Après les manifestations qui ont installé le désordre dans une bonne partie de la capitale, Dakar, l’heure est à l’évaluation des dégâts. Même si ceux-ci ne sont pas encore chiffrés, le décor et les débris suffisent à mesurer leur ampleur. En plus des dommages matériels, une peur bleue s’est emparée des populations ayant fait les frais de la furie des émeutiers.
Derrière le comptoir, le gérant d’une boutique, l’air traumatisé, raconte, au téléphone, son infortune d’hier. Même s’il dit ne pas pouvoir estimer les pertes pour le moment, il reconnaît qu’elles sont énormes. «Mais, le plus grave, signale-t-il, c’est le risque qu’il y a à saccager une station d’essence. Une simple étincelle peut provoquer un drame inimaginable que personne ne pourrait arrêter», regrette-t-il, en pointant du doigt les marques de pneus brûlés à quelques mètres. «Le pire pouvait arriver», se désole-t-il.
Vingt-quatre heures après les manifestations d’hier, qui ont secoué certaines parties de la capitale, les débris sont encore visibles le long des allées qui ont été le théâtre d’affrontements entre forces de l’ordre et militants d’Ousmane Sonko, leader de Pastef. Les employés de l’Unité de coordination de la gestion des déchets solides (Ucg) ont donné un coup de balai, mais les marques d’une violente journée sont apparentes. A la station Total du rond-point Liberté 6, les traces de flammes et de pierres témoignent de la furie des émeutiers. Ici, la peur ne semble pas avoir quitté les lieux. La sécurité est renforcée. En cette matinée du mardi 9 février 2020, seul un poste de pompage est en marche. Les piétons sont épiés comme du lait sur du feu.
La ronde des pilleurs
Résidant non loin de la station Khar Yalla, un vieillard, une pile de journaux à la main, est encore sous le choc. «Des pierres ont été jetées dans ma maison. Nous avons inhalé beaucoup de gaz lacrymogène, alors que nous n’avons rien à voir avec cette histoire», dit-il, en montrant les vitres des fenêtres de sa demeure brisées.
Même s’il estime que les manifestations font partie de la marche démocratique d’un pays, ce vieil homme considère que le risque est de voir des personnes mal intentionnées se fondre dans la masse pour accomplir leur sale besogne. «Sinon, se plaint-il, comment expliquer que des manifestants dévalisent une boutique de prêt-à-porter ? Notre voisin, surpris par la foule, n’a pas eu le temps de ranger ses marchandises. Plusieurs de ses articles ont été volés. C’est déplorable.» Aujourd’hui, la plupart des magasins sur ces axes ont préféré ne pas ouvrir.
Psychose à la Cité Keur Gorgui
L’un des foyers les plus affectés, lors des manifestations de lundi dernier, Keur Gorgui, en plus d’abriter le domicile d’Ousmane Sonko, cité dans une affaire de viol, accueille également beaucoup de directions et d’agences de l’Etat. Le siège du Programme des domaines agricoles communautaires (Prodac) a été vandalisé, des voitures saccagées, des vitres cassées… Craignant de vivre la même chose, certains ont préféré garer leur véhicule loin de leur lieu de travail. «La direction a même décidé de garer les voitures avec macaron dans des zones sécurisées», confie un agent d’une direction. Au magasin Auchan, c’est toujours la psychose. Même si les responsables n’ont pas encore communiqué sur l’ampleur des dégâts, tout porte à croire que les dommages sont importants. «Ce qui est sûr, c’est que les pertes sont énormes. Il n’est pas prévu d’ouvrir cette semaine», souffle un travailleur sous le couvert de l’anonymat. Un calme apparent est revenu sans endormir la vigilance des riverains. Ces derniers affirment que les manifestations peuvent reprendre à tout moment.
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Les forces de sécurité quadrillent
De Sicap Liberté 6 à Sacré-Cœur, en passant par la Vdn, difficile de traverser un axe sans tomber sur un dispositif des forces de sécurité. Celles-ci ne tolèrent aucun rassemblement. Certains tabliers au rond-point Liberté 6 ont été sommés de quitter les lieux. A la Cité Keur Gorgui, les différents axes qui mènent au domicile d’Ousmane Sonko sont bloqués, au grand dam des marchands ambulants. Vendeur de journaux, Bocar va vivre une journée difficile. Il devait livrer des journaux à ses clients, mais a été sommé de rebrousser chemin. Selon lui, même les vendeurs de cartes de crédit et d’autres «débrouillards» ont été dégagés des lieux.
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APRES LE SACCAGE D’UN DE SES BUS
Dakar Dem Dikk suspend son réseau urbain
Comme il est de coutume lors des manifestations, Dakar Dem Dikk a encore payé un lourd tribut. Un bus de la Ligne 20 a été saccagé par des manifestants surexcités. Dans une note, l’entreprise annonce la suspension du réseau urbain jusqu’à nouvel ordre, tout en s’excusant des désagréments qu’une telle mesure pourrait causer. Un manque à gagner énorme et un impact réel sur le secteur du transport. Selon un des responsables, même l’achat de pièces détachées est soumis au Code des marchés. C’est pourquoi, dit-il, un véhicule caillassé peut rester immobilisé pendant une bonne période.