Des retranscriptions de conversations téléphoniques datant de 2017 mettent en évidence que des migrants sont morts noyés en raison d’un défaut de réponse des garde-côtes libyens, qui bénéficient pourtant d’importantes aides européennes pour cette mission.
C’est un fichier colossal de près de 30 000 pages, qui est en possession du parquet de Trapani, en Sicile. Il vient d’être analysé par le journal britannique The Guardian, le quotidien romain Domani et la chaîne italienne RaiNews. Son contenu montre la passivité des gardes-côtes libyens pour secourir les migrants échoués en Méditerranée, avec des conséquences tragiques pour les naufragés.
«Peut-être que nous pourrons y être demain ».
Parmi les échanges qui ont provoqué l’indignation, une conversation datant du vendredi 16 juin 2017 à 8 h 18 : les gardes-côtes italiens parviennent enfin à joindre leurs confrères libyens, alors qu’une dizaine de canots sont en détresse en grande partie dans les eaux libyennes. « C’est un jour de congé. C’est un jour férié ici. Mais je peux essayer d’aider », répond le responsable, « peut-être que nous pourrons y être demain ». Dans le week-end, selon les données compilées par l’Organisation mondiale des migrations (Oim), 126 personnes sont mortes moyées. Même schéma un peu avant dans l’année, entre le 22 et le 27 mars 2017. En dépit de leurs nombreux appels, le naufrage s’est soldé le 29 mars par 146 morts, selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés (Hcr), dont des enfants et des femmes enceintes. Le 24 mai, plus de 50 appels sans réponse. Un militaire finit par dire : « Je ne parle pas anglais. » Plus tard, on apprendra que 33 migrants dont sept enfants sont morts. À l’époque des faits pourtant, et ce dès février 2017, les gardes-côtes libyens bénéficiaient déjà d’importantes aides européennes (formation, mise à disposition de navires patrouilleurs) pour intercepter les candidats à la traversée. En 2018, un rapport de l’opération militaire de surveillance maritime Sophia, dévoilé par The Guardian, reconnaît que les signalements des gardes-côtes libyens « ne répondent toujours pas aux normes acceptables ». Selon le document, « le manque de retour de la salle d’opération conjointe continue à poser problème » en raison de moyens de télécommunications limités et de compétences linguistiques insuffisantes en anglais.
Enquête aux multiples ramifications.
Ces mises en cause ne constituent qu’un élément d’une enquête bien plus large des procureurs de Trapani sur douze opérations de sauvetage réalisées au cours de l’année 2017. D’autres accusations pèsent cette fois sur les ONG de sauvetage en mer, mises en cause par les procureurs de Trapani pour collusion avec les passeurs.
Dans une des vidéos provenant des perquisitions, on verrait les membres du navire Vos Hestia échanger avec trois passeurs, leur annonçant l’arrivée imminente d’un bateau avec plus de 500 migrants à son bord. Des échanges de messages entre passeurs et ONG comprendraient des coordonnées GPS des bateaux de migrants.
Les associations dénoncent de leur côté un harcèlement judiciaire visant à entraver leur mission de sauvetage en mer. Dans cette affaire aux multiples ramifications, aucun acteur n’est épargné par les accusations. Les procureurs de Trapani eux-mêmes sont mis en cause pour atteinte au droit de la presse, si bien que la ministre de la justice, Marta Cartabia, a décidé d’envoyer mardi 6 avril ses propres inspecteurs pour établir la vérité.
Les magistrats, selon le quotidien Domani, auraient en effet écouté secrètement au moins 15 journalistes en charge des migrations en Méditerranée centrale, ce que le président de l’ordre des journalistes, Carlo Verna, dénonce comme « une violation flagrante du secret professionnel ».
Avec Afp et La Croix