Elle se célèbre le douzième jour de Rabi al-awwal (littéralement, en arabe, «le premier printemps»), troisième mois du calendrier musulman, correspondant cette année au 19 octobre. Dénommée aussi « Aid al Mouled » au Maghreb et en Afrique, « Mawlid an Nabi », « Milad an-Nabi » en Égypte, « Mevlid Kandili » en Turquie ou encore « Gamou » au Sénégal, cette fête est célébrée dans toutes les communautés musulmanes du monde, aussi bien sunnites que chiites.
Contrairement aux deux grandes fêtes canoniques que sont les deux Aïd, le Mawlid est sujet depuis des siècles à controverse quant à sa « validité » théologique : certains docteurs de la loi rigoristes l’a considérant comme une innovation blâmable, quand d’autres voient dans cette célébration une innovation louable et une opportunité pour méditer sur la vie du Prophète et redoubler d’actes charitables sur les pas de l’«exemple vertueux » incarné par Muhammad.
L’évocation la plus ancienne du Mawlid, sans pour autant parler de célébration, nous renvoie au lieu béni (la Maison du Prophète) qui ouvre ses portes au public chaque lundi du mois de Rabi al-awwal.
Selon les historiens du VIIe siècle, le jour du Mawlid ennabawi, traditionnellement les fidèles ne s’adonnent à aucune activité commerciale et s’empressent de visiter le lieu de naissance du Prophète. Ce jour-là, la Kâ’ba est ouverte au public et visitée. Ces éléments sont confirmés dès le VIIIe siècle par Ibn Battûta, lequel mentionne la distribution, en ce jour, de nourriture sous forme d’offrande (sadaqat) aux descendants du Prophète ainsi qu’à tous les habitants de La Mecque.
A l’instar de Noël, célébrant l’anniversaire de la Nativité, le Mawlid ennabawi n’a jamais été célébré de son époque, ni par ses compagnons, ni par les musulmans sunnites des premiers siècles. Du fait qu’elle n’a pas été réglée par la Tradition, cette fête revêt plutôt le caractère d’une solennité civile avec un ancrage populaire fort.
Un ancrage historique, mais aussi politique
Il est établi, en effet, selon les sources historiographiques islamiques, que le Mawlid est célébré bien plus tard au début du VIIe siècle de l’Hégire (XIIIe siècle après J.-C.) par le prince de ‘Irbil, surnommé Al-Moudhaffar.1
C’est sous le règne de ce vassal de Saladin que le Mawlid prend véritablement ses traits sunnites. Il est à la fois une cérémonie officielle et une fête populaire qui attire les visiteurs de Mossoul, de Nisâbîn et de Bagdad, car le prince l’organise avec l’appui des cercles mystiques locaux. Ce sont ces derniers qui l’ouvrent, probablement sous influence chrétienne, avec une procession de cierges. Elle se prolonge, tard dans la nuit, par un concert spirituel.
La fête est aussi l’occasion de raffermir l’autorité du prince qui distribue des cadeaux aux dignitaires religieux et aux descendants du Prophète (shurafâ’).
Cependant, des traces antérieures de cette célébration existent dans la tradition chiite, notamment sous la dynastie des Fatimides. C’est en effet dans l’Égypte fatimide du XIe siècle que naît la tradition de commémorer la naissance du Prophète. Il s’agit d’une fête palatine destinée exclusivement à l’élite religieuse et politico-militaire. Elle présente d’emblée des spécificités qui la distinguent du futur Mawlid sunnite introduit sous la dynastie ayyûbide fondée plus tard par Saladin en 1171.
Chez les Fatimides, le Mawlid prophétique n’est qu’un parmi les six autres fêtés et qui forment le système de la vénération de la Maison du Prophète (Ahl al-Bayt) : le Prophète, son cousin et gendre ‘Alî, sa fille Fâtima, ses deux petits-fils Hassan et Hussein, ainsi que le souverain en exercice (qui descend lui aussi de ‘Alî, ascendance dont il tire sa légitimité) ; les sunnites ayyubides ne conservent que l’anniversaire du Prophète Muhammad.
C’est aussi sous la dynastie ayyubide que le Mawlid ennabawi est transformé en festival populaire nocturne, contrairement aux us et coutumes chiites (célébration de jour destinée à l’élite). La coutume royale de distribuer des cadeaux aux oulémas (savants en religion) ainsi qu’aux descendants de la Maison du Prophète est pérennisée. Cet usage né en Égypte s’étend alors progressivement à l’ensemble de l’empire ayyûbide (à Mossoul, à Alep et à Irbil, entre 1150 et 1200), avant d’atteindre l’Occident musulman (Maghreb et Espagne) puis le sous-continent indien.
C’est notamment dans l’Occident musulman post-almohade (fin XIIIe siècle) que le Mawlid est le plus investi par les pouvoirs en place. Multipliant les arrangements généalogiques pour se rattacher aux Ahl al-Bayt (famille du Prophète), les dynasties ‘azafides (Ceuta), mérinides (Fès), nasrides (Grenade), ziyyânides (Tlemcen) et hafsides (Tunis) installent un véritable culte politique au Prophète, érigé en instance garante de leur légitimité.
Cette célébration revient quelques siècles plus tard en force sous l’Empire ottoman où en 1910, le Mawlid obtient le statut officiel de fête nationale.
Un ancrage populaire et socioculturel
Les péripéties historiques de cette célébration n’enlèvent rien à son ancrage populaire et socioculturel dans l’ensemble de l’ère musulmane. Sans être à proprement dire une fête religieuse, le Mawlid ennabawi est surtout un moment intense de partage et de convivialité durant lequel les musulmans rendent hommage à leur Prophète.
Le Mawlid n’est pas reconnu par de nombreux musulmans comme faisant partie intégrante de la religion, mais plutôt comme étant une tradition populaire de la vie musulmane. Pour autant, les fidèles procèdent depuis des siècles à la commémoration de la naissance du Messager de l’islam, dans presque tous les pays du monde. L’événement, pour eux, est de taille, c’est l’occasion précieuse, naturellement, d’évoquer la vie et le comportement de celui qu’ils considèrent comme « le modèle de vertu par excellence ».
Dans la plupart des États musulmans, le jour du Mawlid est aujourd’hui férié. Les médias lui consacrent une large couverture (chants sacrés, exégèse coranique…) ; c’est aussi souvent l’occasion pour les téléspectateurs, notamment en Algérie, de revoir Le Message (A-’Rissâla), film culte que tous les musulmans connaissent bien.
La veille de cet événement sont traditionnellement organisés des concours de psalmodie du Coran (tajwîd) et l’imam saisit aussi cette occasion pour rappeler la Sira (biographie) prophétique. Les mosquées sont pleines et les parents en profitent parfois pour circoncire leurs garçons.
La diffusion au cours des siècles de la célébration du Mawlid semble en corrélation étroite avec le rayonnement du soufisme, pour lequel la référence mystique au Prophète Muhammad constitue un élément central. C’est par le biais des confréries (turuq, sg. tarîqat) que la diffusion du Mawlid et son intégration dans les pratiques cultuelles populaires s’opèrent avec succès.
Il est à préciser que l’évocation, l’exaltation et l’amour du Prophète sont autant de thèmes au cœur même de cette célébration. C’est la fonction par essence de nombreux panégyriques dédiés à la naissance du Prophète Muhammad, sa vie, ses mérites, ses miracles, ses vertus. La littérature islamique au sujet de celui qui a été « envoyé comme miséricorde pour l’Univers », selon les termes mêmes du Coran, est riche à cet égard. Al-Burda (Le Manteau), poème édifiant composé par le grand poète al-Busîrî, au XIIIe siècle, est l’une des œuvres majeures fréquemment chantée encore de nos jours lors du Mawlid.
D’une manière générale, nombreux sont les musulmans qui profitent de cette occasion pour renouveler leur pacte, leur amour et leur vision à l’égard du Prophète Muhammad et de sa Sunna. Ils n’oublient pas que l’amour de Dieu et de son Prophète sont intimement liés. Et que la meilleure manière d’obtenir l’agrément de Dieu passe par le cheminement sur la voie tracée par Son dernier Messager.
- Kamel Meziti, historien et auteur de notamment Les Fêtes de Dieu, Yahweh, Allah (collectif, Bayard) et Mission Djihad (Les Points sur les I)
1 D’après les historiens Ibn Khallikan (1211-1282) et Ibn Kathîr (1301-1373) al Mawlid fut instauré vers 1207 par ce prince, beau-frère de Saladin, dans la région d’Erbil ou ‘Irbil (Kurdistan irakien actuel). Cette fête, organisée chaque année, se caractérisait par une procession de cierges, un grand banquet et une grande veillée religieuse.