Après trois ans de détention provisoire, Aida Sagna a finalement fait face aux juges de la Chambre criminelle spéciale du tribunal de grande instance de Dakar. Mère de deux enfants, elle s’était rendue en Libye, avant la chute de Kadhafi. Elle est accusée de terrorisme ; ce qu’elle réfute. Le parquet a requis 15 ans de réclusion criminelle contre elle.
Aïda Sagna a comparu, hier, à la barre de la chambre criminelle de Dakar qui a statué en session spéciale. Ancienne surveillante générale à l’établissement privé Sokhna Khadija, elle a été jugée pour actes de terrorisme, association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et financement du terrorisme. En sus de ces chefs, elle a également répondu des faits d’apologie du terrorisme et de recrutement de personnes en vue de participer à un acte terroriste.
Elle a déjà bouclé trois ans de détention provisoire et risque 15 ans de réclusion criminelle, si la chambre suit le réquisitoire de la représentante du ministère public. Celle-ci, au cours de son réquisitoire, a fait la genèse des faits qui ont valu à Aida Sagna sa comparution. La parquetière a expliqué qu’à la chute de Mouammar Kadhafi, la Libye est devenue un bastion du terrorisme, avec l’installation de bases de l’Etat islamique Daesh. Après avoir fait la chahada au Nigeria, beaucoup de musulmans, qui s’autoproclament radicaux, ont rejoint la Libye. Parmi ceux-ci des Sénégalais. Aida Sagna faisait partie des compatriotes qui avaient rallié le sol libyen. Malheureusement, elle n’y a pas fait de vieux os. Elle a été arrêtée, puis extradée au Sénégal.
Cueillie par les services de renseignement du pays, Aida Sagna, après avoir contesté tout lien avec des djihadistes, a confié s’être rendue dans ce pays pour des raisons médicales. Acculée par les enquêteurs, elle a fini par craquer et avouer avoir rallié la Libye pour faire le djihad, sur demande de son époux Lamine Ndiaye. Lors de cette déposition, elle mouillait Ibrahima Ba qui, disait-elle, avait payé son voyage. D’ailleurs, ce dernier faisait partie des accusés condamnés, lors du procès de l’imam Alioune Badara Ndao et de ses coaccusés. Aida avait, également, nommément cité le fils de son époux et une certaine Awa Sarr et son mari, comme faisant partie du voyage. Ne s’arrêtant pas là, la dame avait mouillé beaucoup d’autres Sénégalais qui auraient séjourné en Libye, pour faire la chahada comme elle.
La comparante, qui arbore la burqa, avait aussi insisté sur le fait que sa façon de s’habiller est une recommandation divine. Accoutrement qu’elle a adopté à la suite de son mariage avec Lamine Ndiaye qui est d’ailleurs pointé du doigt par les proches de l’accusée comme celui qui a causé la radicalisation de leur fille. ‘’Toute femme qui souhaiterait aller au paradis doit obligatoirement mettre le voile’’, avait-elle dit aux enquêteurs.
Il est ressorti des éléments de l’enquête que l’accusée était présente, au moment du bombardement de Sabratha, en Libye. Raison pour laquelle, d’ailleurs, elle est tombée dans les filets des services de renseignement sénégalais, après avoir été renvoyée du sol libyen.
Ce qu’elle a réitéré hier à la barre. Elle a de nouveau soutenu qu’elle se trouvait dans la ville libyenne où plusieurs individus avaient perdu la vie. Par contre, Aida Sagna, mère de deux enfants dont un garçon de 23 ans et une fille de 22 ans, a réaffirmé qu’elle s’est rendue en Libye pour des raisons médicales. A l’en croire, elle devait subir une opération de fibrome. ‘’C’est Mariama Baldé qui m’a mise en rapport avec le Libyen Youssoupha, qui a pris en charge mes frais médicaux. J’ai voyagé seule à bord d’un véhicule. A cette époque, j’avais laissé mon mari ici au Sénégal’’, a-t-elle soutenu, sans être en mesure de fournir des preuves de ses allégations, suite à une interpellation du juge.
Timidement, elle a déclaré que les documents qui prouvent son opération sont entre les mains des enquêteurs. Ce faisant, elle a lavé à grande eau son mari qui, dit-elle, n’a rien à voir avec son voyage en Libye. ‘’Il ne m’a pas demandé d’aller faire le djihad. J’ai une fois assisté aux combats et c’est celui des bombardements de Sabratha. Je n’ai jamais vu de kalachnikov, ni de ceinture d’explosive. Je ne connais rien de tout cela. Je n’ai fait que deux ou trois mois en Libye, si je me souviens bien’’, a-t-elle pesté.
Interrogée sur les concepts de djihad et de chahada, elle a juré ignorer leur signification.
Le fils : ‘’Si j’avais Lamine Ndiaye en face de moi, j’allais lui régler son compte’’
Son fils est venu témoigner. Il avait failli passer de vie à trépas, lorsque Yakhya Seck lui avait fait part des rumeurs selon lesquelles sa mère s’était fait exploser en Libye. Le fils a tiré à boulets rouges sur son beau-père. Entendu à titre de témoin, le garçon a déclaré : ‘’Après qu’elle m’a annoncé qu’elle allait voyager pour se faire soigner, je l’ai crue. S’agissant de mon beau-père Lamine Ndiaye, je l’ai une fois rencontré chez ma mère. Et j’avais un mauvais pressentiment, en ce qui le concerne.’’ Puis, invité par le juge à dire ce qu’il pense de son beau-père, il a martelé : ‘’Il est le responsable de tous les problèmes que rencontre ma mère. Et si je l’avais en face de moi, j’allais lui régler son compte.’’
A la suite de la représentante du ministère public, qui a requis 15 ans de réclusion criminelle, les avocats de la défense, Me Théophile Cayossi et Me Assane Dioma Ndiaye, ont, tour à tour, sollicité l’acquittement de leur cliente. ‘’Lorsque je l’ai rencontrée pour la première fois, je ne pensais pas qu’il y aurait toutes ces charges retenues contre elle. Elle a été rapatriée de la Libye sans escorte. Vous n’avez aucun acte matériel dans ce dossier qui puisse vous pousser à demander 15 ans. Elle est victime de la société et d’un homme’’, a plaidé Me Ndiaye. La robe noire de souligner que c’est à cause de la solidarité islamique que sa cliente s’est rendue en Libye.
‘’Elle avait entendu que tout était gratuit là-bas, parce que Kadhafi avait soutenu que tout aller être payé par les ressources du pétrole. Ma preuve, elle a été soignée là-bas’’, a indiqué Me Ndiaye.
L’affaire mise en délibéré, la chambre criminelle rendra sa décision le 29 avril prochain.