Au préalable, il est important de rappeler que depuis avril 1998, un cadre législatif et réglementaire du sous-secteur aval des hydrocarbures raffinés a été mis en place, avec l’objectif d’améliorer la sécurisation de l’approvisionnement du pays en produits pétroliers, en termes de coûts et de qualité. En effet, la loi 98-31 du 14 avril 1998 relative aux activités d’importation, de raffinage, de stockage, de transport et de distribution des hydrocarbures a pour objectif principal de réguler le sous-secteur aval des hydrocarbures pour une meilleure prise en charge des conditions de vie des citoyens et une organisation du secteur, avec notamment l’instauration des systèmes de licences pour l’exercice des activités aval, la suppression du monopole de la SAR dans l’approvisionnement du pays, d’égal accès des tiers aux dépôts.
Cette réforme a permis au marché Sénégalais d’enregistrer l’entrée de plusieurs acteurs (en majorité des nationaux) dans les segments de la distribution (plus de 60), de l’importation (plus de 40) et du transport de produits pétroliers (plus de 45) et du stockage de produits pétroliers et du gaz butane (plus de 8).
Après plus de vingt-trois (23) ans, force est de constater que la mise en œuvre de ces principes pose beaucoup de difficultés car il y’a une absence de mesures d’accompagnement pour une libéralisation complète du sous-secteur aval des hydrocarbures. En effet, l’une des mesures d’accompagnement serait de mettre en place une structure de régulation forte comme c’est le cas pour le secteur de l’électricité avec la création de la Commission Régulation du Secteur Electricité et non un organe consultatif, qui n’a pour mission que de donner des avis et de formuler des recommandations, ne disposant pas les moyens techniques et financiers ni des pouvoirs de décisions et de sanctions dans la mesure où tout est concentré au Ministère.
Dans sa volonté d’assainir le sous-secteur le Gouvernement s’était engagé, déjà en 2009, à mettre en place un organe de régulation de l’aval du sous-secteur des hydrocarbures dénommé (AURAH).
La création de cet organe, en remplacement du Comité national des Hydrocarbures (CNH) qui avait un rôle consultatif, devrait être chargée de la régulation des activités de l’aval du sous-secteur des hydrocarbures sur l’ensemble du territoire de la République du Sénégal, et allait être un organe indépendant, doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière et de gestion. Cependant, cette structure de régulation ne verra finalement pas, jour.
Toutefois, avec les nouvelles découvertes de pétrole et de gaz, le développement du sous-secteur aval des hydrocarbures requiert une autorité de régulation capable d’assurer son fonctionnement transparent. C’est ainsi qu’il est procédé à la suppression du Comité National des Hydrocarbures et de la Commission de Régulation du Secteur de l’Electricité et à leur regroupement au sein de la nouvelle Commission de Régulation du Secteur de l’Energie. C’est donc, l’option de la fusion création qui sera validé par le gouvernement. En effet, la fusion creation consiste dans la réunion de deux ou plusieurs entités qui disparaissent toutes pour donner naissance à un être moral nouveau, spécialement constitué à cet effet, et au sein duquel elles sont toutes absorbées.
C’est dans cet optique que, d’abord, lors de la réunion du Conseil des Ministres tenue le 26 mai 2021, le Conseil a examiné et adopté le projet de Loi portant création, organisation et attributions de la Commission de Régulation du Secteur de l’Énergie (CRSE). Ledit projet de Loi sera, ensuite, défendu par le Ministre en charge des hydrocarbures devant les représentants du peuple et sera adopté par ces derniers, le samedi 25 juin 2020.
Au Sénégal, le statut d’autorité administrative indépendante est attribué par le législateur. En effet, l’article 10 de la loi 2002-23 portant cadre de régulation des entreprises concessionnaires de services publics prévoit que les institutions de régulation disposent de la personnalité juridique mais doivent être indépendantes vis-à-vis de l’autorité politique et des opérateurs privés. C’est pourquoi, il leur est attribué le statut d’autorité administrative indépendante.
Avant de poursuivre notre réflexion revenons sur quelques exemples illustratifs de régulation au Sénégal. Ainsi, nous avons dans les télécoms, le code des télécommunications du Sénégal qui attribue à l’Autorité de Régulation des Télécommunications du Sénégal le statut d’Autorité administrative indépendante. L’article 123 dudit code dispose : « Il est créé, auprès du Président de la République, une autorité administrative indépendante, chargée de réguler les secteurs des télécommunications et des postes, dénommée Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes, en abrégé « ARTP ». L’ARTP est dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière et de gestion.
En qui ce qui concerne la Commission de régulation du secteur de l’Electricité (qui va disparaitre avec la nouvelle Loi), loi 98-29 du 14 août 1998 relative au secteur de l’électricité lui attribue la qualité d’autorité administrative indépendante en disposant en son article 4 qu’ « il est créé une Commission de Régulation du Secteur de l’Electricité, autorisé indépendante, chargée de la régulation des activités de production, de transport, de distribution et de vente de l’énergie électrique, conformément aux dispositions de la présente loi. Ses décisions ont le caractère d’acte administratif donc susceptible de recours en annulation devant la Cour suprême.
S’agissant de l’Autorité de Régulation des Marchés publics (ARMP), elle est une autorité administrative indépendante, rattachée à la Primature, créée par la loi n° 2006-16 du 30 juin 2006 modifiant la loi n° 64-51 du 19 juillet 1965 portant Code des Obligations de l’Administration. Cette indépendance a pour finalité de sauvegarder la neutralité de l’Autorité de régulation vis-à-vis des différentes parties prenantes du secteur.
Nous avons également, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) qui est chargé d’assurer la cohésion et de faire respecter les règles de pluralisme, d’éthique, de déontologie, les lois et règlements en vigueur ainsi que les cahiers de charges et les conventions régissant le secteur de l’audiovisuel au Sénégal.
Ces quelques exemples prouvent à suffisance que la régulation sectorielle n’est pas une nouveauté au Sénégal. Notre pays dispose d’une expérience solide dans ce domaine très important de la vie économique.
Aussi, rappelons que la première mission des autorités de régulation est d’assurer le fonctionnement harmonieux d’un secteur précis dans lequel le Gouvernement ne veut pas intervenir directement. Il s’agit le plus souvent d’un domaine sensible, soit en raison de ses conséquences politiques possibles (ex : l’audiovisuel), soit en raison de son impact économique (ex : télécommunications, énergies etc…).
Cette mission implique la prise d’actes organisant le secteur, soumettant les entreprises à des règles et les sanctionnant le cas échéant, mais aussi prenant en compte les demandes et les besoins des acteurs de ce secteur. C’est une des particularités de ces autorités qui, plus que l’administration « classique », doivent établir des relations de confiance avec les acteurs des domaines qu’elles ont la charge de réguler.
L’idée essentielle est, selon Mass Niang, que les pouvoirs publics, les intérêts privés et les acteurs du secteur régulé ne doivent pas pouvoir donner des ordres ou des instructions aux membres de l’Autorité administrative Indépendante (AAI).
En conséquence, l’AAI n’est ni soumise au pouvoir hiérarchique, ni placée sous la tutelle d’une autorité. Même si elle est institutionnellement rattachée à la sphère de l’État, l’AAI n’est soumise à aucun dispositif analogue au contrat de performance qui est la forme la plus opérante de l’exercice de la tutelle.
Les Autorité de régulation, malgré leurs pouvoirs quasi juridictionnels, demeurent des autorités administratives dont les décisions sont susceptibles de recours pour excès de pouvoir devant le juge de l’administration, en particulier, la Cour suprême. En effet, le régulateur est responsable devant le juge et, aucune de ses décisions ne peut se targuer d’impunité. Toutes les décisions du régulateur sont attaquables devant la chambre administrative de la Cour suprême.
Revenant à la nouvelle régulation du secteur de l’Energie, il importe de rappeler que depuis la réforme de 1998 jusqu’à la date de l’adoption de la nouvelle Loi sur la régulation, il revenait au Ministre en charge des Hydrocarbures de réguler le secteur de l’aval des hydrocarbures, le Comité national des Hydrocarbures n’étant qu’un organe consultatif avec comme mission de donner des avis et de formuler des recommandations sur les questions qui lui sont soumises par le Ministre en charge des hydrocarbures.
Dans quelques jours ou mois, le Comité national des Hydrocarbures sera un vieux soutenir pour laisser la place à la Commission de régulation du secteur de l’Energie (CRSE), une structure une personne morale de droit public dotée d’une autonomie financière.
Dans le cadre de ses missions, la CRSE aura la charge de réguler le sous-secteur de l’électricité, le sous-secteur aval des hydrocarbures ainsi que le secteur intermédiaire et aval gazier.
Ainsi, en plus de ces missions très larges, l’organisation et le fonctionnement a fondamentalement changé. En effet, auparavant le Comité national des Hydrocarbures dans le cadre de son fonctionnement, était composé de 6 ministères (Energie, Finances, Environnement, Intérieur, transport terrestre et Commerce) et 2 Directions (Port et Douanes) dont les représentant sont nommés par arrêté du Ministre en charge des Hydrocarbures. En ce qui concerne, la CRSE électricité, elle est composée de 3 commissaires nommés par décret pour un mandat de 5 ans renouvelable une fois.
Cependant, avec la nouvelle Commission de régulation, la composition va complément changée. Elle sera désormais constituée de 3 organes :
- un Conseil de régulation qui est l’organe délibérant ;
- un Secrétariat exécutif qui est l’organe d’exécution ;
- un Comité de Règlement des Différends (CRD).
Le Conseil de Régulation qui est chargé de définir et d’orienter la politique générale et, évaluer la gestion de la CRSE, dans les limites fixées par ses missions organiques ou statutaires, sera composé de 7 membres, nommés par décret pour un mandat de cinq (05) ans, renouvelable une fois. Cette nouvelle Loi apporte une innovation majeure dans le cadre du recrutement des membres du conseil de régulation.
Désormais, les membres du Conseil de régulation sont choisis par appel à candidature parmi les cadres de nationalité sénégalaise, de bonne moralité, de grande probité, jouissant de leurs droits civiques et ayant une expérience professionnelle jugée pertinente d’au moins quinze (15) ans dont cinq (05) ans dans les secteurs de l’électricité, de l’aval des hydrocarbures ou des segments intermédiaire et aval gaziers, comme ingénieur, économiste, planificateur, financier, juriste ou dans le domaine de la régulation, ou toute autre profession pertinente. Ils exercent leur fonction de façon permanente. C’est seulement, après sélection des candidatures que le Président de la République pourra prendre un décret de nomination.
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Il faut aussi noter que les membres du Conseil de régulation sont inamovibles pendant la durée de leur mandat, sauf pour faute grave commise dans l’exercice de leurs fonctions. Ils ne peuvent en aucun cas et à aucun moment être poursuivis, recherchés, ni arrêtés pour les opinions émises dans l’exercice de leurs fonctions. D’ailleurs, avant leur entrée en fonction, les membres du Conseil de régulation prêtent serment devant la Cour d’Appel, ce qui fait d’eux, des agents assermentés.
Par ailleurs, pour éviter des conflits dans le cadre de leur mission, la fonction de membre du Conseil de régulation de la Commission de Régulation est incompatible avec toute autre activité, y compris de consultance exercée pour le compte ou au bénéfice d’un opérateur des secteurs de l’électricité, de l’aval ou de l’amont des hydrocarbures et des segments amont, intermédiaire et aval du secteur gazier ou quelque autre fonction rémunérée, avec quelque mandat électif national ainsi que toute détention directe ou indirecte d’intérêts dans une ou des entreprises des secteurs susvisés. Il faut, donc, un travail rigoureux, en amont de la sélection des membres.
Chapitre I – Le Secrétariat exécutif, en ce qui le concerne, est l’organe d’exécution de la Commission de Régulation du Secteur de l’Énergie. Il appuie le président du Conseil de régulation dans la gestion quotidienne de la CRSE. Il est dirigé par un Secrétaire exécutif placé sous l’autorité du Président du Conseil de régulation.
Le Secrétaire exécutif est un cadre de la hiérarchie A ou assimilée disposant d’une expérience démontrée d’au moins dix années dont cinq (05) ans dans le secteur de l’électricité, ou de l’aval des hydrocarbures et des segments intermédiaire et aval du secteur gazier, comme ingénieur, économiste, planificateur, financier, juriste ou dans le domaine de la régulation, ou toute autre profession pertinente.
Chapitre II –
Le Secrétaire exécutif, au même titre que les membres du conseil de régulation, est recruté par voie d’appel à candidature, lancé par le Conseil de régulation. Il est nommé par décret sur proposition du Conseil de Régulation. Il ne peut être révoqué que pour des raisons de faits graves ou comportement susceptible de nuire à la bonne marche ou à l’image de la Commission conformément à la réglementation en vigueur.
Une des nouveautés de la nouvelle commission de régulation du secteur de l’Energie est la création en son sein, d’un Comité de règlement des différends (CRD). Composé de cinq (5) membres, le CRD est un organe indépendant des autres organes de la CRSE, chargé de l’examen des plaintes et recours déposés auprès de la Commission de Régulation du Secteur de l’Énergie. Il a une compétence exclusive pour statuer sur les plaintes et violations de la réglementation soumises par les acteurs des secteurs et relevant de la compétence de la CRSE, ainsi que sur les recours exercés par les candidats et soumissionnaires dans le cadre des procédures d’obtention des titres d’exercice des activités réglementées.
La création du CRD, qui peut être saisi par toute personne physique ou morale qui se sentirait lésée, donne à la Commission de Régulation du secteur de l’Energies, un pouvoir d’enquête et de sanction. Ces pouvoirs sont encadrés par la Loi créant la CRSE ainsi que toutes les dispositions législatives et réglementaires en vigueur en matière d’enquête et de sanction. Le non-respect de ces dispositions, peut, en cas de saisine de la juridiction administrative (cours suprême) entrainer l’annulation des décisions du CRD donc de la CRSE car il faut le rappeler toutes les décisions de la CRSE sont susceptibles de recours en annulation devant la chambre administrative de la cour suprême.
La création du CRD serait surement bien accueillie par les acteurs, notamment ceux du sous-secteur aval des hydrocarbures qui n’avaient presque pas où se plaindre, tout était réglé dans le cadre d’arrangements ce qui n’est pas mauvais en soi. Force est de reconnaitre qu’à chaque fois qu’un acteur du secteur aval pétrolier saisissait le Comité national des Hydrocarbures ou la Commission nationale de la Concurrence, ces derniers se sont toujours déclarés incompétents car ne disposant des moyens juridiques pour trancher. Toutefois, le CNH a toujours été une structure de conciliation et de médiation entre les acteurs.
Cependant, avec cette nouvelle loi, les acteurs peuvent convenablement saisir la CRSE pour un règlement des différends relevant de ses compétences et espérer gain de cause.
Chapitre III – En définitive, la Commission de Régulation du Secteur de l’Énergie :
- émet des avis;
- rend des décisions ;
- prend des règlements,
- édicte des règlements d’application.
Comme je l’ai écrit, dans mon ouvrage sur l’encadrement juridique de l’aval des hydrocarbures, il était temps pour le secteur de l’Energie d’avoir une régulation forte capable de prendre en charge les préoccupations des acteurs en toute impartialité et en toute indépendance. Toutefois, la régulation n’a pas vocation de sanctionner mais de créer l’équilibre pour rendre un marché attractif. La régulation n’a pas vocation à concurrencer l’administration centrale mais de l’accompagner et de l’aider à organiser un marché bien déterminé.
Que chacun joue son rôle en toute responsabilité, seuls les Sénégalais en seront les bénéficiaires.
Birame SOW
Responsable Juridique de Petrosen T&S
Titulaire d’un Master 2 en Juriste Conseil d’Entreprise et d’Affaire
Et d’un Master II en Droit et Economie de la Régulation
birame2004@hotmail.com