L’œuvre littéraire de Cheikh Ahmadou Bamba continue de répandre de la lumière dans le monde. Elle est aussi un gagne-pain pour beaucoup de personnes.
Parmi l’une des recommandations de Khadim Rassoul à la postérité, les « xasaïd » : «À défaut d’un guide authentique, l’adoption et l’attachement aux « xasaïd » peuvent entraîner la réalisation spirituelle d’un disciple », disait-il, selon Serigne Sham Niang. Aujourd’hui, ces écrits, soutient-il, sont déclamés partout, par toutes les tranches d’âge, par des hommes et des femmes. Aux alentours de la grande mosquée de Touba, entre le cimetière et « Daaray Kamil », Moussa et ses camarades, tous des talibés âgés entre 10 et 12 ans, forment leur petit cercle, debout. Ils déclament le « xasida » « Jaz bul xulub ». « Nous le faisons par passion, mais aussi pour avoir des sous ». Dans la grande mosquée, sous le minaret qui se situe vers le mausolée du deuxième Khalife général des Mourides, Serigne Fallou Mbacké, un groupe de personnes âgées bien installées sur une moquette déclame le « xasida » « sindidi ».
Difficile de leur arracher un mot. Cependant, Djibril Diop, membre du dahira « Moukhadimatoul Khidma » qui organise et assure la sécurité à l’intérieur de la grande mosquée, renseigne que ces « vieux » sont les seuls autorisés à le faire tous les jours dans l’enceinte de la mosquée, en plus de ceux qui viennent tous les vendredis au mausolée de Serigne Modou Moustapha Mbacké, premier Khalife général des Mourides. En effet, hormis ces deux groupes cités ci-dessus, il est maintenant interdit de faire des « kurël » dans l’enceinte de la mosquée. La raison est simple d’après Djibril Diop : certains le faisaient à but lucratif.
Imprimeurs et éditeurs se frottent les mains
Toutefois, aux alentours de la mosquée et du cimetière, beaucoup de jeunes mourides des daaras gagnent leur vie grâce aux panégyriques de Cheikh Ahmadou Bamba. Le nombre de cantines et de boutiques à côté de la grande mosquée de Touba s’adonnant à la vente et au moulage de « xasaïd » en témoigne. Mbaye Serigne, propriétaire d’une cantine sur l’allée passant devant la bibliothèque Cheikhoul Khadim « Daaray Kamil », est un ancien pensionnaire des « daara ». « Je subviens aux besoins de ma famille grâce aux « xasaïd ». Chaque jour, je gagne au moins 3.000 FCfa. En période de grand Magal, je peux avoir 10.000 FCfa par jour », confie-il, le visage paisible. À côté de lui, Abdou Sarr ne peut pas écrire ni modeler, mais il a un fournisseur et une imprimante qui lui permet de multiplier des « xasaïd » à vendre. Selon lui, il gagne plus de 2.000 FCfa par jour. Dans le cimetière de Touba, près de la grande mosquée et à « Bakhiya », plus récente nécropole, des individus déclament certains des « xasaïd » pour accompagner les défunts et, en contrepartie, recevoir de l’argent de ceux qui accompagnent les défunts à leur dernière demeure.
D’autres ont choisi de créer, aujourd’hui, des maisons d’édition et des imprimeries spécialisées dans la reproduction des « xasaïd ». L’imprimerie « Keur xasida yi », à quelques encablures de la grande mosquée de Touba, en est un exemple. Son propriétaire, qui souhaite garder l’anonymat, estime son chiffre d’affaires à plus 10 millions de FCfa par an avec plus de 20 employés et une dizaine de collaborateurs revendeurs. Les écrits du fondateur du mouridisme sont devenus une véritable industrie qui fait vivre plusieurs familles dont de nombreux jeunes. Aujourd’hui, plusieurs dahira portent le nom d’un « xasida ». Les jeunes s’identifient à ces écrits. Une attitude qu’Abdallah Fahmi conçoit comme une prise de conscience de la valeur et du legs de Khadim Rassoul. Ce qui augure de « lendemains meilleurs ». Cette appropriation a des retombées économiques évidentes.
À Diourbel aussi
Ce fait ne se limite pas seulement à Touba. Au quartier Médinatoul de Diourbel qui abrite « Kër Gu Mak », l’ancienne résidence surveillée, il existe aussi des cantines de vente de « xasaïd ». Alassane Ndiaye confie qu’il s’adonne à ce commerce depuis qu’il a quitté l’école coranique en 1996, s’occupant de sa famille grâce à la vente des exemplaires de « xasaïd ». Serigne Saliou Sylla est un Lougatois établi à Diourbel. C’est un calligraphe copiste. « Je recopie des « xasaïd » pour les imprimeurs. C’est une forme de pige. Le vers coûte entre 200 et 500 FCfa. Chaque fin du mois, je passe chez les vendeurs pour récupérer mon dû. Je gagne plus de 200.000 FCfa par mois. En cette période de Magal, si je fais la somme de mes commandes, j’aurai plus de 600.000 FCfa au début du mois d’octobre. D’autres préfèrent le faire avant d’écouler le produit et c’est ce qui me permet de faire fonctionner la maison au quotidien », confie-t-il, heureux de sa bonne grâce.