Voir sur une épitaphe ce nom si cher aux artistes ivoiriens, qui le clament souvent dès les premières mesures de leurs œuvres, sera un véritable crève-cœur pour les Ivoiriens. Hamed Bakayoko, ce bon vivant, n’est plus et la Côte d’Ivoire pleure son patriote.
Le Premier Ministre de Côte d’Ivoire, Hamed Bakayoko, est décédé mercredi 10 mars à l’âge de 56 ans dans un hôpital allemand « des suites d’un cancer ». « Je rends hommage au Premier Ministre Hamed Bakayoko, mon fils et proche collaborateur, trop tôt arraché à notre affection », a déclaré ému le président ivoirien Alassane Ouattara qui a annoncé officiellement le décès à la télévision publique. Cette déclaration est survenue deux jours après que des médias ont démenti sa mort.
Il y a les héritiers, et puis il y a HamBak.
Considéré par beaucoup comme un véritable patriote, populaire et rassembleur, Hamed Bakayoko avait réussi, après l’élection présidentielle sous haute tension du 31 octobre, à ramener l’opposition à la table des négociations et permis la tenue d’élections législatives apaisées. A bien des égards, la politique ivoirienne a connu très peu d’hommes de la trempe du défunt premier ministre.
Un oiseau rare de la politique ivoirienne
A Abidjan, mettre les politiques dans des cases, les étiqueter, n’est pas forcément un exercice périlleux. Il y a les technocrates, les populistes et autres leaders issus du militantisme syndical. Il y a les héritiers, et puis il y a HamBak.
Le profil de l’ancien premier ministre ivoirien, parait unique tellement il semble improbable de le faire entrer dans une de ces catégories. Ni technocrate, ni populiste, l’intéressé n’avait pas non plus gravi les échelons de la politique ivoirienne grâce à sa fortune. « On retient d’Hamed Bakayoko, cette image de l’homme qui s’est fait lui-même, fils d’une famille modeste, qui n’a pas forcément fait de brillantes études et qui est parvenu à ce poste de Premier ministre, après être passé par différents postes ministériels, dont celui de l’Intérieur et de la Défense » , confie au micro de RFI Sylvain N’Guessan, directeur de l’Institut de stratégie d’Abidjan.
« J’ai tout appris à l’école de la vie »
Effectivement, né le 8 mars 1965 dans la circonscription de Séguéla, Hamed Bakayoko affiche l’un des parcours les plus atypiques de la classe politique ivoirienne. Il grandit dans une famille musulmane au sein de laquelle son père, un fonctionnaire veuf, l’élève avec son frère et ses deux sœurs. Il obtient son BEPC au collège moderne d’Adjamé, puis son baccalauréat scientifique au collège Notre-Dame-d’Afrique de Biétry.
Il grandit dans une famille musulmane au sein de laquelle son père, un fonctionnaire veuf, l’élève avec son frère et ses deux sœurs.
Après des études primaires et secondaires, il commence des études de médecine à Ouagadougou en 1984. Il avait pourtant été orienté en faculté de droit. Mais, il décide de céder au désir de son père de le voir médecin. Finalement, peu intéressé par cette carrière, il débute son cursus par un échec. Il finit par abandonner en 3e année et rentre à Abidjan pour se lancer dans le journalisme sans diplômes. « J’ai tout appris à l’école de la vie », aimait-t-il rappeler. Mais, son choix du journalisme n’est pas dû à un coup de dé. Depuis son plus jeune âge, Hamed Bakayoko a une fascination pour ce métier. Il avait même dirigé en cours primaire le journal de son école. Pendant ses études au Burkina Faso, il devient responsable de l’Amicale des élèves et étudiants ivoiriens au Burkina Faso en 1986. La révolution de Thomas Sankara allume en lui la flamme de la politique. « Le Burkina m’a permis de comprendre l’importance du pragmatisme en politique. Là-bas, j’ai vu de grands idéologues. Cependant, j’ai constaté qu’en termes d’efficacité, ce n’était pas toujours ça », confie-t-il à Jeune Afrique. Lorsqu’il rentre à Abidjan, il milite au sein du Mouvement des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire (MEECI), un syndicat proche du PDCI-RDA (Rassemblement démocratique africain). En 1990, il fonde le mouvement de la Jeunesse estudiantine et scolaire du PDCI (JESPDCI).
« Le Burkina m’a permis de comprendre l’importance du pragmatisme en politique. Là-bas, j’ai vu de grands idéologues. Cependant, j’ai constaté qu’en termes d’efficacité, ce n’était pas toujours ça »
A 25 ans, il avait créé le journal « le Patriote », qui a initialement pour but de défendre le président Félix Houphouët-Boigny.
Considéré comme un parrain par le défunt DJ Arafat.
Il faut savoir que, durant les années 1980, il s’était rapproché de l’ambassadeur Jean Vincent Zinsou qui devient son mentor. Ce dernier l’introduira dans les premiers cercles du pouvoir au sein desquels Hamed Bakayoko rencontrera Alassane Ouattara au début des années 1990. L’amitié très solide qui se crée entre les deux hommes rappellerait presque ce lien classique ente journaliste et politique. Seulement, Hamed Bakayoko n’est pas exactement le bel-ami opportuniste d’Alassane Ouattara. Le natif de Séguéla est bientôt de toutes les guerres. Son journal deviendra l’organe de presse du Rassemblement des Républicains (RDR), le parti d’Alassane Ouattara.
Considéré comme un parrain par le défunt DJ Arafat ou encore Asalfo, leader du groupe Magic System, il est d’ailleurs resté très proche du monde du showbiz.
Dans le même temps, Hamed Bakayoko se fait une réputation dans les quartiers chics d’Abidjan, s’affichant avec des stars de la musique qu’il côtoyait depuis 1993 et son arrivée à la tête de de Radio Nostalgie Côte d’Ivoire, la première radio commerciale du pays. Considéré comme un parrain par le défunt DJ Arafat ou encore Asalfo, leader du groupe Magic System, il est d’ailleurs resté très proche du monde du showbiz.
L’ascension politique
L’ascension politique d’HamBak débute dans les années 2000. En 2003, à 38 ans, il est nommé ministre des Télécommunications et des nouvelles technologies, à la suite des accords de Linas Marcoussis qui instaurent le gouvernement d’union nationale. Il reste à ce poste jusqu’à la dissolution du gouvernement, en 2010, par Laurent Gbagbo, suite à son rejet des résultats du scrutin présidentiel fournis par la commission électorale indépendante. Malgré tout, même au plus fort de la crise, Hamed Bakayoko arrive à transmettre les messages d’un camp à l’autre. Il faut savoir qu’il a toujours eu une relation cordiale empreinte de respect mutuel avec Laurent Gbagbo dont il a toujours admiré l’instinct politique.
Il faut savoir qu’il a toujours eu une relation cordiale empreinte de respect mutuel avec Laurent Gbagbo dont il a toujours admiré l’instinct politique.
Le 11 avril 2011, quand Laurent Gbagbo est finalement arrêté, Alassane Ouattara désigne HamBak pour veiller sur la sécurité de son rival. En 2011, il est nommé ministre de l’Intérieur par Alassane Ouattara, un poste qu’il ne quittera qu’en 2017. « En 2011, tout le monde avait sauté au plafond lorsqu’il avait été nommé ministre de l’Intérieur, un poste ultrasensible dans un contexte de vide sécuritaire. Il a remis de l’ordre dans le pays [l’indice général d’insécurité est passé de 3,8 % en janvier 2012 à 1,1 % en décembre 2015 ; NDLR], empêché sa déstabilisation par les activistes proches de Laurent Gbagbo réfugiés à l’étranger, et organisé des élections sans violences ni incidents, ce qui n’était pas gagné d’avance. Désormais, plus personne ne s’étonne de sa présence », confie à Jeune Afrique Omer Ludovic Konan Kan, directeur administratif et financier de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire. Il mène pendant plusieurs années avec Guillaume Soro une lutte sourde pour être le plus proche d’Alassane Ouattara, bien qu’aucun des deux ne le sera jamais plus qu’Amadou Gon Coulibaly.
Consensuel
Respecté et apprécié pratiquement de toute la classe politique ivoirienne, Hamed Bakayoko était souvent le recours ultime du président dans les négociations périlleuses. En juillet 2017, il avait été nommé ministre d’Etat, ministre de la Défense, et numéro deux du gouvernement. Cette nomination lui octroyait la gestion de plusieurs mutineries au sein de l’armée. En 2018, il est élu maire d’Abobo, l’une des deux grandes communes populaire d’Abidjan.
Le Golden Boy, comme on le surnommait, s’en est allé.
En 2020 son nom circule comme présidentiable, avant qu’Alassane Ouattara ne choisisse le premier ministre Amadou Gon Coulibaly comme candidat du parti au pouvoir pour la présidentielle d’octobre. Ce dernier décède d’un infarctus et Hamed Bakayoko appelle, comme d’autres personnalités du camp au pouvoir, le président à briguer un 3e mandat. Lorsque cela arrive au terme d’un scrutin boycotté par l’opposition et que la situation devient électrique, c’est encore Hamed Bakayoko qui réussit à ramener l’opposition à la table des négociations pour organiser des élections législatives apaisées, avec la participation de toutes les forces politiques.
Lorsque cela arrive au terme d’un scrutin boycotté par l’opposition et que la situation devient électrique, c’est encore Hamed Bakayoko qui réussit à ramener l’opposition à la table des négociations pour organiser des élections législatives apaisées, avec la participation de toutes les forces politiques.
Très populaire, il était vu comme le sucesseur du président de la république. Malheureusement, il décède seulement 9 mois après avoir pris la suite d’Amadou Gon Coulibaly. A Abidjan, on pleure un patriote, un rassembleur, mais surtout on pleure un amoureux de la Côte d’Ivoire, parti trop tôt pour réaliser le destin magnifique qu’on lui prédisait. Le Golden Boy, comme on le surnommait, s’en est allé.
Servan Ahougnon