«Sans enquête, on n’a pas droit à la parole», écrivit le Président chinois Mao. Par voie de conséquence, les observateurs armés de probité intellectuelle restent avares en paroles ; parce que moins outillés que les gendarmes-enquêteurs. Une correcte prudence au-delà de laquelle cette affaire apparaît – pour emprunter le vocabulaire de la photographie – comme un révélateur.
En effet, le cocktail de mœurs et de politique installe tout pays à la croisée des chemins du sérieux et du sordide. D’où l’impérieuse nécessité pour les élites politiques du Sénégal de faire le choix consensuel de hisser notre pays vers les hauteurs ou alors de prendre l’option qui consiste à le rabaisser dans les bas-fonds. Autrement dit et de façon interrogative : veut-on arrimer la scène politique au firmament clair ou dans les marécages toujours boueux ?
Puisque c’est Ousmane Sonko qui tient le haut du pavé de l’actualité peu ragoûtante du week-end, faut-il lui rappeler (sans une once de haine mais avec un brin de pédagogie) que la politique demeure un métier hautement noble mais grandement infernal. À côté des idéaux sublimes, il y a l’effroyable arène des gladiateurs. Ces gladiateurs qui donnent des coups et encaissent des coups. Lui-même, Ousmane Sonko, a envoyé des crochets bien ajustés qui ont stoppé net l’essor politique et déraillé la carrière administrative de Mamour Diallo. Donc le Leader charismatique de Pasteef n’ignorait pas et n’ignorera jamais que les adversaires sont inlassablement aux aguets, prêts et prompts à lui administrer les rudes uppercuts qui l’enverront dans les cordes.
N’ayant pas les éléments d’informations me permettant d’avoir une opinion élaborée et valable sur cette sordide affaire de massage, je me contente de rappeler, aux uns et autres, les grandeurs et les misères de l’engagement politique. À ce propos, l’arbre des privilèges ne doit pas cacher la forêt des sacrifices. Pour marcher triomphalement sur un chemin truffé d’écueils, de récifs et de gouffres, l’homme politique ambitieux accepte d’emblée de vivre comme un moine trappiste c’est-à-dire enfermé dans une sorte de monastère familial (Madame et les enfants) qui le préserve de la ville et de ses tentations. En une formule-choc, disons qu’entre le Palais et le lupanar, l’acteur politique doit choisir, sans prendre le risque fatal de tricher. Surtout quand il est opposant.
Bien entendu, les hommes de tous bords ont leurs forces et leurs faiblesses difficiles à réguler. C’est pourquoi l’Histoire est ponctuée de faits retentissants. Y compris dans les pays où le catéchisme politico-moral est plus sévère et plus accablant pour toutes les personnalités de premier plan comme Ousmane Sonko. En 1899, le Président français Félix Faure a eu une mort heureuse dans les bras de sa maitresse (une certaine Marguerite) dans un canapé de l’Elysée.
En 1974, le Ministre de l’Intérieur du Bénin, le Capitaine Michel Ayipké est surpris dans le lit de Madame Béatrice Kérékou, épouse du Président Mathieu Kérékou. Il reçut une rafale de mitraillette. Pour boucler la stupéfiante boucle, rappelons que la même année (1974), le Cardinal Jean Daniélou est mort dans l’escalier de l’appartement numéro 4 de la dame Gilberte S…, une blonde travaillant dans un cabaret. Sans oublier les tourments de Madame Claude Pompidou qui avait pris en amitié le footballeur yougoslave Marcovic retrouvé mort dans un bac à poubelle. Le destin de George Pompidou a failli changer de trajectoire.
En définitive, cette affaire effarante renseigne, à la fois, sur le déficit de savoir-faire et l’amateurisme bien partagés. Car, en effet, c’est par une série de maladresses que Macky Sall et ses conseillers ont catapulté Ousmane Sonko (un fonctionnaire anonyme) sur orbite. Il est, aujourd’hui, chef de l’opposition et l’alternative en direction de la prochaine échéance. C’est aussi par une somme de maladresses (la fréquentation non coupable mais imprudente d’un salon de massage et l’obscure demande d’audience au Ministre Mansour Faye) que le Leader de Pasteef amorce progressivement sa dégringolade.
Au demeurant, la position politique subitement exceptionnelle et privilégiée du député arrivé troisième à la présidentielle de 2019 ne lui vaut pas que des amis, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Sénégal. On n’a pas besoin d’une épure ou d’être briefé pour savoir que l’élection d’un Ousmane Sankara ou d’un Thomas Sonko à la tête du Sénégal n’offrira pas une perspective rose à l’influence et aux intérêts de la France dans le Sahel et sa périphérie.
Certes, tous les coups sont permis ou tentés en politique : coups directs, coups obliques, coups fourrés, coups bas, coups de Jarnac etc. Toutefois, le politiquement correct veut que la majorité qui a glorieusement battu le géant Abdoulaye Wade par les urnes, en 2012, triomphe ultérieurement d’Ousmane Sonko, avec les bulletins de vote et non avec les « bine-bine » d’une fameuse masseuse qui n’a pas l’air d’une Sainte-Vierge.
Babacar Justin Ndiaye