L’Afrique, Moïse et le monothéisme de Sogué Diarisso fait partie de ces ouvrages qu’on lit en exultant, mais aussi en tremblant et ce, aussi bien pour la qualité de la plume que pour le contenu cognitif qu’il renferme. En général les scientifiques écrivent bien, mais les mathématiciens sont encore plus séduisants par leur art d’inférer des chaines de raisons comme dans l’axiomatique.
Des thèses audacieuses et parfois angoissantes dont les prémisses sont évidemment fondées sur les découvertes capitales et postulats de Cheikh Anta Diop, l’auteur en avance plusieurs sans se laisser inhiber par ses convictions morales ou religieuses. Ce courage qu’on appelle éthique scientifique est l’expression de la liberté qui fait le charme et la sécurité de la science. Quelle est la problématique de cet ouvrage ? L’auteur a-t-il atteint ses objectifs intellectuels ? Quels sont supports lui ont permis de soutenir avec beaucoup de courage et de talent des thèses aussi audacieuses ?
Tel un berger de la dignité du Noir, Sogué Diarisso, dans la continuité du combat de Cheikh Anta Diop qui est sa principale source d’inspiration, semble se poser ici une question vitale : comment libérer l’Africain de la situation de dépendance à la fois intellectuelle, spirituelle, politique et économique dans laquelle elle est enfermée depuis plusieurs siècles ? La question est en apparence simple, mais elle devient redoutable lorsqu’on prend en compte l’atomisation à la fois confessionnelle et politique du continent et ce qu’il qualifie lui-même de « péril religieux ».
La libération doit-elle passer par le reniement des religions révélées et des civilisations qu’elles ont charriées pour un retour aux traditions (mais où commencer dans ce cas, et quelle tradition commune) ? Ou bien peut-elle se faire en revendiquant avec légitimité le socle de ces religions et patrimoine intellectuel comme propres aussi à l’Africain sous forme d’un universel dont les fondements essentiels ont été jetés en Égypte antique ? Mais dans ce cas, comment régler le problème des deux grandes religions révélées qui se « partagent » les peuples d’Afrique ? Le livre est divisé en trois parties.
La première partie est une véritable archéologie, un dépistage des péripéties de la perte de l’âme unificatrice de l’Afrique. L’auteur y explique comment les religions monothéistes ont germé en Égypte pour aller fleurir et fructifier hors du continent.
Le monothéisme est né en Afrique, et c’est ce qui explique, selon l’auteur, le fait qu’en adoptant ces religions, les Africains y ont vu des choses qu’ils trouvaient plus ou moins ordinaires parce que profondément incrustées dans leurs croyances.
Des idées reçues qui ne résistent à aucune analyse scientifiques ont dû cependant être ébranlées par l’auteur : parmi elles, le sens de l’exode qui, selon lui ne pouvait (géographiquement et historiquement parlant) être un mouvement parti de l’Égypte vers la Palestine. « L’examen de la carte de la zone, explique-t-il, aurait dû amener à rejeter cette thèse parce que même si Dieu est un faiseur de miracles, il n’en demeure pas moins qu’il reste le Premier des scientifiques, qui s’adresse aux hommes doués de raison ». p.17, Introduction
Le Chapitre 1, une véritable phénoménologie de la religion, commence par un examen du sens et des enjeux de la religion (c’est la finitude de l’homme qui le pousse à la transcendance). Cette quête de transcendance qui passe par l’art et la religion prendra des formes différentes relativement au milieu dans lequel elle prend racine.
Du cannibalisme symbolique (dans les religions préhistoriques) à l’Eucharistie, ce qui est exprimé en toile de fond, c’est le refus de l’absurdité de l’existence, la projection vers l’infini comme source et destination de la finitude qui est l’essence de l’homme. Les différents rituels de la mort (et du mort) témoignent de cette quête de victoire sur la mort : « Aussi bizarres que puissent paraître les pratiques religieuses des hommes préhistoriques, elles s’adressaient à des forces surnaturelles à qui ces derniers vouaient un véritable culte. Au nombre de ces pratiques religieuses des hommes primitifs figure le cannibalisme, phénomène fort répandu à l’époque préhistorique notamment au paléolithique inférieure ». p.23. [Les lecteurs de Totem et tabou de Freud ne seront pas dépaysés ici].
Du royaume des esprits au royaume de Dieu, l’homme se cherche un destin plus doux que l’anéantissement définitif par la mort.
Le chapitre 2 est une archéologie de la falsification de l’histoire des Noirs. Tout a commencé par une idéologie appelée égyptologie : sous le couvert de la science, l’égyptologie a été une vaste entreprise de falsification de l’histoire des Noirs qui a commencé par un blanchissement des peuples de l’Égypte antique. Des injures hégéliennes (dignes d’un orfèvre de l’éloquence) contre les Noirs aux délires du physiologiste français Charles Richet (qui envisagea l’extermination des Noirs !) en passant par l’ironie de Montesquieu, Gobineau, Hume, etc., l’auteur rappelle les procédés psychologiques par lesquels on a réussi à persuader l’Africain qu’il n’a rien créé de grand et qu’il est, par nature, inférieur au Blanc.
Faisant preuve d’une grande dextérité, Sogué Diarisso va fouiller dans l’antiquité de l’Egypte-Éthiopie pour exhumer les vestiges nègres de la civilisation égyptienne avec à l’appui les photos des représentations (gravures et sculptures) de souverains ou reines qui ont régné sur le trône d’Egypte. Les traits manifestement nègres des pharaons Ahmosis (dont le nom rappelle Yamessou ou Yamoussou dans certains pays du Golfe de Guinée), Mentou-Hotep, Narmer (Nare Mari qui serait, selon l’auteur, le vrai nom de Soundjata Keita) ainsi que les représentations du Dieu Osiris lui-même, etc., auraient dû suffire pour montrer le caractère authentiquement africain de la civilisation égyptienne.
L’ascension d’Osiris et sa résurrection par les soins de sa femme Isis, le livre des morts qui est un véritable code de conduite destiné à régenter l’existence sociale des vivants, montrent que les Noirs n’ont rien importé en adoptant les religions révélées.
La signification de la circoncision et l’excision relativement à la cosmogonie égyptienne (androgynie primitive), les témoignages d’Hérodote, d’Aristote, etc., montrent le caractère indubitable que la civilisation égyptienne était nègre et que ses cosmogonies sont « largement influencées par celles de la Nubie ».
Le chapitre 3 qui aurait pu être intitulé « aux origines égyptiennes du monothéisme » nous explique la portée de la révolution à la fois spirituelle et sociale enclenchée par Akhenaton qui, comme le feront ultérieurement les fondateurs des religions révélées, substitua le monothéisme au polythéisme. La destruction du polythéisme au profit du monothéisme telle qu’exécutée par Akhenaton nous montre d’ailleurs que les hommes font comme les dieux : le pouvoir est une tragédie.
Le lecteur de ce troisième chapitre sera stupéfait de voir comment l’inconscient collectif parvient à graver au fond de l’âme humaine des archétypes qui peuvent donner des indications sur l’évolution et la migration des peuples. Les noms comme Kiya (une des épouses d’Akhenaton), Maa Moussé (l’homme né du spectre d’Osiris), l’histoire des deux épouses d’Akhenaton qui rappelle l’histoire d’Abraham et des siennes, etc. Le chapitre trois qui peut ressembler parfois à une parodie de l’histoire donne une mine d’informations précieuses qui justifient largement la thèse audacieuse de l’origine égyptienne de la Bible.
S’appuyant sur les travaux de Messod et Roger Sabbah (Les secrets de l’Exode, Paris, Jean-Cyrille Godefroy, 2000) Sogué Diarriso lève le coin du voile sur un côté ambigu de certains passages de la Bibe sur l’Égypte : « Selon Roger Sabbah, les premiers textes bibliques auraient été écrits par des Prêtres égyptiens déportés à Babylone par le rois Nabuchonosor » p.70. Le Moïse authentique serait donc égyptien et les premiers rédacteurs de la Bible seraient des noirs égyptiens, même si par une mauvaise ironie de l’histoire (récit) sur l’histoire (évènements), ils en deviennent marginaux, maudits : « Finalement la seule chose qu’on peut retenir de toutes ces thèses est que les périodes auxquelles aurait vécu Moïse, notamment la période amarnienne de la XVIIIe dynastie ou celle de la fin de la XIXe qui lui succède sont confuses, mais la constante est que Moïse est Égyptien.
Par contre, le récit de son enfance s’apparente à celui de Sargon d’Akkad, qui a vécu plusieurs siècles auparavant. Les développements ci-dessus laissent croire que la Bible (l’Ancien testament) raconte pour l’essentiel les péripéties du peuple égyptien, avec certains de ses pharaons et notables, particulièrement ceux des XVIIIe et XIXe dynasties ». pp.68-69. Bref, l’’histoire de Moïse en Égypte pourrait, à la lumière de ce chapitre 3, être une idéologie juive ou un mythe. On apprend également dans ce chapitre les origines royales de l’auteur…
Le chapitre 4 est encore plus intrépide par la nature des thèses qu’il expose : « L’influence des religions égyptiennes sur le bassin méditerranéen, l’Europe et l’Afrique ». En retraçant les pérégrinations des présocratiques et même des socratiques grecs vers l’Égypte, l’auteur montre comment les Grecs ont contribué à piller le patrimoine et intellectuel et spirituel égyptien sans avoir la grandeur de le reconnaitre dans leurs œuvres.
Il n’y a, sous ce rapport, aucun miracle grec : comme l’a démontré Cheikh Anta Diop, la plupart des philosophes grecs ont été des plagiaires. Il se trouve que quand les structures politiques déclinent elles emportent avec elles l’essentiel du patrimoine culturel. Or l’Égypte, par un concours de circonstances, a été victimes d’instabilités politiques et d’invasions : « Ainsi, après le déclin de l’Égypte, qui fut successivement sous domination des Perses, des Grecs et des Romains, l’oubli par les Africains de leurs racines religieuses, on voit bien que l’Europe marquée par le mythe d’Isis-Osiris-Horus apparaissait tout naturellement comme la terre d’érection du christianisme tel que nous le connaissons aujourd’hui.
On note toutefois l’existence d’un Copte du nom d’Issa qui a vécu vers -310 et pratiquait la religion osirienne. Il avait le grade de Ker Kersheta (gardien des mystère) qui serait l’origine du mot Krystos des Grecs » p.87. La fin du chapitre nous apprend que l’Islam, comme les autres religions révélées, est d’origine africaine. Mieux, le Prophète Muhamed lui-même ainsi que ses premiers compagnons pourraient avoir des origines nègres occultées par plusieurs siècles de métissage.
Alassane Kitane
(A suivre la deuxième et la troisième partie)