Pour Cheikh Béthio Thioune, fondateur des Thiantacônes, tout est parti d’un conseil prodigué par Serigne Saliou Mbacké : rendre grâce. Depuis et jusqu’à sa mort en 2019, le cheikh n’a cessé de nourrir le pauvre. Plus encore durant le mois de Ramadan.
Pour ceux qui aiment voir des symboles en toutes circonstances, la mort de Cheikh Béthio Thioune, le premier jour du mois de Ramadan, ne saurait être un hasard.
«Dieu a instruit de donner à manger sans exclusion et Cheikh Béthio, sur instruction de Serigne Saliou, s’était attelé à cette tâche avec brio et sans mesure», écrira Sheikh Alassane Sène au lendemain de son décès en France, le 7 mai 2019, premier jour du mois béni du Ramadan. Entre autres particularités, le Ramadan incite les musulmans à la solidarité, à la générosité et au partage. Des actes vivifiés par l’administrateur civil de métier durant toute sa vie de cheikh.
Elevé à ce rang en 1987 par Serigne Saliou Mbacké, il avait choisi de donner à ses talibés le nom de Thiantacônes pour institutionnaliser ces actes de solidarité. Il en fut le roi. Jamais le mot «berndé» ne connut un usage aussi populaire qu’avec lui.De manière générale, Cheikh Béthio Thioune a passé sa vie de guide à nourrir les nécessiteux.
Encore plus durant le mois béni où ses actions de grâce étaient multipliées. Du médianoche au repas de rupture, il ne cessait de prendre soin des jeûneurs. Au début, un peu timidement parce qu’il passait la majeure partie de son temps à Touba, auprès de celui qui lui a intimé l’ordre de perpétuer ces actions de grâce. Puis au décès du 5e khalife de Touba en 2008, il ne s’est plus fixé d’endroit pour passer le ramadan. Dans sa maison à Mermoz, son domaine de Médinatoul Salam à Mbour, à Bordeaux en France ou en Italie… Mais dans quelque endroit qu’il puisse être, il veillait toujours à ce qu’il y ait de la nourriture à foison.
Le talibé, le voyageur, le riche, l’indigent… étaient logés à la même enseigne pour lui. La seule distinction qu’il faisait, était le fait de servir des mets de choix. «Du vermicelle, de la viande, de la volaille, des fruits, de la boisson… Ce qu’on appelle la nourriture de Touba», détaille Ibrahima Diagne qui fut de sa cellule de communication.
Par-dessus tout, le cheikh aimait que ses invités mangent à satiété. Ses «ndogou» en étaient devenus célèbres et courus. En 2011, un ndogou spécial était donné tous les samedis chez lui, à Mermoz, où accouraient par centaines les talibés. Des tentes et des nattes étaient dressées sur des dizaines de mètres, sur la petite avenue.
L’Observateur en faisait alors le récit : «La rupture du jeûne chez Cheikh Béthio se prépare toute la journée. Ce n’est pas moins d’un million de FCFA que l’on dépense, rien que pour l’achat de la viande pour servir à dîner à tout ce beau monde qui vient répondre à l’appel du Cheikh. Mieux, 200 kilos de pain et plus de 5 grosses marmites de café Touba sont servis. Le bœuf immolé pour la circonstance, accompagne les 25 marmites de riz qui viennent s’ajouter au premier repas. Comme le répète l’un des plus fervents talibés de Serigne Saliou Mbacké, «pour un musulman, donner à manger à un nécessiteux, ne serait-ce qu’avec une poignée de riz, équivaut à construire 1000 mosquées, surtout pendant le Ramadan». Suffisant alors pour que Cheikh Béthio ne lésine pas sur les moyens».
Encore plus durant la célébration de la nuit du Destin qui avait fini, tout comme les samedis du ramadan, d’acquérir une grande renommée auprès des citadins. Une parmi les dix dernières de ce mois, la nuit de Leylatul khadr est considérée comme la meilleure en Islam. Parmi les actes méritoires, il est conseillé de faire l’aumône.
Cheikh Béthio aimait régaler ses fidèles toute la nuit avec de bons repas. D’ailleurs, son fils et khalife, Serigne Saliou Thioune qui vient d’offrir aux daaras de Touba des milliers de repas pour la rupture du jeûne, s’apprête à perpétuer le legs. «Du récital de Coran aux panégyriques de Serigne Touba, tout sera fait comme le faisait son défunt père. Le berndé compris», dit-il.
«Mon père mangeait très peu»
Profondément humain, Cheikh Béthio qui avait aussi installé un système de solidarité pour la prise en charge médicale des Thiantacônes et qui a toujours veillé à nourrir les nécessiteux, mangeait pourtant très peu. Selon ses enfants, il était difficile de le voir manger en pleine séance de thiant. «Il coupait son jeûne avec des dattes comme tout le monde.
En dehors de cela, mon père mangeait très peu. Il ne faisait que goûter pour faire honneur aux cuisinières. Il semblait ne jamais avoir faim.
Il pouvait passer 24 heures sous la tente et on ne le voyait pas manger ou se lever pour un quelconque besoin», dit Fatima Thioune, sa fille aînée. Apparue lors du décès du cheikh pour témoigner de sa grande générosité, Fatima parle encore de son père avec nostalgie et tristesse. «J’ai le cœur lourd aujourd’hui», dit-elle d’une voix rauque à l’évocation du cheikh.
Dans ses souvenirs, comme dans ceux de son frère, le ramadan de Serigne Béthio est indissociable de sa capacité à donner à manger, peu importe la dépense. Elle garde toujours en mémoire le dernier Ramadan passé en compagnie de son père en 2018 où il avait encore mis les petits plats dans les grands lors de la nuit du Destin.
Fatima s’était comme toujours étonnée de la capacité du guide à tenir la faim. «Alors que les autres faisaient ripaille, lui ne prenait que quelques bonbons», se remémore-t-elle. Pour son khalife, rien d’étonnant à ce caractère : le cheikh était toute sa mission. Il a d’ailleurs tenu à éduquer ses enfants dans cette voie. Alors que Serigne Saliou Thioune prend officiellement soin du legs de son père, Fatima, elle, se charge de respecter le conseil donné par son père il y a des années : tous les soirs, elle apporte un bol de repas aux boutiquiers de son quartier parce qu’un jour, Cheikh Bethio Thioune lui avait dit que c’était la seule voie à suivre.