(Agence Ecofin) – La question de la croissance démographique est au centre des débats entre politiciens et économistes sur tous les continents. L’actualité reste marquée par des discours selon lesquels le continent africain doit s’atteler à réduire son taux de fécondité pour mieux faciliter son développement économique. Alors que dans les pays riches, face au déclin démographique, de nombreux dirigeants appellent leurs populations à « faire des bébés ». A l’évidence, le contraste des points de vue sur la natalité semble fortement dépendre des intérêts de chacun…
Déclin de la population dans les pays riches
On assiste dans plusieurs pays d’Europe, d’Amérique ou d’Asie à un vieillissement de la population qui suscite de vives inquiétudes pour leur avenir économique, social et politique.
Infographie Les Echos.
Contrairement aux années 1945-1960 qui ont enregistré une explosion du taux de natalité, les pays développés ont vu leurs nombres de naissances se réduire d’année en année. Avec un taux variant entre 0,9 et 1,9 enfant par femme, selon le Population Reference Bureau (PRB), les pays d’Europe et d’Amérique du Nord possèdent les plus faibles taux de fécondité du monde. Désormais, l’Europe a la population la plus vieille du monde. Plus de 19% de sa population a plus de 65 ans, soit près d’un Européen sur cinq ; une situation associée aux progrès sociaux et scientifiques qui ont permis d’améliorer l’espérance de vie.
Selon des chiffres de l’OCDE, d’ici 2060, le Japon perdra 34,6 % de ses forces productives (les 20-64 ans). Ce pourcentage est de 32% pour l’Italie, 26,6 % pour la Chine, 20,8% pour l’Allemagne, et 6% pour la France.
Preuve de cette situation, les produits développés pour améliorer la vie des personnes âgées ont massivement envahi les marchés des biens et services, conduisant à un essor inédit de la Silver Economy. Ces produits vont de capteurs d’arrêts cardiaques installés à bord des voitures à la fabrication d’horloges adaptées pour améliorer les repères temporels. Les services destinés aux personnes âgées sont de plus en plus sollicités au point où en France, des maisons de retraite se plaignent de ne pas avoir assez de personnel pour prendre soin des séniors.
En Europe, près de la moitié des pays connaissent déjà des taux négatifs d’accroissement naturel ; ce qui signifie que le nombre de décès dépasse celui des naissances. Selon le PRB, la population totale européenne « devrait diminuer de 2%, passant de 747 millions en 2020 à 729 millions en 2050 », faisant du continent, le seul au monde qui enregistrera un déclin de sa population, d’ici 2050.
Selon le PRB, la population totale européenne « devrait diminuer de 2%, passant de 747 millions en 2020 à 729 millions en 2050 », faisant du continent, le seul au monde qui enregistrera un déclin de sa population, d’ici 2050.
La part importante de la nouvelle génération de papy-boomers couplée au recul de la natalité a entraîné non seulement une hausse des dépenses destinées à assurer la prise en charge des séniors, mais également une réduction de la force de travail de la population dans les pays développés. Selon des chiffres de l’OCDE, d’ici 2060, le Japon perdra 34,6 % de ses forces productives (les 20-64 ans). Ce pourcentage est de 32% pour l’Italie, 26,6 % pour la Chine, 20,8% pour l’Allemagne, et 6% pour la France.
L’Afrique, tout à l’inverse…
Avec 1,3 milliard de personnes, réparties sur une superficie de plus de 30 millions de km², l’Afrique est moins peuplée que l’Inde qui est dix fois plus petite (3,4 millions de km2) ou que la Chine (9,6 millions km2).
Cependant, le continent noir possède le taux de fertilité le plus élevé au monde, avec une moyenne de 4,4 enfants par femme, selon le PRB. Avec une amélioration des conditions sanitaires, caractérisée notamment par une baisse de la mortalité infantile, l’Afrique a entamé son baby-boom.
Cette hausse des naissances, alors que le continent est encore loin d’être surpeuplé, explique la jeunesse de sa population. 41% de la population africaine a moins de 15 ans. De plus, la population africaine devrait augmenter de 91 %, passant de 1,3 milliard en 2020 à 2,6 milliards en 2050 ; ce qui représente près de 60 % de la croissance démographique mondiale prévue au cours de la même période.
41% de la population africaine a moins de 15 ans. De plus, la population africaine devrait augmenter de 91 %, passant de 1,3 milliard en 2020 à 2,6 milliards en 2050 ; ce qui représente près de 60 % de la croissance démographique mondiale prévue au cours de la même période.
Un exemple illustrant la jeunesse de la population africaine est la réaction du continent face à la pandémie de Covid-19. Alors que le nombre de décès dans le monde atteint 2,4 millions de personnes, l’Afrique ne compte qu’un peu plus de 100 000 décès liés au coronavirus. C’est le continent le moins touché par la pandémie, une situation que les experts attribuent à la très forte proportion de jeunes au sein de la population contrairement à l’Europe.
Malheureusement, ce boom démographique est doublement perçu par les observateurs. Pour les plus optimistes, l’importante croissance démographique de l’Afrique lui permet de disposer d’une population active plus importante et capable de renforcer sa productivité. Cette perspective, qui lui permet également de s’appuyer sur un marché intérieur croissant, offre au continent une possibilité de développement économique accélérée.
Mais pour les plus pessimistes qui s’appuient d’ailleurs sur le niveau de développement des pays africains, cette hausse de la natalité engendrera une pression démographique difficile à supporter pour les économies du continent et d’importantes vagues d’émigration.
Le « Grand remplacement », le fantasme xénophobe
La réalité du nouveau boom démographique africain a peu à peu alimenté les peurs, et les théories parmi les plus invraisemblables sur la manière dont le continent pourrait gérer ou pas l’accroissement visible de sa population dans les prochaines années. L’une de ces théories a particulièrement fait parler d’elle, ces dernières années : le complot dit du « Grand remplacement ».
Un fantasme qui a déjà inspiré des actes terroristes.
Défendue par de nombreux partisans d’extrême-droite en Europe, cette thèse dont le pionnier est l’écrivain français Renaud Camus, soutient qu’il existe un processus délibéré de substitution de la population européenne par une population étrangère, originaire en premier lieu d’Afrique noire et du Maghreb.
Cette théorie a même déjà inspiré des actes de terrorisme comme celui de Christchurch en Nouvelle-Zélande où un homme armé a massacré 51 personnes dans deux mosquées, au nom de la défense de la population « blanche » contre les envahisseurs.
Ses partisans s’appuient généralement sur de fausses images concernant la migration, d’origine africaine plus précisément. Celles-ci laissent penser que les Africains affluent massivement en Europe chaque année et qu’ils « arrachent » les emplois qui sont normalement « destinés » aux nationaux. Selon cette logique, le boom démographique que connaît le continent africain entraînerait mécaniquement un déferlement de migrants sur les territoires européens.
Lire aussi : 14/12/2018–Accord de Marrakech sur les migrations : quand les fantasmes l’emportent sur la réalité
Pourtant, la réalité est toute autre. Contrairement aux idées reçues, l’Europe n’est pas la première destination des migrants africains. S’il est vrai que le continent est traversé par un nombre inquiétant de conflits armés qui engendrent un afflux de réfugiés et de déplacés, plusieurs rapports d’organisations internationales indiquent que la migration clandestine touche beaucoup moins les nations développées que les pays moins avancés.
Dans un rapport intitulé « Les migrations au service de la transformation structurelle », la CNUCED a indiqué que si 17 millions de migrants ont quitté l’Afrique en 2017, c’est 19 millions d’individus qui se sont déplacés sur le continent. Ainsi, 53% des migrants africains de l’année 2017 ont émigré dans un autre pays africain. 47% se répartissent sur tout le reste de la planète.
Selon « lesPerspectives des migrations internationales 2019 », publiées par l’OCDE, aucun pays africain ne figure dans le top 17 des populations qui ont le plus migré vers les pays développés, membres de l’organisation. Dans le top 50, on ne retrouve que cinq pays du continent (Maroc, Nigeria, Algérie, Egypte et Erythrée) qui cumulent seulement 4% des entrants dans les pays de l’OCDE et 15% dans les pays de l’Union européenne (UE).
Selon « lesPerspectives des migrations internationales 2019 », publiées par l’OCDE, aucun pays africain ne figure dans le top 17 des populations qui ont le plus migré vers les pays développés, membres de l’organisation.
Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), « la plupart des migrants internationaux se déplacent entre des pays situés dans la même région. La majorité des migrants internationaux en Afrique subsaharienne […] étaient originaires de la région où ils résident ».
Des stratégies divergentes
Pour gagner cette nouvelle guerre démographique, plusieurs méthodes sont adoptées par les pays. Dans le « vieux monde », l’objectif clairement affiché est d’augmenter la part de la population jeune pour mieux faire face aux défis qui s’annoncent dans les prochaines années.
Ainsi, de plus en plus de dirigeants appellent leurs populations à « faire des bébés », souligne le journal Les Echos.
Vladimir Poutine : « Le destin de la Russie et ses perspectives historiques dépendent de combien nous serons »
D’ailleurs, une déclaration du président russe, Vladimir Poutine, faite le 15 janvier 2020, illustre parfaitement cette stratégie. « Nous sommes aujourd’hui 147 millions, mais nous sommes entrés dans une mauvaise période démographique […] Les mauvaises prévisions actuelles ne peuvent que nous inquiéter […] Le destin de la Russie et ses perspectives historiques dépendent de combien nous serons », s’est inquiété le dirigeant en s’adressant au Parlement russe. Annonçant son intention de faire passer le taux de fécondité du pays de 1,5 à 1,7 enfant par femme, d’ici 2024, le chef d’Etat a ainsi prévu une augmentation de l’aide apportée aux familles de deux enfants pour « soutenir les jeunes gens, ceux qui commencent leur vie de famille et qui, j’en suis sûr, rêvent d’avoir des enfants ».
En Chine où une politique de l’enfant unique a été instaurée dans les années 1970, le gouvernement encourage désormais la natalité pour faire face au problème du vieillissement de la population.
En Chine où une politique de l’enfant unique a été instaurée dans les années 1970, le gouvernement encourage désormais la natalité pour faire face au problème du vieillissement de la population.
Dans les pays où cette politique ne semble pas suffire, on opte pour une immigration de masse. C’est le cas notamment aux USA ou en Allemagne, pays qui a mis en place une politique pour accueillir de nombreux réfugiés sous l’impulsion d’Angela Merkel.
Mais dans d’autres pays plus fermés à l’immigration, la situation semble moins facile. On assiste à un recul de l’âge de la retraite, pour faire travailler plus longtemps « les vieux ». Au Japon, une politique de robotisation est en développement pour faire travailler plus de machines à la place des hommes.
Au Japon, une politique de robotisation est en développement pour faire travailler plus de machines à la place des hommes.
Pendant ce temps, en Afrique, on opte pour une stratégie différente. Aujourd’hui, les pays tentent de faire baisser le taux de fertilité du continent, qui recule déjà depuis quelques années. L’objectif est surtout de faire reculer les grossesses non désirées, le mariage forcé, et les grossesses en milieu scolaire, en maintenant notamment les filles à l’école plus longtemps pour leur permettre d’avoir les compétences nécessaires afin de participer activement au développement de leur pays.
En Afrique, l’objectif est surtout de faire reculer les grossesses non désirées, le mariage forcé, et les grossesses en milieu scolaire, en maintenant les filles à l’école plus longtemps.
Mais parmi les leaders africains, on semble de plus en plus conscients que la hausse de la population du continent peut être une opportunité à saisir pour accélérer sa croissance, pour peu qu’elle soit maîtrisée et accompagnée par les mesures économiques et sociales adéquates.
Ainsi, on assiste à des programmes de construction de nouvelles villes (Sénégal, Egypte, etc.) plus intelligentes, et mieux adaptées aux besoins démographiques.
Plus que jamais, l’Afrique compte sur sa jeunesse pour assurer son développement.
Les politiques publiques de développement intègrent davantage la problématique de la redistribution des richesses, de la création d’emplois, tout en accélérant les investissements visant à fournir les infrastructures de base aux populations.
Désormais, il n’est pas uniquement question de mettre fin à la pression démographique en Afrique en réduisant les naissances. Les pays du continent veulent eux aussi profiter du dividende démographique qui a notamment permis à la Chine de connaître ce boom économique qui a fait d’elle la puissance mondiale qu’elle est aujourd’hui.
Moutiou Adjibi Nourou