À chaque période de l’année, ses bonnes affaires. Pour celle du Ramadan, à côté des nattes et autres cure-dents, le chapelet fait recette.
À la veille du début du mois de Ramadan, le marché Dalifort refuse du monde. Entre des magasins déchargeant de la marchandise, des clients qui s’approvisionnent, l’activité est intense. À quelques mètres de la route principale, une tente quelconque. Ici, le décor est brut. Deux cordes sont accrochées aux différents coins de la tente. Sur chacune d’elles, des chapelets sont soigneusement rangés, selon la couleur, la qualité…voire le prix. À l’intérieur, Abdoul s’occupe à refaire certains chapelets. Son sourire en dit long sur son humeur joyeuse ; les affaires ne se portent pas mal. « On rend grâce à Dieu. Le business se porte bien. C’est très souvent comme ça en période de Ramadan », confie-t-il, tout en marchandant. Des chapelets en verre à ceux en ébène, en passant par les « bakhline », on en voit de toutes les couleurs. « Les prix varient entre 300 et 15.000 FCfa », explique son apprenti. D’après celui qui est dans le métier depuis plus d’une dizaine d’années, il y en a qui achètent le chapelet juste pour le Ramadan. Eux, dit-il, ils ne dépassent pas souvent 1000 FCfa. « Mais il y a des gens qui peuvent dépenser jusqu’à 15.000 FCfa pour un chapelet », explique-il.
Au Croisement Cambèrene, sous le pont, un vieil homme a fini de ranger ses chapelets. Pour lui, il est plus rentable de vendre les chapelets bas de gamme. « On a le choix entre acheter en gros les chapelets déjà faits ou se procurer les perles et en fabriquer nous-mêmes. Personnellement, c’est la deuxième option que je choisis pendant le Ramadan », révèle-t-il. D’après lui, le bénéfice peut aller jusqu’à plus de 100%. En effet, même s’il s’en sort bien avec les chapelets haut de gamme, leur rythme de vente est très lent. « C’est pourquoi je n’ai que les chapelets de 500 FCfa et ceux en ébène que je vends entre 3000 et 3500 FCfa », renseigne-t-il. Par exemple, explique le vieux vendeur, avec le sachet de mille perles vendu à moins de 2000 FCfa par les Chinois, il est possible de faire une dizaine de chapelets.
Bakhline, kouk…le haut de gamme
Même si les vendeurs de chapelets sont très nombreux surtout en cette période de regain de la spiritualité, ils ne sont pas beaucoup à vendre une certaine catégorie de ces objets enfilés. Un des doyens du business, Thierno Hamidou, qui tient une boutique au marché Tilène, ne fait que dans le haut de gamme. Il suffit de jeter un coup d’œil sur ses marchandises pour s’en rendre compte. Ici, les prix varient entre 50 000 et 200 000 FCfa. « Cela peut paraître excessif pour certains, mais ça se vend correctement. Ce n’est peut-être pas au même rythme que les chapelets basiques, mais j’arrive à écouler les produits. Le plus souvent, dit-il, ce sont des marabouts qui en achètent ou des disciples qui en commandent pour leurs marabouts », explique-t-il. Et si le business est rentable, ajoute-t-il, c’est parce que la plupart du temps, ceux qui achètent ce type de chapelet l’agrémentent avec une certaine variété de parfum. Pour Meta Ndiaye, qui ne s’éloigne jamais de son chapelet, il y a un dicton qui dit que le « disciple de Cheikh Ahmed Tidiane Chérif doit toujours avoir un chapelet qui a une valeur supérieure ou égale au prix de son billet de transport ». Selon elle, c’est une façon de dire que le chapelet a de la valeur. « Les miens, je les ai achetés à 25000 et 35000 FCfa. Et ce n’est pas la première fois », dit-elle, fière. Si l’on en croit le vendeur Thierno Hamidou, il y a même des chapelets qui coûtent bien plus cher. Mais, s’empresse-t-il de préciser, ils ne sont vendus que sur commande.
Les chapelets électroniques en vogue
Voile bien en évidence, Méta Ndiaye est silencieuse dans son coin. Il faut bien l’observer pour comprendre qu’elle est en train d’égrener son chapelet. Depuis plus d’un an, elle n’utilise pratiquement plus les chapelets classiques. « J’ai un nombre important de récitations à faire et pour ne pas me tromper, j’ai opté pour les chapelets électroniques », explique-t-elle. Ces chapelets sont de plus en plus prisés par les fidèles. Vendeurs de livres religieux au marché Dalifort, Bocar s’en donne à cœur joie. De plus en plus, dit-il, ces chapelets qui se vendent entre 2000 et 5000 FCfa sont très demandés par les fidèles. Si certains les préfèrent pour mieux compter, d’autres les choisissent par discrétion. C’est le cas de Mamoudou Diop, délégué médical : « Même en réunion, je peux facilement faire mes Zikr sans que les gens ne s’en rendent compte ».
DES GRAINS D’OR ET D’ARGENT SUR LES PERLES
Des airs de frime ?.
Si à la base le chapelet servait àcompter, avec le temps, il a pris une autre dimension. Dans certains milieux, il renseigne même sur le niveau social. Amath Ba a pris le « Wird » depuis bientôt deux ans mais, pour lui, hors de question de dépenser certaines sommes pour un outil qui ne sert « qu’à compter ». De son point de vue, c’est un manque d’humilité. « Je vois certains mettre des graines d’or ou d’argent sur le chapelet. Dans les grands événements, ils n’hésitent pas à les brandir comme pour montrer leur statut social. J’en connais qui ont payé leur chapelet à plus de 200 000 FCfa mais ils ne les sortent que pendant les ziarras et Gamous », déplore-t-il. Seydou Diop, lui, ne s’en cache pas. Les chapelets, c’est comme la garde-robe. Il y en a pour tous les événements. « Quand je dois rendre visite à mon guide ou faire le Wazifa en groupe, je sors le chapelet le plus cher. Cela peut ressembler à de la frime mais, pour moi, il n’y a rien de trop pour vivre ma foi », confie-t-il, heureux de disposer les moyens de ce luxe.