Alors que la psychose des édifices menaçant ruine plane toujours sur des occupants et riverains, ce sont les bâtiments en construction qui s’effondrent maintenant, tuant des ouvriers en chantier, mettant tout le monde ou presque en danger. Ces effondrements répétitifs, remettant au goût du jour les problèmes liés à la sécurité des constructions, la fiabilité/qualité des matériaux et la délivrance des autorisations/permis de construire, ne cessent d’inquiéter les acteurs du secteur, y compris le président de la République qui, en Conseil des ministres, il y a quelques semaines, a donné des instructions pour y remédier. |
Ces dernières années, ce ne sont plus seulement les nombreux bâtiments menaçantruine, qui tiennent encore debout et sont parfois mêmes occupés dans plusieurs localités notamment les grandes villes comme Dakar, qui hantent le sommeil des populations et riverains. De plus en plus l’on déplore des accidents de travail et effondrements coûtant la vie à des ouvriers et autres travailleurs sur des chantiers en construction, dans le secteur des Bâtiments et travaux publics (BTP). Remettant à l’ordre du jour les questions liées à la sécurité des constructions, la qualité des matériaux utilisés et même celle de la délivrance des autorisations/permis de construire. L’un des derniers cas en date remonte à la semaine dernière, dans le Centre du Sénégal. La population de Kaolack s’est réveillée, le jeudi 18 février 2021, sous le choc. Un échafaudage a cédé, dans un chantier en construction,R+4, au quartier Kaznack, causantla mort d’un maçon sur le coup. Il s’agit de Pathé Sow, âgé de 23 ans. Selon Sud Fm, qui a donné l’information, un deuxième nommé Assane Kébé, 22 ans, est grièvement blessé. Il a été évacué au Centre régional hospitalier El Hadj Ibrahima Niass de Kaolack. Toujours parlant accidents liés à des effondrements sur des chantiers de construction, mois d’un mois plus tôt, un autre drame s’était produit dans la région de Thiès. Ici, un bâtiment R+3 en construction de la société «3MD ENERGY», spécialisée dans l’électricité produisant des postes préfabriqués et située sur la nationale entre Pout et kilomètre 50, a cédé. L’effondrement, qui a eu lieu le 27 janvier dernier, au alentour de 13h à Khodaba, dans la commune de Keur Mousseu, a fait 05 morts. Les victimes, des ouvriers, étaient en train de s’activer dans les travaux de construction et d’installation de l’immeuble au moment de l’accident. Plusieurs personnes ont été arrêtées et placées sous mandat de dépôt à l’issue de ce drame dont les premiers éléments de l’enquête ouverte ont révélé que le promoteur n’aurait pas d’autorisation de construire Autre forme d’accident dans des bâtiments en construction, autre inquiétude. Il y a quelques mois, le jeudi 17 septembre 2020, Moussa Koïta, un maçon âgé seulement de 21 ans et d’origine malienne, succombait dans un chantier situé non loin du siège du Jaraf de Dakar, au Point E. Un monte-charge, rempli de briques, qu’il essayait de faire monter au 7e étage d’un immeuble en construction où il travaillait lui était tombé dessus, passant de vie à trépas sur le coup. Une mort très atroce, avec une tête abîmée par la machine chargée de briques. Les éléments de la Brigade des Sapeurs-pompiers, ceux du Commissariat de Point E et la Police scientifique alertés, n’ont trouvé sur place qu’un corps sans vie gisant dans une marre de sang. Après les constats d’usage, il a été acheminé l’hôpital Abass Ndao de Dakar. La liste est loin d’être exhaustive. Entre effondrements de bâtiment en chantier, d’échafaudages et autres installations permettant de soutenir les constructions en hauteur, des accidents similaires ne cessent de se multiplier, mettant en péril la vie de personnes. Déjà, moins d’une semaine après l’effondrement de Khodaba, qui a fait 5 morts, le président Macky Sall, est monté au créneau pour donner des instructions pour la sécurité dans les constructions. En Conseil des ministres, le mercredi 04 février 2021, le chef de l’Etat a invité ses ministres à faire la promotion de l’outil de lutte contre la corruption, dans le secteur. «Le président de la République a insisté sur la nécessité de renforcer le contrôle de la qualité des matériaux et systèmes de construction, eu égard à la recrudescence de l’effondrement des bâtiments et à la récurrence des incendies dans nos villes et campagnes. Il a, à ce propos, demandé au ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique, d’engager, en liaison avec le ministre de l’Intérieur, à travers la Direction de la Protection civile, un audit général des bâtiments, des matériaux et systèmes de construction pour une mise aux normes. Le chef de a invité, dès lors, les ministres concernés, en relation avec l’Association Sénégalaise de normalisation et les Ordres professionnels (Ordre des Architectes du Sénégal, Ordre des Experts et Evaluateurs agrées), à mettre en place une nouvelle réglementation qui préserve davantage la qualité, la sécurité et la durabilité des constructions autorisées et des habitations. Le président de la République a indiqué, dans cette perspective, la nécessité de renforcer en ressources humaines, l’Inspection générale des constructions et des bâtiments, dans le cadre de la réalisation du programme des 100.000 logements et du développement des constructions en hauteur», lisait-on dans le communiqué du conseil. JEAN CHARLES TALL, ARCHITECTE : «Pour sécuriser davantage les constructions, il faut juste appliquer la loi, c’est aussi simplement que ça» «Je pense d’abord que la première chose, c’est que ce ne sont pas les immeubles qui tuent. Ce sont les gens qui font mal les immeubles ou qui s’occupent mal de la maintenance des immeubles qui sont responsables de la mort de certaines personnes. Ce métier est un métier qui comporte des risques, comme tous les autres métiers. Et dans notre pays, quand quelqu’un fait de la médecine alors qu’il n’est pas habilité à faire de la médecine, on trouve ça scandaleux. Par contre, on trouve tout à fait normal que quelqu’un qui fait de l’architecture ou de l’ingénierie sans y être habilité puisse contribuer à le faire sous prétexte qu’il faut bien que les gens vivent. Mais il ne faut pas forcément que les gens vivent en tuant des personnes. C’est un métier qui doit être réglementé. C’est un secteur qui doit être sérieusement réglementé et on ne doit pas laisser n’importe qui faire n’importe quoi. Il y a des règles, il y a des normes, il suffit de les appliquer ; ce n’est pas la peine de réinventer la roue. SOLUTIONS POUR PROTEGER LES TRAVAILLEURS ET SECURISER LES CONSTRUCTIONS Pour sécuriser davantage les constructions, il faut juste appliquer la loi ; c’est aussi simplement que ça. Ce n’est pas la peine de faire de nouvelles lois ou quoi que se soit ; il suffit simplement d’appliquer les normes qui sont en vigueurs. Au niveau des matériaux, de nous doter peut-être de nouveaux laboratoires qui permettent de s’assurer que les matériaux que nous utilisons au Sénégal respectent les normes. Deuxièmement, d’utiliser des concepteurs qui sont qualifiés ; que ce soit des architectes, des ingénieurs, des bureaux d’études, travailler avec des hommes qui sont qualifiés pour cela. Troisièmement, s’assurer que les entreprises qui réalisent les constructions prennent suffisamment de précautions et qu’elles-mêmes soient qualifiées. Aujourd’hui, la logique qui entoure notre secteur, c’est une logique mercantile et la sécurité des personnes n’est pas vraiment une priorité absolue, alors que ça devrait être une priorité absolue. Pour protéger les travailleurs et les constructions, la chose la plus simple, c’est que déjà il n’y ait pas des constructions à faire sans permis de construire. Deuxièmement, quand on a le permis de construire, que l’on s’assure que le permis de construire a été octroyé selon les règles et que le chantier va être fait selon les règles. Il est temps, aujourd’hui, que nos Etats soient dotés de systèmes de surveillance de la construction qui ne sont pas simplement des systèmes administratifs. On a, malheureusement aujourd’hui, une conception de la surveillance des constructions qui est juste de la surveillance de l’occupation des sols, des titres de propriété etc Il faut que l’Inspection générale des bâtiments soit dotée de personnel suffisant, des moyens suffisants pour lui permettre d’accomplir sa mission sur l’ensemble du territoire national. L’un des effondrements dont on parle récemment dans la presse concerne quand-même une société qui est assez importante, qui, si je ne me trompe pas, a établi une usine. Une société de cette importance ne devrait pas pouvoir prendre des risques inconsidérés. Bon, il est vrai que l’enquête n’est pas encore terminée, elle déterminera la responsabilité. Mais, si jamais il se trouve que c’est parce que la société a voulu économiser et que certains risques on été pris comme cela arrive très souvent dans notre pays en ce moment, il faut trouver les moyens de le dire. Malheureusement, dans notre pays, on a souvent de grandes déclarations. RESPONSABILITES DE L’ETAT ET DES MEDIAS Vous m’excuserais, vous-même de la presse êtes beaucoup dans cette responsabilité parce que vous ne réagissez que quand il y a de grands événements. Mais, aujourd’hui, on n’a pas de système d’information qui permette de conscientiser, d’alerter les populations sur les risques de ce métier et on laisse tout le monde porter le titre d’architecte. Aujourd’hui, on est architecte quand on a une belle carte de visite. Et vous trouvez des gens qui sont spécialistes de l’infographie qui, parce qu’ils font de belles images, se trouvent responsables de construire des immeubles qui font six (6), sept (7) étages etc. C’est quelque chose qui est inconcevable par rapport à la médecine, par rapport à l’exercice du droit, par rapport au métier d’avocat. On trouve ça tout à fait normal par rapport au métier d’architecte. Et le pire, c’est que l’Etat lui-même ne nous aide pas. Aujourd’hui, je considère que, en tant qu’architecte, l’Etat lui-même n’a aucun respect pour la profession d’architecte et ne nous permet pas d’exercer notre métier dans des conditions de sécurité pour les populations et ne nous soutient pas dans le cadre de l’exercice de notre métier. L’Ordre des architectes a porté plainte contre un certain nombre de personnes et ces à l’Ordre des architectes, en tant représentant de la profession, de faire cela. Il y a eu des condamnations et, par contre, là où on est très étonné, c’est que tout le monde s’en presse de parler quand il y a des effondrements d’immeubles. Quand il y a la condamnation des personnes pour exercice illégal de la profession, on n’en parle pas. Je ne me souviens pas avoir entendu une seul radio, une seule télé, parler de cela. Peut-être que si on en parlait un peu plus, ça pouvait alerter les gens. Il y a des gens qui se prétendent architectes, qui se prétendent ingénieurs, qui n’ont pas les compétences et ce sont des gens dangereux pour la sécurité des constructions et des personnes.» |