Membre du Conseil de l’ordre national des médecins, Secrétaire général de l’Association des cliniques privées du Sénégal, Dr Falilou Samb pointe du doigt l’état comateux du système sanitaire sénégalais.
Le diagnostic est alarmant. Les affections contenues dans le dossier médical du patient ont de quoi laisser songeur. Dans la fiche établie par le Dr Falilou Samb, membre du Conseil de l’ordre national des médecins, Secrétaire général de l’Association des cliniques privées du Sénégal, le malade est d’un genre particulier. Il s’appelle : système sanitaire du Sénégal. Il souffre de maux chroniques dont le traitement nécessite une intervention en urgence. Dans un contexte de pandémie de Covid-19, Dr Falilou Samb dresse un bilan catastrophique du système sanitaire du Sénégal. Un système qui ne tient plus, selon le médecin. «Nous aimons prendre nos solutions pour des problèmes, autant de jeunes médecins et pharmaciens qui se lamentent, des chômeurs invétérés surexploités, alors que le système est à bout de souffle, affirme-t-il, sans ambages. Il est impératif de revoir notre système sanitaire. Le Sénégal en fait n’a jamais eu de système de santé, mais un système de soins très précaire qui met tout Sénégalais en sursis ; un système à bout de souffle. L’offre de soins est incomplète, en raison des innombrables évacuations sanitaires coûteuses et très dangereuses aussi bien pour le patient dont le pronostic vital est constamment menacé et le met ainsi dans une incertitude, que pour le système qui perd énormément de devises au profit d’autres systèmes. Ce système incompétent a un coût exorbitant en qualité de vie, en vies humaines, et financier.»
«Les gens se soignaient mieux en 1960 qu’en 2021»
Incompétence, manque de performance…Dr Samb y ajoute l’exclusion d’une certaine couche de la population. «Le constat est général. Il y a certaines catégories de Sénégalais qui sont exclues du système de santé, comme les personnes âgées. Si vous avez une personne âgée grabataire chez vous, ni dans le public, ni dans le privé, on ne peut la prendre en charge. Les cancéreux qui sont en fin de vie, il n’y a pas de soins palliatifs au Sénégal. Les gens meurent chez eux dans des conditions excessivement difficiles, non seulement pour eux avec des pleurs atroces, mais pour leurs enfants, leur entourage et autres. Ils sont carrément dans le désarroi parce que personne ne veut les prendre, il n’y a pas de soins palliatifs organisés dans ce pays par rapport à d’autres pays du Maghreb ou de l’Europe où quand quelqu’un est en phase terminal, tu sais que tu peux l’amener quelque part et il peut mourir en toute dignité.
Mais, au Sénégal, les gens meurent en perdant toute leur dignité en laissant des traumatismes et des séquelles à leurs enfants. Ces manquements du système méritent réflexion et si on ne les change pas, on va directement vers le mur», décrit le Dr Samb. Dans son diagnostic pour le moins inquiétant, Dr Falilou Samb pointe du doigt les pathologies qui minent la santé au Sénégal. «Un système de santé, c’est une stratégie, une organisation et une opérationnalité. On ne sait pas où va la médecine et où on veut mener notre système sanitaire.
Les gens se soignaient mieux en 1960 qu’en 2021 parce qu’il n’y a pas de stratégie, pas d’organisation. Il n’y a rien. On a une gestion circonstancielle. On parle de Ebola, tout le monde parle de Ebola, on parle de Covid, tout le monde en parle. L’opérationnalité du système pose problème. Si vous tombez malade, pour certaines maladies, vous avez 90% de chances de mourir. Vous faites un Avc à 19 heures au Sénégal, vos chances sont comptées, quelle que soit votre situation. Vous faites un coma diabétique, vous avez 99,9% de chances de mourir. Il y a un problème de stratégie et d’organisation. On a un système qui ferme à 18 heures, vous tombez malade, vous allez à l’hôpital, on vous dit que le garde est descendu ou la machine est éteinte.» Pis encore, selon lui, actuellement, il n’y a que pour le Covid-19. «Il y a plus de morts indirectement liées au Covid que le Covid en lui-même. Nous qui sommes sur le terrain, nous voyons plus de dégâts concernant le diabète, les Avc, l’hypertension. Certains refusent même d’aller à l’hôpital. Le programme élargi de vaccination est pratiquement à l’arrêt, puisque les gens ont peur d’amener leurs enfants à l’hôpital.»
«Notre système est hybride avec un système public, gouffre à milliards et non opérationnel»
Pour remédier aux maux de la santé, Dr Samb insiste sur l’impérieuse nécessité de redéfinir le système sanitaire. «Il faut réorganiser le ministère de la santé pour mieux cerner ses attributs. Nous avons un ministère de la maladie publique et non de la santé. Dans tous les pays qui ont réussi leur système, la maladie est sortie du ministère de la santé. La santé n’est pas la maladie, la santé n’est pas la médecine.
Cette nouvelle redéfinition permettra d’avoir un ministère articulé exclusivement sur la santé. La santé, la médecine et la maladie sont des choses différentes, mais malheureusement qui créent beaucoup de confusion et d’amalgames. Comme la médecine (formation et spécialisation des cadres) est gérée par le ministère de l’Enseignement supérieur, en parfaite intelligence avec le ministère de la Santé, il serait aujourd’hui opportun de regrouper la maladie, l’action sociale, l’environnement et l’hygiène dans une même entité pour donner plus de marge de manœuvre au ministère de la Santé. Présentement, on a plus un ministère de la maladie publique qu’autre chose. La plupart des programmes tournent autour de la lutte contre des pathologies (visiter le site du ministère).
La gestion de la maladie est circonstancielle et nous met tout le temps dans la réaction et non dans la prospective. Un système doit être construit autour d’une stratégie, d’une organisation, une opérationnalité.» Le plus grave dans tous ces manquements qui grippent la machine sanitaire au Sénégal, c’est que d’après Dr Samb, le Sénégal n’a pas de code de la santé. Il se désole : «Toutes les références faites sur les décrets, sur la Constitution n’existent pas et c’est très grave.
Le ministère de la Santé doit travailler d’arrache-pied à la mise à jour d’un code de la santé au Sénégal. Lequel, avec des textes législatifs et réglementaires, va donner un statut et une définition précise à chaque composant matériel et humain impliqué dans une bonne gestion de la santé. Il donnera un statut à chaque catégorie du personnel et gérera leurs carrières. Il donnera un statut aux médicaments, réglementera les dispositifs biomédicaux.
Il nous permettra d’avoir un seul système sanitaire où le patient sera au centre du dispositif. Actuellement, notre système est hybride, avec un système public, gouffre à milliards et non opérationnel, un système privé, très débrouillard, non soutenu, un système militaire, scolaire…Le système sanitaire doit être complètement décloisonné. La médecine est une profession par essence libérale, donc vouloir cloisonner les médecins en public, privé, militaire… pour une même cible dénote un manque d’ambition et de vision.» Dr Samb rappelle aussi que même le matériel médical doit avoir un statut. «C’est la raison pour laquelle en France, les matériels, on les réforme, tous les cinq ans, parce qu’il y a l’obligation de résultats qui est là et elle suit l’évolution technologique et scientifique.
Mais au Sénégal, on voit des appareils plus âgés que les médecins qui les utilisent parce que tant que l’appareil fonctionne, on ne le change pas. Ces appareils ont des durées de vie et des durées même d’efficacité. On ne peut pas former 100 à 200 médecins qui sortent chaque année, alors que quand on sort de Dakar, il y a des endroits qui n’ont pas de médecins. Nous n’avons pas de problèmes de ressources humaines, mais un problème de santé publique. On gère le quotidien des Sénégalais, mais on n’est pas dans la prospective.» Autant de maux qui font que Dr Samb appelle les autorités à revoir les contenus (le curricula) des programmes de formation qui doit être orientée vers une médecine à haute valeur ajoutée.
«Cette médecine intuitive que nous pratiquons est dépassée. Le monde est dans l’évidence, une médecine scientifique supportée par des arguments technologiques de diagnostic et de prise en charge. Le système actuel n’est pas en phase avec les besoins en santé des Sénégalais, sa réforme est un impératif pour une meilleure offre de santé», souligne Dr Samb.