L’opération de rappel des troupes est définitivement déclenchée au sein de la majorité présidentielle. Des meetings, caravanes et autres manifestations politiques sont notés, depuis quelques semaines, presque partout au Sénégal. Un politologue et un expert en communication politique décortiquent cette stratégie des alliés du chef de l’Etat, Macky Sall.
A Dakar, Saint-Louis, Matam, Kanel, ou encore à Ziguinchor, entre autres localités, les responsables, militants et sympathisants de l’Apr et de la coalition Benn Bokk Yaakaar (Bby) en général, ont battu le macadam en vue de galvaniser les troupes.
Pour analyser ces manifestations de remobilisation, Dr. Jean Sibadioumeg Diatta, enseignant-chercheur en Communication à l’Université Assane Seck de Ziguinchor (Uasz), invoque une citation de l’ancien président français, François Mitterrand : «Dans la vie politique, il faut être offensif. Si on se défend, on a déjà perdu». Pour le spécialiste de la Science du Langage, face aux agissements de l’opposition «ressuscitée» par les récents événements politico-judiciaires nés de l’affaire Ousmane Sonko-Adji Sarr, la majorité, après une longue période de silence, tente de reprendre « son pouvoir ».
Perceptions publiques des évènements politiques
«Les leaders de Bby et de l’Apr veulent occuper l’espace politique en évitant de laisser le terrain libre à leurs adversaires, à leurs détracteurs», lance d’emblée M. Diatta. Qui poursuit dans la foulée : «en décidant de s’investir davantage, de mouiller le maillot, les tenants du pouvoir cherchent aussi à donner l’image d’une coalition toujours forte et solide malgré les récurrentes crises qui l’affectent et qui ont fini par créer un sentiment de frustration». Mieux, pense l’universitaire, «nous sommes en face d’une rude compétition pour influencer et contrôler les perceptions publiques des évènements politiques majeurs et leurs enjeux».
Embouchant la même trompette, le Professeur Ibou Sané, enseignant en sociologie politique à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, dit avoir constaté une sorte de « réveil » chez les alliés du chef de l’Etat. Tout comme son collègue M. Diatta, M. Sané est d’avis qu’après l’affaire Ousmane Sonko, « il aurait fallu que l’Apr se dresse comme un seul homme pour faire face aux militants du Pastef, à la Société civile et à l’opposition pour montrer effectivement que c’était une affaire privée et qu’il ne fallait pas convoquer la politique dans ce domaine. Mais, on constate que les militants commencent à donner de la voix pour se faire entendre ».
Elections locales
Allant plus loin dans son analyse, le spécialiste de la sociologie politique souligne que ces activités politiques ne peuvent pas être dissociées aux préparatifs des futures échéances électorales. « Quand on analyse bien, les responsables de la majorité présidentielle sont en train de préparer les prochaines élections territoriales et surtout législatives », a ajouté le politologue. « Cette remobilisation dans un contexte de propagation du coronavirus a fondamentalement pour objectif, non seulement de préparer les prochaines échéances électorales (locales, parlementaires et présidentielles), mais encore de contrer l’ascension fulgurante du leader de Pastef qui, quoi qu’on puisse dire, a su tirer son épingle du jeu de la récente crise politique », embraye, de son côté, Dr. Jean Sibadioumeg Diatta. A en croire l’enseignant en Communication, ces meetings sont l’occasion pour les responsables de se repositionner au plan national. «D’autre part, il faut reconnaître que l’élan de sympathie dont a bénéficié Sonko après la crise a été un autre élément déclencheur du réveil des acteurs de la majorité. D’ailleurs, l’un des dénominateurs communs de tous ces meetings reste le fait que les leaders tentent de dénigrer et de discréditer le président de Pastef auprès des populations», dit-il.
Contrecoups ?
Quoi qu’il en soit, conclut Pr. Ibou Sané, « ils ont tout intérêt à préparer ces élections très tôt : prendre les devants pour mobiliser les troupes, essayer de se donner de la voix pour embrigader tout le monde dans le mouvement. Nous sommes à 6 mois de ces élections là et il va de soi que de plus en plus le parti au pouvoir ne va pas laisser le terrain aux partis de l’opposition, voilà pourquoi, c’est le rappel de troupes un peu partout à travers le Sénégal ».
Cependant, bien que la nouvelle démarche de la majorité soit opportune, il faut craindre qu’elle produise des effets contraires. C’est du moins l’alerte faite par Dr. Diatta. Ces contrecoups, dit-il, peuvent « résulter principalement des nombreuses scènes de violences notées dans plusieurs villes entre tendances politiques rivales».