Les retrouvailles entre la mouvance présidentielle et l’opposition après le sacre continental des «Lions» ont été bien appréciées. Souleymane Sagna, analyste politique et consultant sur la gestion des conflits, estime que ces grands exploits d’une Nation aident les gens à dépasser certains clivages pour avancer tout en montrant que les hommes politiques ne sont pas des ennemis. Ainsi, le sociologue Pascal Oudiane pense qu’il faut davantage développer le sport qui est un instrument de promotion de la paix et de la cohésion sociale.
Lundi 7 février 2022. L’Afrique, pour ne pas dire le monde tout entier, avait les yeux rivés sur le Sénégal qui accueillait triomphalement les «Lions» de la Téranga. Ces derniers, pour la première fois dans l’histoire du football du pays, ont remporté la Coupe d’Afrique des Nations (Can). La Nation, unie comme un seul homme, s’est fortement mobilisée pour rendre hommage à Aliou Cissé et ses poulains. Des milliers de Sénégalais, aux couleurs du drapeau du pays, ont convergé vers l’aéroport militaire Léopold Sédar Senghor de Dakar pour recevoir les joueurs. Mais, les images symboliques qui ont été appréciées par tout le monde sont celles montrant les retrouvailles entre la mouvance présidentielle et l’opposition. On voyait le Président Macky Sall et son Gouvernement en parfaite communion avec des membres de l’opposition, tels que l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall, l’actuel maire de la capitale, Barthélémy Dias, l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, etc. Ces belles images, appréciées par tous les Sénégalais épris de paix et de concorde, ont fait oublier la tension politique qui a régné au Sénégal avant les élections territoriales tenues au mois de janvier dernier.
Selon Souleymane Sagna, analyste politique et non moins consultant sur la gestion des conflits, le sport réunit, fédère et apaise les cœurs. «Ces grands exploits d’une Nation aident les gens à dépasser certains clivages pour avancer. Ils montrent que les hommes politiques ne sont pas des ennemis, mais des adversaires politiques. Le sport est un moyen qui permet aux hommes de se retrouver et de taire beaucoup de rancœurs. C’est un véritable facteur de stabilité et de renforcement de la démocratie », a-t-il expliqué.
Grâce au sport, ces hommes qui se donnent tout le temps des coups dans l’arène politique ont tu leurs querelles, mis de côté leurs divergences, pour se réunir autour de l’essentiel. À l’instar du football, d’autres disciplines sportives comme la lutte ou le basket ont également réussi à fédérer les peuples. Que ce soit au Sénégal ou ailleurs, le sport a toujours fédéré.
Le rôle du sport dans la réconciliation nationale en Afrique du Sud
Qui ne se souvient pas de la date du 24 juin 1995. Ce jour-là, Nelson Mandela, portant le maillot vert et or des Springboks, était descendu sur la pelouse de l’Ellis Park Stadium pour remettre la Coupe du monde de rugby entre les mains de François Pienaar. Ainsi, Mandela avait utilisé les succès des Springboks à des fins de réconciliation nationale. La balle ovale avait cimenté la Nation arc-en-ciel. La Coupe du monde de rugby, organisée pour la première fois en terre africaine, plus précisément en Afrique du Sud, avait obtenu l’adhésion d’une grande part des Sud-Africains qui venaient de sortir de moments difficiles avec l’apartheid.
C’est la même situation qui a prévalu, en 1998, en France lorsqu’elle a remporté, pour la première fois de son histoire, la Coupe du monde à domicile avec une équipe diversement composée sur le plan racial. Les Français avaient dépassé les clivages pour se réunir autour de leur équipe. Ils étaient tous derrière les « Bleus » jusqu’au sacre finale.
L’analyste politique Souleymane Sagna poursuit : « Le sport est l’un des éléments principaux qui peuvent créer une certaine dynamique au sein de la jeunesse. Il faut renforcer la politique sportive de manière générale. Le sport a eu à régler beaucoup de problèmes dans le monde ».
Pour sa part, Pascal Oudiane, enseignant-chercheur en Sociologie à l’Ufr Sciences juridiques et politique à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, trouve normale cette retrouvaille de toute la classe politique. D’après lui, si le Président de la République lance un appel, tout patriote doit répondre pour la bonne cause. Il constate pour le regretter qu’au Sénégal, ce qui intéresse les hommes politiques, c’est accéder au pouvoir. « On devrait pouvoir donner la priorité au peuple et reléguer au second plan l’appareillage du pouvoir. Aujourd’hui, il y a un lien que le peuple entretient avec le sport. On doit s’inspirer du sport. On doit mettre le sport au cœur de l’enseignement pour transformer la société. Cette culture de dominer le monde, on doit pouvoir l’avoir à travers le sport. Pour la stabilité du pays, on devrait développer davantage toutes les disciplines sportives », dit-il.
De l’avis d’Ababacar Fall, du Groupe de recherches et d’appui à la démocratie participative et la bonne gouvernance (Gradec), les questions de sport ne sont pas des phénomènes conjoncturels mais plutôt structurels. «Le fait de gagner une coupe et de célébrer la victoire est un moment très fort dans la vie d’une Nation. Et les protagonistes de la classe politique peuvent se retrouver. Cela montre que le Sénégal est un grand peuple et que quelles que soient les difficultés et les divergences, il y a des questions nationales qui nécessitent la mobilisation de tout le monde. C’est un facteur de consolidation de l’unité nationale. La leçon qu’on doit en tirer, c’est que le Sénégal est un et indivisible et tout Chef d’État doit travailler à asseoir une démocratie forte, à unir les Sénégalais et à éviter les pratiques qui sont aux antipodes de la démocratie», souligne-t-il. Cependant, de l’avis de M. Fall, quelles que soient les situations d’euphorie, les règles du jeu politique doivent être respectées. En plus du développement du sport pour fédérer le peuple, il pense qu’il faut également une gestion rigoureuse des deniers publics, le respect de l’État de droit et du calendrier électoral.