La commune de Gueule tapée-Fass-Colobane a restitué, hier, les premiers résultats d’un projet de capture du dividende démographique. L’autonomisation économique des femmes et des jeunes filles et la création d’emplois en sont les axes principaux. Les autorités locales invitent les municipalités à s’inspirer de ce modèle pour le développement de leurs territoires.
Dans le but de tirer profit du dividende démographique, l’UNFPA (Organisation des Nations Unies pour la population d’Afrique de l’Ouest et du Centre) a lancé, en février 2018, le Projet Fass émergent (Projet FassE) dans la commune de Gueule tapée-Fass- Colobane. Cette initiative-pilote, qui s’étale sur cinq ans, a pour but d’améliorer le capital humain, les opportunités économiques et la gouvernance locale.
Hier, les ministères concernés (Economie et Plan, Santé, Education, Famille et Genre…), les autorités administratives et plusieurs agences du système des Nations Unies ont procédé à une première évaluation du projet. En trois ans, le Projet FassE a abouti à la reconstruction et à l’équipement du poste de santé de la commune, sa digitalisation, la mise en place d’un guichet unique destiné au financement des projets des femmes et des jeunes, au renforcement de l’entrepreneuriat des jeunes à travers la formation de 54 jeunes diplômés (Master) en réparation de téléphones portables.
En outre, neuf projets ont été financés, une unité de transformation de céréales pour le renforcement de l’autonomisation économique des femmes a été mise en place, 40 élus locaux ont été formés sur le budget participatif sensible au genre, sans compter la mise en place d’un dispositif d’animateurs économiques pour accompagner les porteurs de projet et l’élaboration du plan de développement communal pour la première fois dans l’histoire de la commune. Gueule tapée-Fass-Colobane dispose également de la cartographie financière et fiscale de la commune, en vue de renforcer la mobilisation de ses ressources financières. Les ressources humaines de la commune ont été capacitées à travers une formation sur la gestion comptable et financière, la passation de marchés et la gestion axée sur les résultats.
Toutes ces activités, indique le maire de la commune, s’inscrivent dans une stratégie de la capture du dividende démographique à mettre en œuvre pour son opérationnalisation sur l’ensemble du territoire. ‘’Les bonnes intentions ne suffisent pas ; il faut agir et nous sommes tous conscients que l’accélération de la croissance économique est le résultat d’une transformation de la pyramide des âges par moins de personnes dépendantes. Cette opportunité nécessite une transformation de la structure de la population qui passe par l’autonomisation des femmes, la lutte contre le chômage des jeunes et des améliorations dans le domaine de la santé et de l’éducation’’, soutient Ousmane Ndoye.
Le choix de sa commune n’est pas le fruit d’un hasard. Cette partie de Dakar représente le Sénégal en miniature : 65 % de la population ont moins de 35 ans. A cela s’ajoutent l’insuffisance et la vétusté des infrastructures scolaires et sanitaires, un fort taux de déperdition scolaire, des emplois précaires ainsi qu’une forte émigration. La commune compte 58 802 habitants, avec une densité de 24 811 habitants/km², contre 69 habitants/km² à l’échelle nationale, 5 735 h/km² pour la région de Dakar. Ce qui traduit une forte promiscuité sociale. Son rapport démographique s’élève à 32,3 % (explosion de jeunes au niveau de la commune).
Pour le maire Ousmane Ndoye, ce boom démographique constitue une force qu’il faut utiliser à bon escient. ‘’Les jeunes ont compris qu’il ne s’agit plus de jeter des pierres, mais de travailler pour construire leur avenir’’, renchérit l’autorité.
‘’L’autonomisation des femmes accélère la transition démographique’’
Ainsi, le projet s’est déroulé selon quatre axes : la santé sexuelle et de la reproduction, maternelle et néonatale ; l’éducation et la formation professionnelle ; la création d’emplois et l’autonomisation des femmes et des jeunes filles ; la bonne gouvernance et la participation populaire à la gestion des affaires de la cité. Le modèle de Gueule tapée-Fass-Colobane (GTFC) constitue un exemple à suivre dans la mise en œuvre du programme du ministère de la Femme, de la Famille et du Genre qui, en 2018, a lancé la Stratégie nationale de l’autonomisation économique des femmes et des jeunes filles, avec pour ambition d’atteindre 60 % de taux d’emploi des femmes en 2035, contre 34 % en 2018 et 40 % de femmes chefs d’entreprise, contre 20,4 % en 2015.
‘’Aujourd’hui, il est avéré que l’autonomisation des femmes et l’égalité des sexes constituent une dimension fondamentale dans le processus de la capture du dividende démographique. Des études ont montré que l’autonomisation des femmes accélère le processus de transformation démographique, améliore la productivité globale de l’économie, favorise un meilleur accès des femmes au marché du travail et une augmentation de la moyenne des capacités entrepreneuriales ainsi qu’une amélioration du capital humain. Autant de facteurs qui impactent positivement la réalisation du dividende démographique’’, précise le conseiller technique dudit ministère, Mohamed Ndiaye.
La pertinence de Projet FassE découle du fait que ce modèle part des spécificités de la commune et grâce à cet échantillon, la territorialisation des politiques publiques devient une réalité.
‘’Pour réussir à capter le dividende démographique, le Sénégal doit réussir à créer beaucoup plus d’emplois. Beaucoup de jeunes qui étaient un poids économique seront donc capacités pour devenir des travailleurs et des producteurs, afin qu’ils deviennent un atout pour le pays. Il faut leur permettre d’avoir accès à des emplois, des formations et du crédit. Il faut soutenir les activités économiques de l’ensemble des territoires.
Ce projet montre qu’on peut développer ces activités avec les partenaires locaux et internationaux’’, pense, pour sa part, le représentant de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (Onudi), Christophe Yvetot. Il est d’avis que le développement économique industriel ne doit pas être seulement pensé au niveau national, mais qu’il faut aussi des relais au plus près des populations pour inventer des solutions innovantes et mobiliser le plus grand nombre. A ce sujet, les municipalités sont bien placées pour le faire, car elles ont l’avantage de la proximité. Mais elles sont sans moyens et outils pour remplir leur nouveau rôle en matière économique, tel que fixé par l’Acte 3 de la décentralisation.
L’Etat du Sénégal, par la voix du sous-préfet de Dakar-Plateau, Djibril Diallo, invite les collectivités territoriales à s’inspirer de la commune-pilote pour dupliquer le modèle et enclencher ainsi sa pérennisation, après le retrait des partenaires. Une dynamique qu’il se dit prêt à accompagner, rappelant que l’Etat n’est pas pourvoyeur d’emplois, mais a pour objectif de créer des conditions permettant à ces administrés de trouver un emploi décent.
Le Sénégal dispose, depuis 2015, d’un document stratégique d’orientation nationale sur la capture du dividende démographique. Le dividende démographique s’opère en fonction de la transition démographique (le fait de passer à des niveaux de fécondité et de mortalité élevés à des niveaux très bas). Entre ces deux phases, il y a des intermédiaires tels que la baisse de la mortalité associée à une hausse de la fécondité (phase actuelle pour le Sénégal).
Cela constitue un bonus démographique pas encore capitalisé. Pour le capter et en faire un dividende démographique, il faut mettre en place un certain nombre de politiques spécifiques. Dans cette phase, la population en âge de travailler est beaucoup plus importante que celle toujours à charge. C’est un gain potentiel de croissance qu’il faut accompagner par des investissements, afin de tirer profit de ce dividende démographique. Le rapport démographique (RD) du Sénégal s’élève à 84 %, inférieur à 100, ce qui traduit une forte population en âge de travailler. Or, pour bénéficier du dividende démographique, il faut avoir un RD qui tourne autour de 50 %.