’étude. « Le foncier pourrait être considéré comme apport des détenteurs de droits fonciers dépossédés dans la constitution des Zes. Ce modèle leur permettrait de tirer localement un intérêt des Zes, d’avoir des revenus durables et ne pas percevoir ces pôles comme émanant d’une volonté extérieure qui ne prend pas en compte leurs intérêts stratégiques et vitaux », indique le document. Dans la même dynamique, il est suggéré d’accorder la priorité d’embauche aux populations des localités d’accueil et se référer aux instructions du Président de la République invitant à une création d’emplois dans les localités d’accueil. « Il faut également prévoir pour les communautés locales un dispositif d’accompagnement et d’allègement des conditions d’accès aux Zes pour leur permettre de pouvoir investir dans ces sites. Si leur mise en place est bien articulée avec les réalités de l’économie locale, les Zes pourraient bien booster la production locale et générer des profits pour les populations locales », ajoute la même source.
Dans la même veine, il est suggéré d’engager « une réforme foncière globale qui sécurise les droits de l’ensemble des acteurs, notamment les communautés locales, plutôt que de promouvoir des lois spécifiques instaurant un régime d’exception et/ou privilégiant une catégorie d’acteurs ».