Parce que l’enquête portait sur une question de souveraineté aérienne et de survol de bases militaires dans le sud du pays, quelle a été classée «Top secret». Mais après des jours d’audition des pilotes et d’exploitation du matériel embarqué, L’aéronef «Cn-Fly», immatriculé au Maroc, cloué depuis le 1er avril 2021 sur le tarmac de l’aéroport de Ziguinchor, a finalement été autorisé à reprendre les airs hier vendredi.
C’est effectif depuis le lundi 5 avril dernier. Les rapports administratifs paraphés par des techniciens aéronautiques, ainsi que l’enquête judiciaire menée par la gendarmerie nationale, pour élucider la brouille née du survol d’une zone militarisée (région de Ziguinchor), par l’avion marocain «Cn-Fly», ont atterri sur la table des autorités étatiques compétentes sénégalaises. Une étape qui sanctionne ainsi la fin d’investigations techniques et judiciaires, menées tambours battants dans la capitale du Sud par la brigade de recherches de la gendarmerie locale et une équipe d’experts de l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim), venue express de Dakar. L’Observateur qui a fouiné dans les dédales de cette nébuleuse, est à même de révéler le vrai du faux de ce feuilleton dont le synopsis final s’est joué entre Dakar et Casablanca (Maroc)
«Etafat» Sarl, la société marocaine qui emploie l’équipage de l’avion
L’aéronef «Cn-Fly», immatriculé au Maroc, cloué depuis le 1er avril 2021 sur le tarmac de l’aéroport de Ziguinchor, a finalement été autorisé à reprendre les airs, hier vendredi. Un épilogue qui met ainsi fin à un feuilleton encombrant, né du survol par le bimoteur marocain (en mission de relevés topographiques en Guinée Bissau), d’une zone renfermant des bases et cantonnements de l’armée sénégalaise, le long de la frontière avec la Guinée-Bissau. Il sera ensuite reproché à l’équipage d’avoir effectué des prises de vues sur cet espace sensible.
Des directives sont aussitôt données par Dakar, pour faire la lumière sur cette «violation» de cette zone minée par un conflit armé latent, vieux d’une trentaine d’année. Les réponses apportées aux moult questions posées par les gendarmes enquêteurs et une équipe de l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim) dépêché illico-presto dans la capitale du Sud, révèlent que cette mission du «Cn-Fly» remonte au 16 mars 2021. A cette date, les membres de l’équipage de l’aéronef marocain de type, «Pc-6/132-H4», de marque «D-Fibe Cessna T303 Crusader, immatriculé «Cn-Fly», au Maroc, à savoir : Driss El Yazami, Tariq Aoussar et Zakaria Ben Addoui Drissi, reçoivent du Consulat du Sénégal à Casablanca, le sésame qui autorise leur vol direct à destination du Sénégal. Travaillant pour le compte de la société marocaine «Etafat» Sarl, spécialisée dans les domaines du Foncier, du Conseil de l’Ingénierie, de la Data Geo-Spatiale et des Systèmes d’Informations Géographiques, l’équipage est aussi informé qu’il dispose d’un certificat de navigabilité couvrant la période du 16 mars 2021 au 16 septembre 2021.
Le contenu de la mission, le plan de vol de Dakhla (Maroc) à Ziguinchor, via l’Aibd
Durant cette période leur avion est autorisé à survoler les espaces aériens du Sénégal et de la Guinée-Bissau. Le 27 mars 2021, à 11 heures, le bimoteur décolle de l’aéroport de Dakhla (Maroc) et fait cap sur l’aéroport International Blaise Diagne (Aibd) de Diass. A son bord, se trouve les 3 membres de l’équipage : Le commandant de bord, Driss El Yazami, son co-pilote, Tariq Aoussar et leur photographe aérien, Zakaria Ben Addoui Drissi. Le même jour, vers 16 heures, l’aéronef se pose sur le tarmac de l’Aibd et en décolle le lendemain 28 mars 2021, à 13 heures. Le commandant Yazami et son équipe mettent les gaz et font cap cette fois sur Ziguinchor.
La mission de l’équipage est très explicite : «Effectuer des prises de vue sur une zone au-dessus de la rivière Rio Curubal, sise dans la région de Bafata (Guinée Bissau), frontalière avec le Sénégal. Une zone qui abrite le barrage hydroélectrique de «Saltinho». Pour cette mission de prises de vues aériennes aux fins de relevés topographiques, l’équipage marocain avait également l’aval de Bissau, qui a délivré une autorisation portant mention, «N/Ref. fiPAACGB/DTA/DRCE0/2021», couvrant la période allant du 25 février au 31 mars 2021 et signé, Fernando Alfonso, patron de l’avion civile guinéenne. La mission définie consistait explicitement à effectuer quotidiennement des vols d’environ 5 heures de temps sur l’espace Bissau-guinéen, pour ensuite revenir se poser à l’aéroport de Ziguinchor. Au total, l’équipage va effectuer 3 rotations journalières en territoire Bissau Guinéen, dans la période du lundi 29 au mercredi 31 mars 2021.
Pour mener à bien la mission et éviter une rupture de carburant, le commandant de bord et son équipe avaient acquis à l’aéroport de Dias, 1 400 litres de carburant de type «Avgas», acquis le 28 mars dernier, à la somme de 2 562 800 FCfa. Le liquide contenu dans 7 fûts, sera acheminé à Ziguinchor. Une précaution qui s’explique par le fait que, soufflent nos sources, «l’aéroport de Bissau et celui de Ziguinchor ne disposent pas de stock de carburant. Le seul aéroport de la zone qui dispose de stock de carburant et du précieux liquide, Avgas, est celui du Cap Skiring qui a été zappé par l’équipage.» A quel fin ? nous donnons notre langue aux chats. Toujours est-il que ce choix discrétionnaire de l’équipage (de faire venir 1 400 litres d’Avgas de l’aéroport de Dias au détriment du Cap Skiring) est trouvé curieux par nos interlocuteurs.
L’incident du 31 mars, l’alerte de l’armée et les diligences de l’Anacim
31 mars 2021, l’opération qui jusqu’ici, se déroulait sans anicroche, va être grippée par un incident inattendu. Sur le chemin du retour vers le Sénégal, le commandant de bord, Driss El Yazami et son équipe «quittent leur plan de vol et se retrouvent à survoler «le niveau 65», (soit à 2 500 mètres d’attitude Ndlr:), une partie sensible du territoire sénégalais, frontalière avec la Guinée-Bissau. Il s’agit d’un espace renfermant des bases et autres cantonnements de l’armée sénégalaise, dont certains ont été récemment repris aux rebelles du Mfdc. Un survol curieux et suspect qui sera aussitôt détecté par la grande muette. L’information est de suite remontée et des mesures drastiques sont diligentées. L’Anacim contraint l’équipage de l’aéronef à se poser dans les plus brefs délais sur le tarmac de l’aéroport de Ziguinchor et dépêche dès le lendemain 1er avril, une équipe d’expert dans la capitale du Sud pour, «auditionner l’équipage de l’avion, des responsables de la tour et de l’aéroport de Ziguinchor et mener une enquête technique et scientifique.» Dans le même ordre, le commandement de la gendarmerie nationale met en branle sa brigade de recherches locale pour l’ouverture immédiate d’une enquête. La Direction de la police de L’Air et des frontières (Dpaf), se joint naturellement à l’affaire.
Le point sur les enquêtes techniques et judiciaires
L’enquête menée par les gendarmes de la brigade de recherches et les techniciens de l’Anacim sera, selon des sources concordantes, axée principalement sur 4 actes majeurs. Il s’agit de l’audition des membres de l’équipage, entendu dès le 1er avril dernier, au Salon d’honneur de l’aéroport de Ziguinchor, notamment sur les raisons du survol présumé de bases et cantonnements militaires, ainsi que des images qui auraient été prises à cet endroit du territoire sénégalais, leurs plans de vols… Pour toutes réponses, le commandant de bord, Driss El Yazami et Cie ont expliqué qu’ils étaient en mission de prises de vue (relevés topographiques dans la région de Bafata, (Guinée Bissau), dans une zone devant abriter le barrage hydroélectrique de «Saltinho». Ils ajouteront n’avoir pris d’images au-dessus de cette zone militarisée indiquée. Dans la foulé, le commandant de bord Yazami et son co-pilote affirmeront n’avoir pas connaissance du survole de bases militaires.
En sus de ces auditions, les gendarmes enquêteurs ont procédé à la réquisition de l’appareil photo «ultrasophistiqué» censé avoir pris les images incriminées et l’ordinateur qui aurait servi à stocker la banque d’images. Les images retrouvées seront analysés à la loupe par les gendarmes, durant deux jours. Au cours de cet exercice, éprouvante, les pandores vont examiner au total un stock de 750 photos, stockées sur 434 Go de l’ordinateur des membres de l’équipage.
Ces éclairages apportés aux dénégations de l’équipage
Selon nos sources, il s’avère que «toutes les images retrouvées dans ledit ordinateur et passées à la loupe, ont été prises sur le territoire Bissau-guinéen.» Une conclusion toutefois relativisée par des sources avisées, selon qui, «le fait de n’avoir pas retrouvé des images prises sur le territoire sénégalais, précisément au-dessus desdites bases, ne signifie pas qu’il n’y en a pas eu. Le temps que l’avion rallie Ziguinchor, l’équipage a eu suffisamment de temps matériel, pour procéder à un transfert d’images vers une autre banque de données, ou tout au plus, supprimer toutes images compromettantes. Évidemment si tel est le cas, les enquêteurs pourront fouiller de fond en comble les appareils suspects qui sont de dernier cri et ne rien trouver.»
Relativement toujours à la question du survol de l’espace militarisé, les pilotes vont réitéré qu’ils ne savaient vraiment pas qu’ils survolaient une zone renfermant des bases. Pour en attester, le commandant de bord, Yazami et Cie assurent qu’ils n’ont pas vu dans les publications d’informations aéronautiques (Aip) de l’Asecna, la moindre mention faisant état de la présence d’une quelconque base militaire sénégalaise sur cette zone survolée. Ce que confirme d’ailleurs un expert aéronautique, précisant qu’il n’y a aucune base militaire sénégalais publié dans ce document de l’Aip.» Cependant selon notre interlocuteur, «l’absence de ces informations de taille, à l’attention des exploitants d’aéronefs, peut se comprendre à la lecture de sensibilité de cette zone.» Poursuivant, nos sources se sont voulus formels. «Il est constant et cela ne souffre d’aucune contestation que l’avion en question a survolé la zone militarisée et à une altitude relativement basse. Cela, même si malheureusement, les enquêtes menées pourraient ne pas être en mesure d’en établir les preuves techniques et scientifiques. La raison la plus évidente porte sur le fait que la société des Aéroport Du Sénégal (Ads) n’a pas doté les aéroports de Ziguinchor et du Cap Skiring de radars qui auraient permis aux experts enquêteurs de l’Anacim de géo-localiser avec exactitude l’aéronef sur l’espace incriminé.» Loquaces, nos interlocuteurs enfoncent le clous en indiquant «qu’il reste constant que l’avion en question a été clairement aperçu volant au-dessus de positions tenues par l’Armée sénégalaise, qui a remonté l’information. D’où les enquêtes techniques et judiciaire diligentées par la gendarmerie, l’Anacim et la police des frontières (Dpaf).» Mais, assurent nos sources, «faute de radars et autres installations similaires, il restera dans cette affaire : Les révélations de l’armée, contre les dénégations de l’équipage de l’avion marocain.»