Les secousses et les remous ne traversent pas seulement les états-majors politiques. La société civile et les lanceurs d’alerte sont aussi concernés. Quand on est populaire, on jouit d’un statut particulier de personnalité connue avec ses avantages et ses inconvénients. Thione Seck le chantait assez bien : ‘’siiw du jami borom’’ (la popularité a ses côtés négatifs). Eh bien, cette fois-ci, c’est Y’en a marre qui est dans la tourmente. Non pas que le mouvement a fait quelque chose de répréhensible ; loin s’en faut.
Mais, certains de ses dirigeants, et non des moindres, sont dans le collimateur de la Justice. Et comme tout mouvement est incarné par ses animateurs, ces affaires judiciaires risquent de dépeindre sur la crédibilité du mouvement. Surtout quand ces affaires sont précédées de vidéos compromettantes dans lesquelles le rappeur Kilifeu, une des figures de proue de Y’en a marre, est filmé en train de discuter de trafic de documents.
Il aurait d’ailleurs balancé Simon. Et c’est pour cela que les concernés sont, actuellement, entre les mains de la Justice qui pourrait les déférer dans les prochaines heures. Il est bien vrai qu’il n’y a pas beaucoup de saints dans notre société où des trafics de tous genres concernent, parfois, de hautes personnalités : trafic de drogue, de visas, faux billets, etc. Mais, quand on prône la rupture et que l’on est initiateur du ‘’Nouveau type de sénégalais’’, celui qui rompt d’avec un système fait de népotisme, de clientélisme, de corruption et de gabegie, on doit savoir rester irréprochable, à tout moment. Autant que faire se peut.
Sous réserve de la présomption d’innocence, on peut déjà dire que le mouvement va fortement perdre de son attrait, si jamais il y avait procès et tous les déballages subséquents. Comme une fleur qui se fane, le mouvement aura du mal à convaincre de sa crédibilité si jamais certains de ses dirigeants sont condamnés. Et le simple fait qu’il y ait des vidéos, des poursuites est déjà problématique dans la mesure quand on dénonce des méfaits, on ne fait pas pareil ou pire.
Or, au Sénégal, le mouvement Y’en a marre a été une ingénieuse idée qui a séduit toute l’Afrique dont la jeunesse notamment au Congo, au Burkina Faso et ailleurs s’en est inspiré. Il symbolise l’émergence d’une jeunesse africaine consciente, donc de refus de l’ordre néocolonial et de l’exploitation des peuples africains avec la complicité de leurs propres dirigeants. C’est en cela que le mouvement est venu à son heure.
Mais, c’est là aussi où ses concepteurs devraient faire preuve de beaucoup plus d’imagination en évitant par exemple de s’éterniser à la tête du mouvement pour ne pas faire ce qu’ils reprochent aux autres. S’ils s’étaient démarqués presque tous en mettant en avant une nouvelle génération de dirigeants, ces affaires auraient moins d’impact sur le vécu du mouvement.
C’est vrai qu’Aliou Sané est venu et qu’on ne lui reproche rien, pour le moment. Mais, l’alternance n’a pas été effective au sein d’un mouvement qui se veut de rupture. Et ce sont ces erreurs-là qui se paient cash. Aujourd’hui, toute la bande à Kilifeu, Thiat et autres auraient pu se mettre en retrait et favoriser l’arrivée de nouveaux dirigeants dans un esprit d’alternance qui aurait sans doute inspiré les leaders politiques.
Mais, que nenni. Ils ont voulu continuer à profiter de leur notoriété et des avantages subséquents. Or, c’est exactement cela que font les hommes politiques qu’ils dénoncent. Espérons alors que toutes les leçons seront tirées et que la jeunesse sénégalaise et africaine continuera à réfléchir à des cadres d’action comme Y’en marre pour continuer à mettre la pression sur leurs dirigeants afin que ces derniers aient les contre-pouvoirs nécessaires.
L’esprit de Y’en marre est très bon. Mais, il faut que ses dirigeants actuels sachent que l’on ne peut pas occuper, tout le temps, le devant de la scène. Et qu’une fleur, elle rayonne un moment et se fane…Ce sont les lois de la nature.
Assane Samb