Détectée pour la première au Sénégal à Pout, dans la région de Thiès, le 30 décembre dernier, la grippe aviaire H5N1 crée la psychose et bloque les activités de plusieurs poulaillers de Dakar.
Mamadou Ndiaye et son équipe sont aux abois. Assis devant la porte d’un poulailler sis à Tivaouane-Peulh, le groupe se tourne les pouces. Etalés sur une table devant eux, des poulets déjà abattus et emballés dans des sachets, semblent à l’agonie alors que les clients se font désirer. Chez Mamadou Ndiaye, tout est au ralenti. Les affaires ne marchent plus comme avant. Ce, depuis l’annonce de l’existence de la grippe aviaire H5N1 détectée pour la première fois au Sénégal à Pout, dans la région de Thiès (70 km de Dakar). Cette annonce qui a été faite le 30 décembre 2020 par l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et les autorités sénégalaises faisaient état de 100 000 pondeuses infectées dans une ferme privée. Pour l’heure, la maladie n’est pas déclarée dans aucun autre lieu et les prélèvements effectués dans les poulaillers environnants se sont avérés négatifs. Mais elle crée une psychose dans les fermes de Dakar et bloque toutes leurs activités. «La déclaration de cette maladie a entraîné des pertes considérables dans notre business. Les poulets qu’on devait écouler depuis décembre sont toujours dans nos fermes. Cela fait deux mois qu’ils sont là sans trouver d’acheteurs. On risque de les perdre parce qu’ils finiront par mourir naturellement», s’inquiète M. Ndiaye. Pour lui, cette situation est due au Covid-19 et à la grippe aviaire détectée récemment dans une ferme à Thiès. «Chaque jour, déplore-t-il, on dépense 30 000 FCfa pour les aliments, soient 900 000 FCfa le mois, alors qu’on peine toujours à écouler nos poulets de chair.»
«Ma production de novembre est toujours en cours»
Depuis l’annonce de la grippe aviaire au Sénégal, Mamadou ne trouve plus d’acheteurs. Ce qui l’oblige à donner un sacré coup de frein à son business depuis décembre 2020. «Je n’achète plus de poussins pour élever, parce que j’ai peur que la grippe nous affecte à l’avenir. J’ai presque cessé mes activités. J’avais acheté 5 000 poussins depuis novembre 2020 et c’est cette production qui est toujours en cours. Il me reste toujours 1 000 poulets à écouler. En temps normal, on vend nos poulets à 35 jours d’élevage et on ne rencontre aucune difficulté pour les écouler en quelques jours», confie-t-il. Avec cette situation, difficile pour les éleveurs de s’en sortir. «Tous les poulaillers sont actuellement vides. A cause de la grippe, les gens n’achètent plus les poulets qui finissent parfois par succomber de mort naturelle. Actuellement, certains éleveurs ont tout perdu et n’ont plus les moyens d’acheter des poussins ou des aliments. D’autres ne veulent plus prendre le risque d’élever des poussins à cause de la crise sanitaire et économique. Nous allons vers un manque de poulets de chair et d’œufs dans le pays», alerte M. Ndiaye. Il croit ainsi que la fermeture des frontières à cause du Covid-19 n’a aucun impact sur leurs activités dans la mesure où, le pays peut consommer ce qu’ils produisent en poulets et en œufs. «On est plus de 16 millions de Sénégalais, sans compter les étrangers. Si ce n’était pas la grippe aviaire, tout ce que nous produisons ces derniers jours serait vendu sans difficultés. Nous avons des espaces pour vendre nos poulets, mais c’est la grippe aviaire et le Covid-19 qui bloquent tout», souligne-t-il.
«On ne peut plus exporter de poulets dans la sous-région à cause de la fermeture des frontières»
Khadim Ngom est d’un autre avis. Pour cet éleveur, cette fermeture des frontières constitue un frein pour leur business. «On ne peut plus exporter de poulets dans la sous-région à cause de la fermeture des frontières provoquée par la crise sanitaire», déplore le propriétaire d’une ferme à Keur Momar Sarr Village. Aujourd’hui, toutes ses activités en berne. Depuis l’annonce de la grippe aviaire au Sénégal, il a arrêté la production de poulets de chair pour se concentrer sur son élevage de moutons et de bœufs. «Maintenant, je me concentre sur mes moutons et mes bœufs, le temps que la grippe disparaisse complètement du pays. Quand on est éleveur et qu’on entend qu’il y a l’apparition d’une maladie qui tue la volaille, la meilleure solution, c’est d’observer une pause. J’avais du mal à vendre mes 1 500 poulets. Certaines de mes bêtes sont mortes naturellement parce qu’elles avaient trop duré dans la ferme sans trouver de clients. Après le Covid-19, la grippe est venue chambouler notre business. On ne voit plus de clients», pleurniche-t-il. Selon lui, certains éleveurs qui ont fait des prêts à la banque ont fini par perdre leurs productions. «L’élevage de poulets de chair est risqué. En plus, les vendeurs d’aliments de bétails ne nous facilitent pas la tâche. Le sac qui coûtait 14 500 FCfa coûte maintenant 15 000 FCfa, alors que tout est fabriqué au Sénégal», dénonce Khadim.
A Sangalkam, la grippe aviaire n’impacte pas encore les poulaillers de la place. O. Fall est un gérant d’une ferme. Dans une grande case, il sert des aliments à des centaines de poulets. «La maladie n’a aucun impact sur nos activités. On continue d’élever et on écoule continuellement nos produits. Je ne pense pas que cette maladie puisse contaminer nos poulaillers puisqu’on a tout sur place. On a tout le matériel à notre disposition», se réjouit M. Fall. Chez Ibrahima Guèye, aussi gérant de poulailler, seule la hausse du prix de l’aliment de volaille constitue un handicap. Ici, le business tourne bien et Ibrahima Guèye se frotte encore les mains. «On ne déplore que la hausse du prix du sac d’aliment de volaille. À part ça, on ne rencontre aucune difficulté pour le moment. On continue nos activités, même si la grippe aviaire fait peur», confie-t-il.
DR AMADOU GUEYE, COORDONNATEUR DU COMITE TECHNIQUE INTER PROFESSION AVICOLE DU SENEGAL
(IPAS) : «Il n’y a pas de risque de contracter la maladie en consommant de la viande de poulet»
«Le foyer de Thiès a été maîtrisé. On a demandé à tous les aviculteurs du Sénégal d’être vigilants et de signaler tout fait qui ressemble à une grippe aviaire. A Dakar, on est dans la sensibilisation pour rassurer les gens. Il y a des risques tant qu’on n’est pas déclaré pays indemne. Les éleveurs qui hésitent peuvent reprendre leurs investissements pour éviter qu’il y ait un manque de poulets. Je tiens à préciser qu’il n’y a pas de risque de contracter la maladie en consommant de la viande de poulet. Les pays qui ont fermés leurs frontières sont dans leur droit. Le Sénégal en a fait de même avec tous les pays qui ont la grippe aviaire, depuis 2005.»
ABOUBACAR MBODJ, DIRECTEUR DU COMMERCE EXTERIEUR : «La fermeture des frontières avec le Mali, la Mauritanie la Gambie etc. n’aura pas de conséquence sur notre économie»
«Le Mali, la Gambie, la Mauritanie et le Burkina Faso ont notifié des mesures de restriction à cause de la grippe aviaire. Ce sont des réactions compréhensibles parce que, dans le cas d’espèces, les pays font usage des modules de précaution. Si on se fie aux chiffres que nous suivons par rapport à notre exportation sur ces marchés, cette fermeture n’aura pas de conséquence sur notre économie. Ces dernières années, les exportations étaient quasi nulles. A part le Mali, ce sont des pays avec lesquels nous n’avons pas des échanges commerciaux très soutenus. Et les plus grandes importations remontent aux années 2016 et 2017, où on a noté des exportations de l’ordre de plus de 60 millions de FCfa en moyenne. Mais depuis lors, on n’a pas connu des exportations significatives. Parfois, il n’y a même pas d’exportation. Tout cela pour vous dire que c’est une mesure qui ne posera pas de problèmes à notre filière. La production est absorbée par la consommation domestique.»