Avec le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, plusieurs denrées de base ont vu leurs cours flamber. Si du côté du continent africain, l’inquiétude est vive sur le plan des importations de blé, du côté de l’export, les acteurs sont aussi sur le qui-vive. Parmi les produits africains expédiés vers la Russie les plus à risque, figurent les agrumes.
1) Quelle place occupe la Russie sur le marché mondial des agrumes ?
Selon les données de la base de données TradeMap du Centre du commerce international (ITC), la Russie a acheté pour 1,25 milliard $ d’agrumes en 2020, s’affichant comme le 4ème plus gros importateur du monde derrière l’Allemagne, les USA et la France.
Dans plusieurs catégories, le pays des tsars fait office de poids lourd. Il est ainsi le premier pays importateur d’oranges fraîches avec 477 000 tonnes en 2020/2021 d’après les estimations du Département américain de l’agriculture (USDA). En outre, la Russie est la troisième nation consommatrice de mandarines ainsi que le second pays importateur de citrons et de pamplemousses.
2) Quelle est l’importance de la Russie pour la filière agrume africaine ?
En Afrique, la Russie a gagné en importance durant la dernière décennie permettant à plusieurs fournisseurs de diversifier leurs marchés d’exportation au-delà du débouché traditionnel que représente l’Union européenne (UE). L’ex-URSS est ainsi le premier acheteur d’oranges égyptiennes avec 250 000 tonnes du fruit absorbé en 2020/2021.
Du côté du Maroc, la Russie représente également un débouché clé. Les agrumes représentent en effet plus de 85 % des expéditions agroalimentaires du Royaume chérifien vers le pays. Plus spécifiquement, la Russie est le second marché pour les agrumes marocains derrière l’UE et absorbe le tiers des volumes.
Il était le premier client du Royaume chérifien pour les mandarines avec un volume de 147 000 tonnes en 2020/2021 et a absorbé 40 % de ses expéditions de citrons durant la même campagne.
Pour l’Afrique du Sud, l’importance de la Russie est beaucoup plus modeste. Le pays transcontinental ne représentait en effet que la 5ème destination des exportations d’agrumes sud-africaines avec 168 000 tonnes de fruits selon les données de la Citrus Growers Association (CGA).
3) Quelles répercussions de la guerre sur la filière africaine des agrumes ?
Au Maroc, la crise russo-ukrainienne n’est pas encore ressentie sur les volumes dans la mesure où la saison d’exportation 2021/2022 s’est en effet achevée à la fin du mois de février.
Toutefois, dans le Royaume chérifien, la méthode de recouvrement des recettes reste le principal point d’interrogation dans le rang des acteurs avec l’éviction de plusieurs banques russes du réseau de messagerie interbancaire et financière international SWIFT.
« Comme les opérateurs marocains sont payés à la fin de la campagne, les recettes sont actuellement en stand-by. Des questions se posent sur le mode de paiement, la devise ou la monnaie de règlement ainsi que sur la garantie de paiement », confie une source proche de l’industrie à l’hebdomadaire économique La Vie éco.
Du côté de l’Afrique du Sud, les effets de la crise actuelle ne pourront être perceptibles que durant la saison d’exportation qui débute en avril prochain. Pour sa part, l’Egypte est le fournisseur africain le plus vulnérable au regard de l’importance de la Russie pour ses expéditions. Le pays des pharaons qui a lancé sa campagne le 15 décembre dernier, n’a pas encore fait un état de l’impact de cette situation sur son segment à l’export.
Plus largement, que ce soit l’Afrique du Sud, le Maroc ou l’Egypte, des défis de taille s’annoncent à moyen terme en plus du casse-tête sur le paiement. Avec le rouble qui a déjà perdu 30 % de sa valeur par rapport au dollar depuis que la Russie a envoyé des troupes en Ukraine, le 24 février, les importateurs pourraient réduire le volume de leurs achats qui reviendraient plus chers à payer en billet vert.
Les fournisseurs africains pourraient ainsi perdre des clients et des parts de marché au profit de la Turquie qui pourrait être privilégiée compte tenu de sa proximité géographique.
Sur un autre plan, les fournisseurs africains devront faire face aux répercussions de la crise sur le fret maritime. Si déjà avec la pandémie de coronavirus, la chaîne logistique mondiale était déjà sous tension, le conflit entre la Russie et l’Ukraine a encore aggravé le casse-tête. Avec la guerre, les trois premiers armateurs mondiaux à savoir le danois Maersk et le français CMA-CGM et le groupe italo-suisse MSC ont suspendu leur desserte des ports russes.
En outre, la hausse des prix du carburant et la flambée des primes d’assurance pour les navires disposés à s’approcher de la zone de guerre pourraient faire grimper les frais d’expéditions et menacer la viabilité commerciale des exportations. Ainsi de nombreux opérateurs peuvent être dissuadés d’envoyer leurs cargaisons d’agrumes cette année, si la situation ne s’améliore pas.
4) Quelles mesures de mitigation et quelles alternatives ?
A moyen terme, les pays fournisseurs d’agrumes disposent d’une marge de manœuvre étroite. En effet, la principale mesure qui peut être prise est de réorienter les marchandises vers les marchés existants. C’est déjà le cas de l’Afrique du Sud qui étudie actuellement plusieurs possibilités.
L’Egypte pourrait mieux s’en sortir dans cette optique dans la mesure où elle dispose d’une plus large palette de clients. Le pays des pharaons a notamment expédié en 2020/2021, ses oranges vers plus de 111 destinations.
Les nations comme l’Arabie Saoudite, les Pays-Bas, les Emirats Arabes Unis, la Chine ou encore le Royaume-Uni peuvent être autant d’alternatives à condition de s’adapter aux contraintes logistiques. Du côté du Maroc, le Royaume-Uni et les pays du pourtour méditerranéen offrent aussi plusieurs possibilités pour faire face à la situation.
Espoir Olodo