Les bouchers de l’abattoir de Bignona ruminent leur colère à cause notamment de leur cadre de travail dégradé où s’entassent les déchets quotidiennement. Malgré les efforts qu’ils font pour approvisionner le marché, ces hommes sont laissés à eux-mêmes, même s’ils tentent de s’organiser à l’interne.
BIGNONA – Sur la piste en latérite qui mène vers Mangoulène, Kagnarou, Sindian…en plein cœur du Fogny, trois solides jeunes conduisent à la course deux taureaux aux cornes peu pointues. Ces trentenaires, vêtus d’habits légers, ne sentent ni le froid encore moins la fatigue malgré un ciel couvert de brouillard matinal. Ici, les minutes et les secondes sont précieuses. Avant 8 heures, la viande de ces bœufs doit être accrochée dans les différents points de vente de la commune. Et le boucher Ibrahima Diallo, environ 50 ans, en est conscient. Debout devant la porte, les mains croisées derrière, ce bout d’homme au boubou traditionnel bleu et au chapeau bien ajusté attend impatiemment les bêtes qui doivent aller à l’abattoir.
À ses côtés, une meute de chiens. Ces carnivores n’ont peur de personne. Ils se faufilent entre ce petit monde pour ramasser tout ce qui peut atterrir dans leurs estomacs. Parfois, les charognards, perchés sur les branches d’un arbre mort, atterrissent en groupe dès qu’une panse est dépouillée et déversée. Ainsi, autour de cette odeur nauséabonde, c’est la rivalité entre chiens et animaux nettoyeurs. Cette ambiance rythme, chaque jour et chaque semaine, l’enceinte de l’abattoir de Bignona, sous l’indifférence totale des véritables maîtres du lieu qui sortent presque chaque instant pour aiguiser leurs couteaux sur la dalle de la fosse dépourvue de couvercle.
« Nous sommes là depuis 6h 30mn pour finir à 8 heures », soupire le jeune boucher Mafousse Diémé. Les habits maculés de sang, dans un français limpide, il ajoute : « On ne progresse pas dans le travail. Nous sommes sous-payés par rapport à ce que nous faisons, 7000 FCfa, vous voyez ! »
De l’autre côté, les voix se lèvent. Ibrahima Diallo, insatisfait de l’état du lieu, s’en prend à une des responsables du nettoyage. « Nous avons besoin que le lieu soit propre puisque la viande qui sort d’ici est destinée à la consommation. Donc focalisez-vous sur l’hygiène », déclare-t-il en précisant que les panses et intestins doivent être jetés par ceux qui sont chargés du dépeçage.
À vrai dire, cet abattoir n’existe que de nom. Ici, il manque de tout, à part les quatre murs qui forment le bâtiment et les quelques portes rouillées qui résistent encore. L’association qui prend en charge le local est tombée en léthargie. Cette entité qui regroupe les bouchers n’a jamais pensé améliorer ou réfectionner une quelconque installation. La commune également ne s’intéresse nullement à cet abattoir. Aucune taxe n’est prélevée, aucun investissement n’est non plus effectué.
Mais depuis quelques mois, Sékou Diallo, la quarantaine révolue, veut relancer ladite association. Ce dernier, à qui les autres membres ont confié ce travail, a d’ores et déjà entamé le diagnostic des priorités. « J’avoue que le problème majeur, c’est le local parce qu’il n’est pas adéquat pour un abattoir. Le site est marécageux et puis il n’y a pas un réseau d’évacuation de déchets », a-t-il fait savoir.
« En période d’hivernage, les voitures n’arrivent même pas à franchir le portail à cause des inondations. Les jeunes sont alors obligés de transporter la viande par les épaules jusqu’au niveau des véhicules », ajoute, dans la même veine, son camarade Ibrahima Diallo. Pour M. Diallo, « l’ancien abattoir est le meilleur. Il pouvait être rénové afin que les déchets soient évacués très facilement vers le marigot ».
Debout autour du feu, un autre boucher, Mounirou Ba (nom d’emprunt), fustige la défection des canaux devant conduire les déchets jusqu’aux fosses. Selon le sieur Bâ, «il n’y a pas une véritable politique locale pour assainir les lieux d’abattage ». Si dans certaines localités pour déterminer le poids, donc le prix, le bœuf est pesé avant l’abattage, tel n’est pas le cas dans cet abattoir. « Nous regardons l’animal pour estimer le poids. Généralement on s’en sort, mais j’avoue qu’il arrive qu’on loupe et enregistre un manque à gagner de 50.000 FCfa voire plus », relate notre interlocuteur.
Dans l’espoir d’améliorer les conditions de travail et la salubrité, les membres de l’association ont fixé une taxe de 1000 FCfa pour toute personne qui abat sa bête. Toutefois, ils plaident que cet abattoir soit modernisé pour le bien des populations.