Sexe, argent, complot, pouvoir… Voilà un champ lexical qui a souvent rythmé la vie politique et publique aussi bien au Sénégal qu’ailleurs. Dans ces dossiers où se mêlent souvent pauvreté, abus de pouvoir et valeurs morales, il a toujours été difficile de différencier le blé de l’ivraie. Mais pour la plupart des cas, le plus difficile, pour les hommes politiques, c’est le défi de l’oubli.
‘’The Human Stain’’ (Tache humaine). C’était le titre du roman consacré par Philippe Roth au ‘’Monicagate’’, du nom de l’ancienne ‘’maitresse’’ du président américain Bill Clinton. La tache, c’était non seulement pour illustrer la réputation salie de l’ancien président. Mais aussi, c’était pour montrer la trace de son sperme resté sur la robe bleue de Monica Lewinsky. Après plusieurs dénégations, le mari d’Hilary Clinton a été confondu par un test ADN, réalisé grâce à la fameuse tache de sperme. Finalement, devant les preuves irréfutables de son infidélité, il avoue son ‘’crime’’. Plongeant l’Amérique dans une sorte d’ébullition qui aura duré plusieurs mois.
Une affaire de sexe et de parjure, qui a failli coûter cher au très charismatique président. Même si tout a été fait par consentement mutuel. Les Républicains avaient enclenché une procédure de destitution qui n’avait pas abouti.
Plus de 20 ans après, le Sénégal vit son ‘’Adjagate’’ qui ressemble, à bien des égards au ‘’Monicagate’’. Même si, contrairement à Clinton, Ousmane Sonko n’est pas président de la République. Contrairement à Monica Lewinsky (22 ans au moment des faits en 1998) qui a longtemps tenté de disculper son ‘’partenaire’’ de président, Adji Sarr (20 ans), elle, a déclenché les hostilités et tenté, avec véhémence, d’enfoncer l’opposant radical qu’elle accuse de viols répétitifs….
Cela dit, pour le ‘’Adjagate’’ comme pour le ‘’Monicagate’’, il est beaucoup question de tache de sperme, de test ADN, mais aussi et surtout de la réputation d’un homme politique qui a toujours fait campagne autour des thèmes de la probité et de la morale. Comme M. Clinton, Sonko a plus qu’une condamnation à fuir dans ce dossier. Il joue sa carrière, selon beaucoup d’observateurs. Soit il en sort bonifié, soit anéanti à jamais sur le plan politique. Un combat qui est loin d’être gagné d’avance et qui va au-delà de la sphère politique.
Au Sénégal, difficile de se relever, indemne, après une affaire de mœurs. Avérée ou non. Ousmane Sonko réussira-t-il là où plusieurs personnalités publiques avaient échoué ?
Il faut rappeler que nombre, parmi ses prédécesseurs cités dans des affaires de mœurs, ont essayé de rebondir. Mais souvent, cela s’est révélé très difficile.
Du ‘’Monicagate’’ américain au ‘Adjagate’’ sénégalais
L’on se souvient encore de ce débat houleux entre un des lieutenants de Sonko (Bassirou Diomaye) et Me El Hadj Diouf. Dans un face-à-face portant sur une affaire supposée de détournement et de diffamation, le patriote lui balance en pleine figure pour le déstabiliser : ‘’Quand il est allé en France violer une petite fille…’’ Suffisant pour faire sortir Me Diouf de ses gonds. ‘’Vous êtes des bâtards. Je ne lui permets pas de m’insulter ou de me manquer de respect… Moi, si j’avais fait quelque chose en France, je serai mis en taule’’. Quelques jours plus tard, en allant au tribunal déposer une plainte dans l’affaire des 94 milliards opposant Sonko à son client Mamour Diallo, il recevait encore un comité d’accueil bien spécial. Qui scandait : ‘’El Hadj Diouf violeur… !’’
Les faits à lui reprochés remontent pourtant à mars 2012. C’était à l’hôtel Méridien Porte Maillot de Paris. Vers les coups de 20 h, le tonitruant avocat avait reçu la visite d’une belle jeune fille franco-sénégalaise âgée de 23 ans. Visite en principe de courtoisie que lui avait annoncée la maman de cette dernière. Dans un premier temps, Me Diouf avait été accusé de viol, mais au finish, l’accusation s’est muée en agression sexuelle et il a été condamné pour 6 mois avec sursis par les juridictions françaises. L’avocat a été sauvé par un test ADN.
Dès le soir de son arrestation, il accepta des prélèvements. Et finalement, la dame confia : ‘’Il m’a caressé la cuisse gauche’’, rappelle une source à ‘’EnQuête’’. Pour lui, le test ADN reste le meilleur moyen de montrer son innocence, quand on n’a rien à se reprocher.
Savoir rebondir
C’est le plus dur, quand on sort d’une accusation aussi dégradante aux yeux d’une bonne partie de l’opinion. Et souvent, ce verdict de la rue est beaucoup plus craint par les personnalités publiques. C’est d’ailleurs pour y échapper que le président Clinton avait commis le parjure, un crime abject aux USA. Au Sénégal, les rescapés d’accusations de mœurs ont souvent eu toutes les peines pour exister dans une société au jugement implacable. Cheikh Yerim Seck ne dira sans doute pas le contraire. Pourtant, il était convaincu d’avoir réussi à remonter la pente.
Libéré de prison en janvier 2014, à la suite d’une condamnation pour viol, le journaliste avait lancé, en avril de la même année, son mouvement dénommé C221. Il disait : ‘’Après mon arrestation, des Sénégalais ont créé des pages de soutien sur Facebook. Elles ont rapidement réuni 30 000 membres. Il ne fallait pas laisser ce réseau se disloquer.’’
Hélas, pour lui, ce capital sympathie ne s’est jamais transformé en machine électorale. Son mouvement a fait long feu, avant de fondre comme du beurre au soleil. Et aujourd’hui encore, ses adversaires ne ratent pas une occasion de lui rappeler son passé. Pourtant, pour beaucoup, sa relation avec son accusatrice procédait d’un consentement mutuel.
Justifiées ou non, les relations extraconjugales impliquant des autorités ont toujours laissé des traces. Parmi les plus retentissantes, il y a l’affaire Diombass Diaw. Filmé nu par une demoiselle payée par des adversaires politiques se réclamant du camp de l’ancien n°2 du Parti démocratique sénégalais Oumar Sarr (actuel ministre des Mines), l’homme politique en est sorti dévasté, comme il le disait au tribunal. Politiquement comme socialement, ces accusations laissent des traces. Au procès, son bourreau confessait : ‘’Abdou Salam et ses amis voulaient que je déshabille Diombass, avant de le filmer avec un téléphone portable. Pour la mission, ils (les proches d’Oumar Sarr) m’avaient proposé 5 millions (de francs), une maison, un passeport diplomatique et un emploi au ministère de l’Habitat. Le tout, d’après Salam, devait provenir du ministre de l’Habitat d’alors, Oumar Sarr.’’ Lequel film a été publié et avait presque ‘’détruit’’ la victime Diombass Diaw. Victime, il a dû prendre son courage à deux mains pour porter l’affaire devant la justice.
Les histoires de mœurs et de pouvoir ne datent pas d’aujourd’hui. De Thomas Jefferson (3e président des Etats-Unis) à Ousmane Sonko, en passant par Clinton, Dominique Strauss Kahn pour ne citer que ceux-là, ils sont nombreux les hommes politiques et de pouvoir à avoir été accusés d’avoir des affaires extraconjugales. Le point commun de toutes ces grosses affaires, c’est leur capacité à scinder l’opinion publique, locale comme internationale, en deux principaux camps : pro ou anti la personnalité publique impliquée.
Entre l’abus des forts et le dénuement des faibles
Quant à l’autre partie, elle est souvent la matérialiste, la provocatrice ou tout simplement la fille facile qui a voulu profiter de sa situation. En atteste ce sondage réalisé par la chaîne Fox dans l’affaire Clinton : ‘’Lewinsky est-elle une traînée ou une Américaine ordinaire ?’’, demandait-on aux Américains. La première option était plébiscitée à 54 %. La même tendance se vérifie dans le cadre de l’affaire Ousmane Sonko qui continue de défrayer la chronique. On pourrait en dire autant dans l’affaire Strauss Kahn contre la Guinéenne Nafissatou Diallo. Le faible a souvent été jugé ‘’consentant’’ à l’acte sexuel. Dans les cas où cet acte a été constaté.
Plus de 15 ans après sa liaison avec Bill Clinton, Monica a jugé utile, en 2014, de sortir de son mutisme et de crier son amertume. Dans le magazine ‘’Vanity Fair’’, elle confiait avoir été ‘’la personne la plus humiliée au monde’’ et la première victime de cyber-harcèlement. Dans la foulée, elle lançait sa marque de sacs à main. Et en 2015, elle devient l’ambassadrice et la conseillère d’une organisation de lutte contre le cyber-harcèlement créée par des étudiants américains. En plus de l’acharnement des internautes, celui des humoristes, il lui fallut également faire face à l’imagination des stars. Même Beyonce avait chanté l’ancienne stagiaire de la Maison-Blanche dans le morceau ‘’Partition’’. Elle disait : ‘’Il a Monicalewinské sur ma robe.’’ Ce que l’intéressée avait jugé approprié de corriger en : ‘’Il a Billclintoné sur ma robe.’’
Vouée aux gémonies, elle porte la réplique dans ses confessions, en plaidant l’abus de pouvoir : « Nous pouvons au moins admettre qu’il s’agissait d’un grave abus de pouvoir. (…) Aujourd’hui, à 44 ans, je ne fais que commencer à comprendre la relation de pouvoir qui se jouait alors entre un président et une stagiaire de la Maison-Blanche. Je me dis que la notion de consentement était discutable. »