Malgré la forte pénétration de l’Internet ces dernières années et la réduction du coût des smartphones sur le marché, certains Sénégalais refusent toujours de laisser entrer dans leur vie ce dispositif quasi incontournable de la civilisation numérique. Partagés entre un conservatisme béant et une quête permanente de liberté, de sécurité et de tranquillité, ils résistent tant bien que mal à la tentation de Google et des réseaux sociaux.
Par Ibrahima BA
L’utilisation déchaînée des réseaux sociaux ne relève plus d’un simple «bandwagon effect» ou effet de mode. C’est une habitude quotidienne dont il est désormais impossible de s’en priver. Dans cet univers à la fois clos et ouvert, le smartphone est devenu un fidèle compagnon, un connecteur virtuel permettant à chaque utilisateur de partager sa joie et ses peines.
Quand il y a un mois, Anta a brisé l’écran de son portable, elle est brusquement coupée d’un monde dont elle avait fini de prendre goût grâce notamment à sa communauté d’«amis». Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui sont à l’image de cette jeune dame. Leur dépendance des réseaux sociaux est telle qu’il est impossible de se passer du terminal mobile ne serait-ce qu’une petite journée. «Je ne peux pas sortir et aller à l’école sans mon portable. 24 heures sans celui-ci, c’est inadmissible et inconcevable. Je serai déconnectée, perdue. Sans cet appareil, je sens un manque, un vide inexplicable. On a volé deux fois mes deux portables. Mais, je jure que j’avais l’impression de ne pas porter d’habits. L’ordinateur et le téléphone sont devenus notre opium quand-même», explique Moussa Diallo, jeune enseignant au collège. Diplômée en journalisme et communication, Oumou Sow estime ressentir une certaine anxiété, un désespoir à l’idée de rester seule, pendant des heures, sans son smartphone.
Rester sur son quant-à-soi malgré tout
À l’inverse, l’on retrouve des Sénégalais qui résistent encore tant bien que mal à l’invasion de ces nouveaux outils que la modernité essaie d’imposer à tout prix aux citoyens du monde. Pourtant, ce n’est plus un secret, les smartphones ont considérablement allégé notre quotidien. Tout ou presque se fait, aujourd’hui, à l’aide de ce téléphone : commander un plat chaud, acheter des baskets en ligne, payer une facture d’eau ou d’électricité, suivre en première un film qui vient de sortir quelque part dans le monde, consulter un médecin… Cette technologie a complètement changé les gestes et comportements de la vie de tous les jours. Malgré tout, certains n’en n’ont cure. Mbaye Gaye, 57 ans, a fait le choix de ne pas s’inscrire sur les réseaux sociaux et de traîner avec un téléphone bas de gamme. Ce qui ne manque pas de susciter l’hilarité moqueuse de son entourage et d’une partie de ses collègues. Ces derniers s’interrogent sur le mystère de ce soldat à la retraite qui ne sait toujours pas comment éteindre l’écran d’un smartphone allumé, envoyer un audio ou des photos. «Quand il veut s’informer d’une situation soulevée dans une discussion sur WhatsApp, il demande qu’on lui montre le message en question. Si l’écran s’éteint pendant qu’il lit, il est obligé de faire appel au propriétaire du portable pour le tirer d’affaire», nous souffle un de ses camarades, sourire aux lèvres.
Seulement, Mbaye, lui, reste sur son quant-à-soi. Il a choisi de se passer de cette commodité des temps modernes. «Ce sont des choses qui ne m’intéressent pas. L’idée d’être sur les réseaux sociaux ne m’a jamais traversé l’esprit. Et j’avoue que je ne me plains pas», argue-t-il. Selon lui, depuis l’avènement de ces messageries instantanées ultra-modernes, les gens n’ont plus «le temps de travailler normalement». Dans les bureaux, les transports ou à la maison, poursuit-il, tout le monde semble être occupé par son téléphone. «Personne n’a plus le temps ainsi que toute l’attention qui caractérisait chacun d’entre nous avant l’arrivée de ces outils de communication. Les gens abusent vraiment de leur temps dans WhatsApp, Facebook ou autre», dénonce M. Gaye. L’option de ce dernier de se passer de ces technologies se justifie par son besoin de liberté, son attachement sans faille à sa tranquillité et sa vie privée. Notre interlocuteur se dit «très» suspicieux à l’idée qu’un jour, les discussions privées sur ces plateformes numériques se retrouvent dans l’espace public. Même s’il reconnaît les avantages de WhatsApp et de Facebook, Mbaye Gaye est «très» sceptique en ce qui concerne la fiabilité de ces systèmes par rapport à la vie privée et la sécurité des utilisateurs.
La peur de l’addiction
À l’image de Fadel Diop, la trentaine bien sonnée, certains ont l’appréhension de se retrouver trop dépendants des réseaux sociaux. Et c’est ce qui explique leur décision de ne pas s’intéresser à ces outils de communication. L’addiction aux réseaux sociaux est une réalité sociale de notre époque, avec plus de deux milliards d’utilisateurs actifs à travers le monde. Depuis bientôt trois ans, ce pharmacien de profession a tourné le dos aux médias sociaux. Il a tout simplement décidé de vivre loin d’un milieu connu parfois pour les multiples dérives et déboires. «J’ai arrêté depuis plus de deux ans de peur d’être accro à une chose qui ne me sert pas beaucoup. Je ne veux pas que les réseaux sociaux me dicte ma vie, la conduite à adopter ou changent quoique que ce soit dans ma manière de voir les choses», soutient-il. M. Diop reconnaît avoir mis plus d’ordre dans sa vie depuis qu’il s’est déconnecté du virtuel pour vivre dans le réel, profitant de ce qu’il y a autour de lui. Même s’il n’exclut pas de revenir un jour sur Facebook et WhatsApp pour des raisons professionnelles, Fadel pense qu’à un certain niveau de responsabilité, il vaut mieux éviter d’être trop présent sur la toile par mesure de précaution. De son point de vue, il y va de la sécurité et de l’harmonie de la famille. Car, poursuit- il, «tout ce que l’on laisse sur Internet y est pour l’éternité et ceci doit pousser les gens à la prudence et à la sagesse». Aziz Ndiaye, lui, justifie ce manque d’intérêt par le poids de son âge. «Je préfère les téléphones simples, car je suis un peu feignant. Les autres appareils sont compliqués pour moi. Tout ce qui m’intéresse, c’est d’appuyer sur un bouton et de passer un appel», nous apprend ce monsieur à la retraite.
L’option des téléphones basiques
Pour ne céder à la tentation du Net et à la commodité des applications, les récalcitrants optent tous pour des téléphones basiques qui se résument très souvent aux options Appel et Sms. Mbaye Gaye a eu son premier mobile en 2002 alors qu’il était en mission en République démocratique du Congo. D’un coût de 25 dollars, à l’époque, il l’avait payé en deux mensualités. Depuis, le téléphone le plus cher qu’il a eu à acheter lui est revenu à 15 000 FCfa. D’ailleurs, c’est un mobile qui fait maintenant tout son bonheur. De son côté, Fadel Diop brandit fièrement son portable au prix d’achat de 10.000 FCfa. Solide, l’appareil à bas coût a résisté au temps. Ces portables, aujourd’hui, disponibles à toutes les bourses, sont le symbole d’une résistance face à la l’addiction et l’hyper-connexion que provoquent les réseaux sociaux.
SAMBA BA, COMMERÇANT
«Je suis trop vieux pour suivre le rythme…»
La sobriété du septuagénaire Samba Bâ, prospère commerçant, est connue de tous. La vieille sonnerie de son portable, qui se propage à tous les échos, suscite les moqueries de ses petits-fils. Son appareil cellulaire n’en est pas moins passé de mode. Les smartphones, ce n’est pas son affaire. Et Facebook, Twitter, Whatsapp…sont, chez ce vieil homme, pourtant instruit, des excentricités d’un monde qui va trop vite à son goût.
«Je suis trop vieux pour suivre le rythme. Mes petits-fils se sont vainement employés à m’apprendre comment envoyer un message mais ont fini par se résigner. Mon téléphone sert juste à émettre et recevoir des appels. Ce qui me prend déjà beaucoup de temps», plaisante cet originaire du Fouta Toro. Il dit n’avoir jamais dépensé plus de 10.000 FCfa pour l’achat d’un téléphone portable, sans pour autant formuler des griefs contre ceux qui flambent quelques francs pour suivre le train de la modernité. «J’ai un fils qui vit en Angleterre. Il me coûtait beaucoup d’argent de prendre ses nouvelles. Mais, grâce au portable d’une de mes filles et aux avancées technologiques (Ndlr : il fait allusion à WhatsApp qu’il n’arrive pas à prononcer), je ne dépense plus rien», savoure-t-il, toutefois convaincu de finir ses vieux jours avec son téléphone Nokia, s’il ne le lâche pas en cours de route. «Il me comble de bonheur», ironise Samba Bâ.
Madame et les enfants pourtant bien servis
Dans cet univers d’indociles, un paradoxe frappant attire pourtant l’attention. Si papa a choisi de vivre en marge de ce train de modernité qu’imposent les réseaux sociaux, madame et les enfants traînent avec des smartphones dernier cri. «Ma femme est fréquemment connectée, les enfants aussi», reconnaît Fadel Diop dont les propos sont parfois interrompus par le ballet de clients de la pharmacie.
Mbaye Gaye, lui, a acheté pour les membres de sa famille, tous les portables de grande marque High-Tech. Le dernier mobile qu’il a payé à sa fille est un iPhone. Sa voix laisse entrevoir un tantinet de fierté d’avoir satisfait le désir ardent de sa chère demoiselle. Madame Gaye a également reçu récemment un nouveau smartphone pour se coller au rythme déchaîné des technologies de l’information et de la communication.