Se procurer des médicaments en pharmacie, sans prescription médicale, ni l’avis d’un pharmacien, est devenu une attitude qui éloigne bon nombre de personnes des hôpitaux. A Dakar, la pandémie de la Covid-19 a, sans doute, amplifié ce phénomène. Et le personnel de santé alerte sur les dangers qui peuvent en découler.
De plus en plus, on voit sur les réseaux sociaux des gens décrire leur mal et demander des suggestions de médicaments. Or, l’on sait que les symptômes d’une maladie peuvent se ressembler et que seule une personne qualifiée peut vous dire ce dont vous souffrez et vous prescrire un médicament. Mais les gens semblent l’oublier très souvent. Et il est difficile, pour les pharmaciens, de veiller tout le temps, parce que tous les médicaments ne nécessitent pas une ordonnance, à leur achat.
A la pharmacie Ndoss, sur l’avenue Cheikh Anta Diop, les clients entrent régulièrement, mais après avoir tendu la main sous un distributeur automatique de gèle hydro-alcoolique et mis un masque ; contexte sanitaire oblige. A l’intérieur, le vigile veille au respect de la distanciation physique. Devant le comptoir, les clients, tour à tour, demandent les médicaments dont ils ont besoin.
Parmi quatre clients qui se sont retrouvés ce mercredi à l’intérieur de cette pharmacie, entre 11 h et 12 h, un jeune homme de teint noir, le nez et la bouche bien protégés par un masque. Il sort un billet de 10 000 F CFA et, sans ordonnance, il demande à la préposée à la vente un médicament. Celle-ci le lui donne, avant de lui poser la question de savoir s’il était suivi par un pneumologue. Le jeune homme se gratte la tête, puis répond, évasivement, qu’il était suivi par un pneumologue, sans plus de précision. La pharmacienne lui conseille ensuite de se faire suivre par un spécialiste. Il acquiesce. Et sans avoir l’air d’accorder de l’importance à ce conseil, il glisse le médicament dans sa poche et sort de la pharmacie.
D’après les pharmaciens que nous avons eu à rencontrer, des situations pareilles sont courantes dans les officines. Des gens viennent, sans ordonnance, demander des médicaments. Quant à cette pharmacienne, Docteur Maimouna Kane Diallo, elle informe que dans cette pharmacie Ndoss, il y a plus de personnes qui s’y présentent sans ordonnance que ceux qui viennent avec.
Mais la Covid-19, selon elle, aurait donné de l’ampleur à ce phénomène. ‘’Depuis l’avènement de la Covid-19, nous avons remarqué que les gens viennent de plus en plus en pharmacie. Ils ont peut-être peur d’aller à l’hôpital et d’y choper le virus’’, déclare cette assistante pharmacienne à la pharmacie Ndoss.
Un avis que partage le docteur Demba Diedhiou, Médecin à l’hôpital Abass Ndao, au service de médecine interne. ‘’Ce constat, dit-il, nous l’avons fait, et diverses raisons peuvent l’expliquer. L’une d’entre elles est la stigmatisation. Beaucoup de personnes sentent des signes qui s’apparentent à la pathologie de la Covid-19 ou bien à une autre maladie, mais ont peur de venir à l’hôpital. Et ces gens vont aller à la pharmacie pour se procurer des médicaments qu’ils ont l’habitude de prendre ou encore celui dont on leur a parlé et qui pourrait soigner leur mal’’.
Les médicaments contre les maladies respiratoires sont plus demandés
A la pharmacie Aimé Césaire Fann, le docteur Oumar Diop, auxiliaire d’officine, informe qu’il y a toujours des demandeurs du fameux médicament azithromycine. Le ‘’remède-miracle’’ du Dr Raoult qui soignerait le coronavirus associé à d’autres médicaments. Des gens, révèle-t-il, viennent toujours en commander. ‘’Certains demandent même pour toute leur famille. Nous, nous n’acceptons pas d’en vendre sans ordonnance. Mais dans cette profession, il y a des commerciaux qui acceptent de vendre l’azithromycine sans ordonnance. Il y a des boites qui coûtent 9 000 F. Donc, pour une famille de sept personnes, cela fait plus 100 000 F CFA pour un pharmacien, d’un coup’’, dit un monsieur qui a la cinquantaine révolue.
Cette demande d’azithromycine, informe Ousmane Yacine, étudiant en 5e année de pharmacie, qui travaille à Fass Delorme, était bien réelle au début de la pandémie. Mais, actuellement, il constate que ce sont les médicaments contre les maladies respiratoires, comme la toux, la grippe et le rhume, qui sont le plus sollicités en automédication.
En outre, Aliou Goudiaby, délégué médical de formation et vendeur à la pharmacie Sham, nichée à quelques pas de l’hôpital Abass Ndao, ajoute : ‘’Les gens viennent, le plus souvent, demander des antitussifs (NDLR : spécialités censées arrêter la toux), des médicaments contre la grippe, les maux de tête. Et, souvent, certains apportent des boites de médicaments, comme pour nous faire savoir qu’ils ont l’habitude d’en prendre, à la place des ordonnances’’, soutient-il. C’est dire que rien ne les décourage.
Mais il n’y a pas que ces médicaments qui sont demandés en automédication. Le docteur Maimouna Kane Diallo ajoute qu’il est fréquent que des gens viennent demander des contraceptifs et des antibiotiques, sans aucune ordonnance. ‘’Ce matin même, raconte-t-elle, une femme est venue à la pharmacie pour un contraceptif ; mais elle a demandé une anti-grossesse. Par la suite, on lui a conseillé que ce n’est pas une anti-grossesse, mais une pilule du lendemain et qu’il ne faut pas le prendre deux fois dans un même cycle’’. Et le Dr Diedhiou de préciser que ‘’prendre un contraceptif ne doit pas se faire n’importe comment. Cela doit se faire sur prescription médicale’’.
‘’Tout médicament est un toxique’’
Ces médicaments pris sans ordonnance, et même avec ordonnance, dans certains cas, peuvent être très dangereux pour la santé. Parce que, pour le Dr Kane, ces personnes qui demandent ces médicaments, n’ont pas assez d’informations là-dessus. ‘’C’est soit un ami ou un parent qui avait pris le médicament et quand d’autres ont des symptômes similaires, ils veulent en prendre aussi. Ils se passent le comprimé, alors que la personne qui a l’intention de le prendre peut en être allergique. Et ça peut provoquer des effets secondaires nocifs’’, alerte-t-elle.
Le Dr Diedhiou abonde dans le même sens. Pour lui, un médicament pris sans autorisation médicale aura toujours des dangers, puisque, ‘’dans le cadre de la prescription médicale, dit-il, il y a la posologie et la durée de prise qu’il faut connaitre. Si un médecin fait une prescription médicale, il y a une maladie qui l’a motivée et il prend en compte les terrains sous-jacents. Tout le monde ne peut prendre en compte ces paramètres. Et ne pas prendre en compte ces paramètres peut, soit faire en sorte que le médicament soit pris de façon courte, cela peut entrainer des résistances. De façon prolongée, cela peut entrainer des effets secondaires ou encore, sous-doser ou sur-doser’’.
D’autre part, toujours pour démontrer les conséquences de cette automédication, le Dr Diedhiou ajoute : ‘’Tout médicament est un poison, au-delà d’une certaine dose et d’une certaine durée de prise. Ça peut être toxique pour la peau, entrainer des problèmes rénaux, une altération profonde des fonctions hépatiques, créer des phénomènes allergiques ou encore une intoxication généralisée qu’on appelle toxidermie.’’
De plus, le Dr Oumar Diop, pharmacien, explique que certains anti-inflammatoires qui s’obtiennent en automédication, peuvent créer des complications sévères et des problèmes cardio-vasculaires.
La dépendance à certains de ces médicaments disponibles en vente libre n’est pas aussi à négliger, d’après ces professionnels de la santé. De l’avis de Dr Maimouna Kane Diallo, au-delà des dangers que cela peut provoquer sur la santé, certaines personnes ne pourraient plus arriver à se passer de certains médicaments ’’qui contiennent de la codéine et, poursuit-elle, on a remarqué que ce sont les jeunes qui viennent souvent se les procurer. C’est un fléau et j’insiste beaucoup sur la sensibilisation et l’éducation sanitaire’’, soutient la pharmacienne.
Ousmane Yacine va plus loin avec le néo-codion. Ce produit, renseigne-t-il, contient de la codéine ; il est prescrit contre la toux et l’insomnie, et ‘’beaucoup de jeunes viennent en acheter’’.
Cette dépendance, selon le Dr Diedhiou, en d’autres cas, peut être expliquée par une attitude douillette de la personne. ‘’Si, explique-t-il, nous voulons nous mettre dans un environnement ou vivre sans douleurs, nous risquons toujours de dépendre de ces antidouleurs. Cela veut dire que nous refusons que notre organisme s’adapte et trouvons des mécanismes pour diminuer ou s’adapter à la douleur’’.
Ibrahima Minthe« ENQUÊTE »