Une semaine après la bataille rangée qui a occasionné des blessés, Diohine rumine encore sa colère contre le marabout Serigne Bara Sène, dont la présence au village est jugée par certains comme une menace à la cohésion sociale.
Demba revient de loin. De très loin même. Cinq jours après son passage à tabac par les disciples du guide religieux Serigne Bara Sène, fils de Cheikh Ndigueul Sène, le jeune Demba Codou Marone ne semble pas totalement remis de sa mésaventure. Engoncé dans une demi-saison en wax assortie d’un bonnet sur la tête, la trentaine révolue, Demba tient à témoigner de sa malchance à l’assemblée générale organisée, ce samedi 17 avril 2021, par les populations de Diohine, pour demander le départ, sans condition, de Serigne Bara Sène de leur village. Une fracture au crâne dissimulée sous son bonnet bleu, une mine fragile, Demba avait passé un mauvais quart d’heure, le lundi dernier, dans son village natal Diohine, devant le regard impuissant de ses voisins. Il a été la cible de la furie des disciplines du marabout. Touché dans sa chair, il raconte : «Tout est allé trop vite. On était assis aux abords de la route en train de discuter quand les Ndongo (disciples du marabout) de Bara nous ont surpris. Ils ont commencé par nous insulter et quand j’ai répliqué, ils m’ont attaqué et violemment agressé avec des armes blanches. En surnombre, ils m’ont malmené. C’est après, que les jeunes ont riposté avec des jets de pierres. J’ai eu des fractures à la tête et des douleurs aux autres parties du corps. Le pire pouvait arriver. Et je ne suis pas le seul à être agressé par ces éléments du marabout.» Demba Codou est un homme blessé. Malgré le calme précaire qui est revenu au village, il a le propos revanchard. «Nous ne pouvons plus cohabiter avec lui (Bara Sène). Tout ce que nous demandons, c’est qu’il quitte le village le plus rapidement possible», lance-t-il, comme un ultimatum.
Dans ce village de plus de 3 000 âmes de la commune de Diarrère dans la région de Fatick, à 140 Km de Dakar, le feu couve depuis le 11 avril dernier. La vive tension suscitée par les parades du marabout Serigne Bara Sène, en compagnie de ses ouailles qui tiennent en respect les populations, à chacun de ses passages, a même abouti à des heurts sanglants. Un conflit armé qui a perturbé la quiétude du village et fait intervenir les autorités administratives. Malgré les pourparlers, une partie de la population de Diohine semble déterminée à croiser le fer avec Serigne Bara Sène, un voisin devenu vite «indésirable». La preuve, ils étaient des centaines à investir massivement, samedi dernier, la mythique place publique du village, «Soob Kaa», pour statuer sur l’affaire du guide religieux. Jeunes, vieux, notables, «Saltigués (prêtres)», «Salma Koor (guerriers)», entre autres, ils étaient des centaines à répondre à l’appel de Diohine. Unis comme un seul homme, ces fils de Diohine ne demandent qu’une chose : «Que Bara se barre de Diohine», crie la foule.
«Les excuses du marabout ne décolèrent pas la population»
Enseignant au lycée de Diohine, Pierre Sène se dit victime des agissements des fidèles du marabout. Venu lui aussi témoigner de sa mésaventure, il tient d’abord à lever les équivoques. «Il ne s’agit pas d’un problème religieux, mais d’un conflit social», campe-t-il. Il enchaîne, très en colère : «Je peux dire je suis l’élément déclencheur. Parce qu’un jour, j’ai croisé le cortège du marabout et sa sécurité m’a intimé l’ordre de quitter la route. J’ai garé mon véhicule et éteint le moteur. Ils m’ont abreuvé d’insultes. J’ai répliqué et ils m’ont traité de pauvre enseignant parce que leur guide conduit une limousine, alors que je n’ai qu’une Dacia. Il ne s’agit donc pas d’un conflit religieux opposant musulmans et chrétiens du village, comme certains semblent le qualifier. Il s’agit plutôt d’un problème entre un jeune marabout, venu récemment dans le village et ayant tenu des propos déplacés à l’endroit de tous les habitants, de leur façon de vivre, et même de l’église. Musulmans ou chrétiens, tous les villageois se sont sentis offensés.»
«Sa présence menace la cohésion sociale du village»
A l’image de Demba et Pierre, Paul Faye, lui aussi, se dit victime des agressions et menaces des fidèles du guide religieux. Pour Paul, les actes posés par le marabout et ses fidèles ne rassurent pas pour la suite d’une bonne cohabitation. «Bara nous a insultés, Bara nous a agressés. Sa présence menace la cohésion sociale du village. Depuis sa création jusqu’à présent, Diohine n’a jamais eu de complexe devant qui que ce soit. Nous n’accepterons qu’un jeune de rien du tout (Serigne Bara Sène serait né en 1987), taxe les fils de Diohine de pauvres et de clochards, alors qu’il n’y a que des gens dignes ici. Nous ne voulons pas de violence, nous voulons qu’il quitte le village au plus tôt», lance Paul Faye, devant une foule en hystérie, prête à engager le combat contre le marabout. Dont les excuses publiques, proférées au lendemain de la bataille rangée, qui a ému tout le pays, ne semblent pas sincères aux yeux d’une frange de la population de Diohine.
Rattrapé par ses déclarations jugées offensantes, le fils de Cheikh Ndigueul Sène a présenté ses plates excuses à la population, en présence du Commandant de la légion centre de la Gendarmerie de Fatick, du chef de village de Diohine et de plusieurs notables et jeunes de la localité. Ce moment symbolique a permis d’arrondir certains angles. Mais pas de gommer toutes les aspérités. Surtout que révèle-t-on à Diohine, le jeune marabout a été contraint à l’exercice par son père, Cheikh Ndigueul Sène, un homme courtois et très aimé dans le Sine. Mais, cette médiation n’a pas baissé la détermination des jeunes. Selon Paul Faye et ses camarades, la cohabitation avec Serigne Bara Sène est désormais impossible. A travers un mémorandum qu’ils comptent remettre au Sous-préfet de Tattaguine, les jeunes exigent le départ sans délai du guide religieux et l’arrêt immédiat des chantiers (construction d’une résidence et d’un Daraa…) du marabout dans le village. Des exigences qui annoncent d’autres actions en justice.
«Nous allons enquêter sur de potentiels détournements de mineures»
Pour ces habitants de Diohine, c’est aujourd’hui un impératif de mener une enquête sur la vie de Serigne Bara qui a débarqué dans leur village en décembre dernier. «Il y a beaucoup de choses qu’il faut éclairer. Il aurait même épousé de jeunes mineures. Nous allons rencontrer toutes ces familles et si cela est avéré, nous allons porter l’affaire devant la Justice pour que tous les parents qui sont complices de détournement de mineurs avec le marabout soient poursuivis. Nous n’accepterons pas que nos sœurs soient détournées par un soi-disant marabout», avertit Pierre Baling Diouf, modérateur de la cérémonie. Une assemblée générale emplie de risques de débordement, qui avait poussé les autorités administratives à prendre les devants en renforçant la sécurité dans le village. Un important dispositif sécuritaire de la gendarmerie a été installé en face de la maison en construction du guide religieux. Quatre véhicules pick-up et une vingtaine d’éléments de la gendarmerie entre la maison du marabout et le reste du village. Assez pour camper la situation à Diohine où le retour à la paix n’est pas pour demain. Sauf si…
EDOUARD DIAGNE, CHEF DE VILLAGE DE DIOHINE : «Ce n’est pas un problème religieux entre Musulmans et chrétiens…»
«Tout est parti des parades que le guide religieux Serigne Bara effectuait avec ses disciplines sur l’axe principal du village. Le dimanche 11 avril dernier, quand le cortège du marabout est arrivé à hauteur du marché, ses agents de sécurité ont intimé l’ordre à un jeune de céder la voie publique pour laisser passer leur guide religieux. Ils ont maltraité le jeune. C’est ce qui a déclenché la colère des populations. Mais, il ne s’agit pas d’une affaire religieuse, ni d’un conflit opposant Chrétiens et Musulmans du village. Diohine est un village de paix où les gens vivent en parfaite harmonie, qu’on soit Musulman, catholique ou animiste. Pour être clair, il s’agit d’un problème entre Serigne Bara Sène, fils de Cheikh Ndigueul Sène, et des gens du village. La population s’est sentie insultée et menacée à travers certains propos du guide religieux. Par la suite, il y a eu des affrontements entre les disciples du marabout et certains jeunes du village. Il y a eu des blessés et des convocations à la Gendarmerie. Mais le pire a été évité grâce à la médiation de bonnes volontés. Le marabout a été rappelé à l’ordre par son père Cheikh Ndigueul et il a présenté ses excuses. A Diohine, on ne connaît pas de terreur et c’est la première fois que ce type d’incidents se produit ici. Diohine est une terre d’hospitalité et de Téranga. Nous appelons tous à la raison parce qu’on n’acceptera pas que notre cohésion sociale bâtie par nos arrières-grands-parents soit remise en cause.»
SERIGNE MOUSTAPHA SARR, BRAS DROIT DU GUIDE RELIGIEUX : «C’est regrettable que certaines personnes estiment être visées par les prêches de Serigne Bara»
«D’abord, nous appelons au calme et à la retenue. Nous ne sommes pas des partisans de la violence. Là où nous sommes à Diohine, nous travaillons pour l’Islam, la paix, la solidarité et le développement. A Diohine comme un peu partout dans le pays, Cheikh Ndigueul a installé des Daras (écoles coraniques). Ici à Diohine, Cheikh Ndigueul a eu des talibés, des Dieuwrignes et des Cheikhs. Et ce sont ces derniers qui ont acquis ces terrains pour les transformer en Dara. Ils ont présenté le projet à Cheikh Ndigueul qui a donné son accord avant de demander à Serigne Bara de venir s’y installer. Quand Serigne Bara est arrivé en début d’année, il a effectué des visités de courtoisie au niveau des autorités de la localité (sous-préfet, maire, chef de village, notables…). Les incidents de la semaine dernière relèvent de Satan. Nous avons des Dara presque partout, mais c’est la première fois qu’on a ce genre d’incidents. Cheikh Ndigueul est un homme de paix, un guide religieux respecté. Ses disciples ne sauraient verser dans la violence. Ce qui nous fait le plus mal dans cette affaire, c’est que des gens cherchent à faire le lien avec la religion. Ça n’a rien de religieux entre Chrétiens et Musulmans. Et pour preuve, l’eau qu’on utilise ici pour le chantier du Dara est fournie par Paul Faye, ancien Président de la communauté rurale de Diarrère et ami de Cheikh Ndigueul. Cheikh Ndigueul a d’excellentes relations avec la communauté chrétienne. Cela nous fait mal que des gens cherchent à transposer l’affaire dans le champ religieux. C’est regrettable aussi que certaines personnes estiment être visées par les prêches de Serigne Bara. Le guide ne cherche à offenser personne. Tout ce qui l’intéresse, c’est de travailler pour l’Islam et son père Cheikh Ndigueul. D’autres également pensent que Serigne Bara fait dans l’arrogance. Là aussi, il n’en est rien. Quand Cheikh Ndigueul a écouté les complaintes des populations, il les a rassurés que de telles choses ne vont plus se reproduire et aucun de ses talibés ne va plus répondre par la violence. Après, Serigne Bara est allé rencontrer le chef du village et les notables pour présenter ses excuses. Nous n’avons pas de temps pour la violence. Nous sommes préoccupés par le Ramadan et les préparatifs des Ndogou. Cheikh Ndigueul appelle au calme, à la paix et à la cohésion sociale.»