Fourrière, fourrière, fourrière… ! Pour beaucoup de Dakarois, cette « symphonie urbaine » évoque l’arrêt des autocars, non loin de l’Hôpital général Idrissa Pouye de Grand Yoff. La Fourrière municipale de Dakar, c’est bien plus que cela. Véhicules, animaux errants, panneaux publicitaires… y sont mis en fourrière.
Oumar FÉDIOR
Juste après la gendarmerie du Front de terre, un mur de clôture sans grand relief passe presque inaperçu. L’enseigne est cachée par des arbres un peu touffus. C’est pourtant sur ce lieu que se trouve la Fourrière municipale de Dakar ; le cimetière des épaves de voitures, de motos, des panneaux publicitaires, pousse-pousse de vendeurs de café…
À l’intérieur, c’est le calme plat. Yoro, le préposé à la sécurité, essaie de mettre un peu d’ordre sur ce qui peut l’être. Ici, le décor n’est pas commun. Les tacots se confondent aux rutilantes voitures ; des fauteuils en lambeaux, des résidus de motos, des morceaux de pneus occupent ce qui fait office de piste. La poussière, qui les recouvre, renseigne sur le temps de stationnement des véhicules. « Il y en a qui font plus de deux ans ici, avant que le propriétaire ne se signale ; d’autres sont là depuis longtemps », expose Yoro.
Chef du Service de la vie et du stationnement à la ville de Dakar, Sidi Sall, qui a sous sa responsabilité la fourrière, confie que dans ce site, on peut trouver tous les types de véhicule. La plupart, dit-il, viennent des opérations de désencombrement menées dans la capitale sénégalaise. « Pour lutter contre les occupations anarchiques de la voie publique, des opérations de désencombrement aboutissent, le plus souvent, à la mise en fourrière de beaucoup de véhicules qui étaient, par exemple, garés sur la chaussée pendant longtemps ou ceux dont la légalité n’est pas prouvée », explique-t-il.
Aucune opération de désencombrement d’envergure depuis 5 ans
Même si des opérations de désencombrement ont été menées ces dernières années, force est de reconnaître qu’elles ont été opérées à petite échelle et dans quelques localités bien déterminées de la capitale. Pour trouver les traces d’une opération de désencombrement d’envergure, il faut remonter à cinq ans. C’est ce que révèle Sidi Fall. À l’époque, soutient-il, « plus de 1600 véhicules ont été mis en fourrière, les 70% étaient des épaves ». En effet, selon lui, entre camions dédiés, pelles mécaniques, fourches…, l’opération de désencombrement nécessite une certaine logistique. C’est pourquoi, dit-il, pour mieux gérer la question du désengorgement, « il faut nous aider dans la logistique pour nous permettre de faire le travail au jour le jour ».
Entre 88 et 100 véhicules envoyés en fourrière par mois
Même si les interventions d’envergure sont très rares, notamment à cause des problèmes de logistique adéquate, grâce au contrôle de routine des agents de la circulation et quelques opérations de désengorgement, beaucoup de voitures sont envoyées en fourrière. Selon Sidi Sall, chef du Service de la vie et du stationnement de la ville de Dakar, entre 88 et 100 véhicules, en moyenne, sont envoyés en fourrière par mois. « Cela concerne les 19 communes de la ville de Dakar. La plupart de ces véhicules ont été trouvés entre la gare de Petersen, la grande mosquée de Dakar, l’Avenue Émile Badiane, Félix Éboué… Cependant, précise-t-il, sur les véhicules mis en fourrière, les 80% ressortent après paiement des amendes et autres taxes ».
Les recettes sont passées de 600 à 22 millions de FCfa
L’année dernière, selon Sidy Sall, les recettes collectées par la Fourrière municipale de Dakar tournaient autour de 22 millions de FCfa. Un montant faible comparé aux 600 millions de FCfa des années précédentes. Mais, pour le chef du Service de la vie et du stationnement à la mairie de Dakar, plusieurs raisons expliquent cette baisse drastique. « Il y a des années où les recettes atteignaient facilement 600 millions de FCfa voire plus. Mais il y a eu des changements importants qui ont occasionné cette baisse. Le plus important, c’est l’Acte 3 de la décentralisation. Depuis cette réforme, les municipalités gèrent, elles-mêmes, leurs opérations et encaissent les recettes », dit-il, un tantinet désolé. À l’en croire, la plupart d’entre elles n’ont même pas de fourrière. Ce qui ne les empêche pas, toutefois, de mener des opérations de ce type. « Elles nous sollicitent, dit-il, pour abriter les voitures à mettre en fourrière, mais quand il faut payer, ce sont les municipalités qui encaissent. C’est un gros manque à gagner pour la ville de Dakar ». D’ailleurs, il ne s’en cache pas, l’activité est au ralenti malgré le potentiel.
L’équation de la logistique
« Tout le monde a pu constater le niveau d’occupation anarchique. Mais, à cause d’un problème de logistique, nous ne pouvons pas effectuer des opérations régulières. C’est pourquoi, aujourd’hui, il est important que les collectivités locales unissent leurs forces pour mener des opérations d’envergure. C’est ce qui permettra d’avoir des résultats satisfaisants », plaide Sidi Sall.
Selon Samba Thiaw, directeur de la Fourrière municipale de Dakar, depuis quelques temps, la fourrière traverse des difficultés liées principalement à la logistique. « Rien que la fourchette et le plateau coûtent excessivement cher et la ville n’en dispose plus. Lors des dernières opérations, on a été obligé de les louer très cher chez un privé », révèle-t-il.
Les conditions d’une vente aux enchères
Aux difficultés liées à la logistique s’ajoute « le vide juridique » autour de la durée d’attente avant la vente aux enchères. « Le délai était d’un mois. Délai à partir duquel on pouvait les mettre en vente. Maintenant, on ne peut plus le faire. Il faut réviser les textes. Par exemple, si l’on organise une vente aux enchères pour des voitures qui ont été mises en fourrière par une autre collectivité, où vont les recettes ? Ce sont des questions urgentes qu’il faut régler », préconise Samba Thiaw, directeur de la Fourrière municipale de Dakar.
À la fourrière, on se croirait à l’état civil. Ici, tous les véhicules disposent d’un registre qui indique ses caractéristiques, sa date d’entrée à la fourrière…et les motifs. C’est Samba Thiaw qui s’occupe de cette paperasse. Dans son bureau, les papiers sont entassés. Les visiteurs arrivent au compte-gouttes. Si la plupart arrivent à récupérer leur véhicule après plusieurs tracasseries, certains restent longtemps sur place. « Il y a ce qu’on appelle la mainlevée. C’est le document qui est délivré quand la voiture doit sortir de la fourrière. Mais elle s’obtient au bout de plusieurs démarches. Il faut d’abord prouver l’existence de la voiture par une carte grise, identifier le propriétaire. Ensuite, il y a une amende à payer. Avant, cela se faisait à la Perception municipale, maintenant, chaque collectivité fixe son barème. C’est par la suite qu’on obtient la quittance, après la mainlevée qui donne l’autorisation au directeur de la Fourrière de laisser sortir la voiture », explique-t-il. Quid des autres véhicules dont les propriétaires sont introuvables ou qui ne sont pas en droit de circuler ? Selon M. Thiaw, d’après l’arrêté municipal régissant la fourrière, si le véhicule fait plus d’un mois et que le propriétaire ne se signale pas, elle peut être vendue aux enchères. Mais, précise-t-il, cette option est soumise à l’approbation du Conseil municipal et à la saisine du procureur de la République. « C’est après que la vente est organisée », assure-t-il.
Animaux errants et produits périssables, le « festin » des détenus
La fourrière, ce n’est pas que des véhicules motorisés. Entre charrettes, panneaux publicitaires, animaux errants, produits périssables saisis…, tout y est. Pour ce qui est de cette dernière catégorie et des animaux errants, un délai de huit jours est donné aux propriétaires pour se signaler, à compter de la date de mise en fourrière. Selon Samba Thiaw, passé ce délai, les produits périssables sont envoyés dans les maisons de détention. « Par exemple, la Police peut mener une opération sur une voie où se sont installés des vendeurs de manière anarchique. S’il s’agit de vendeurs de fruits ou des produits destinés à la consommation et qu’on ne peut pas garder longtemps, on les envoie directement dans les centres de détention pour la nourriture des détenus. Idem pour les animaux errants », renseigne le directeur de la Fourrière municipale de Dakar.
Les épaves, sites de reproduction des poissons
Si une bonne partie des véhicules et autres objets mis en fourrière sont récupérés, bien des épaves sont mises à la casse, à d’autres fins. Selon Sidy Sall, chef du Service de la vie et du stationnement à la mairie de Dakar, ces épaves sont très prisées par les acteurs de la pêche. « Nous avions d’ailleurs signé, avec la Fédération sénégalaise des pêches, une convention pour en faire des débris destinés aux lieux de reproduction des poissons. Je me rappelle qu’à l’époque, la quantité de poissons avait fortement augmenté en quelques années. Il suffisait, se rappelle-t-il, juste de désinfecter les épaves pour les débarrasser de tout ce qui peut polluer la mer ».
Les motifs de la mise en fourrière d’un véhicule
Selon le Lieutenant de police El Hadji Malick Niang, commandant de la Compagnie de circulation, la mise en fourrière obéit à un certain nombre de textes. En effet, dit-il, elle est prescrite par l’officier de police judiciaire territorialement compétent et les agents assermentés de l’administration chargée des transports. Cela intervient lorsque la cessation de la situation ayant provoqué l’immobilisation du véhicule n’est pas intervenue dans un délai de quatre jours à compter de la constatation de la situation, lors d’un stationnement sans motif valable d’un véhicule à proximité d’une intersection de routes du sommet d’une côte ou dans un virage. Il en est de même lorsque la visibilité est insuffisante, quand le conducteur est absent et refuse, sur injonction des agents de l’autorité, de faire cesser le stationnement irrégulier. Le défaut de soumission à une visite technique, l’abandon d’une voiture sur la voie publique pendant au moins 20 jours si le propriétaire est absent ou ne peut être joint, sont également des motifs valables pour une mise en fourrière.