Les lanceurs d’alerte et membres de la société civile semblent bien être dans le viseur des autorités. En une semaine, deux d’entre eux ont été écroués, pour avoir dénoncé des faits de corruption supposés d’agents des services publics.
Est-il devenu illégal de dénoncer la corruption au Sénégal ? Lorsqu’elle implique des agents du gouvernement, cela peut mener en prison. En une semaine, deux défenseurs des droits humains ont été arrêtés par les forces de sécurité. Ceci, suite à des déclarations dénonçant des faits présumés de corruption impliquant potentiellement des agents des services publics.
Un ‘’recul démocratique’’ dénoncé par plusieurs membres de la société civile sénégalaise. En même temps, des études menées sur la question confirment les dénonciations faites par les mis en cause, les agents des services publics étant identifiés parmi les plus grands corrompus du Sénégal.
Dans différents secteurs économiques, les lanceurs d’alerte semblent être les nouvelles cibles. Mercredi dernier, c’est le coordonnateur du Forum civil, section sénégalaise de Transparency International, à Podor qui a été arrêté par la gendarmerie et transféré hier à Saint-Louis. Il serait reproché à Samba Tall un post sur son compte Facebook dénonçant la corruption de certains agents. Sur son mur, on pouvait lire : ‘’Coronavirus, pauvreté et corruption. Nous ne pouvons cumuler tous ces maux chez nous. On peut même considérer les deux premiers comme étant ‘naturels’, mais la CORRUPTION. Là, je dis NON. Et je sais que beaucoup me diront NON aussi. Envoyés à Podor pour servir la population podoroise, certains chefs de service sont à Podor pour s’enrichir sur le dos de la population.’’
Son arrestation a provoqué un ensemble de protestations dans les rues de la ville du nord du Sénégal. Des élèves du lycée El Hadj Baaba Ndiongue ont organisé un mouvement d’humeur pour exiger la libération de leur professeur, en même temps président du Conseil communal de la jeunesse. Sur les réseaux sociaux, le coordonnateur national du Forum civil a crié à l’intimidation de son collègue. Birahim Seck d’avertir : ‘’Podor, si vous pensez intimider les membres du Forum civil dans la lutte contre la corruption, c’est mal les connaître. Nous invitons le préfet de Podor à s’occuper plutôt du cas ‘Fall développement communautaire’’’. Plus tard dans la journée, il a été libéré sur convocation le jeudi prochain.
Bien avant cette dénonciation, une étude sur la perception et le coût de la corruption au Sénégal a été effectuée, sur la demande de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), avec le concours du Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud). Déroulée du 25 mai au 20 juillet 2016, elle renseignait déjà sur le niveau de corruption au Sénégal.
‘’Les fonctionnaires, les plus prompts à céder à la corruption…’’
Les résultats présentés dans un rapport révèlent un constat général d’une bonne présence de la corruption dans l’univers des Sénégalais : ‘’95,3 % dans le grand public et 61,7 % chez les professionnels attestent la présence de la corruption dans leur environnement immédiat.’’
Dans le détail, l’étude montre que ‘’le secteur public est perçu comme celui où les cas de corruption sont les plus nombreux (93 %). Les sous-secteurs du public les plus touchés sont la sécurité publique, constituée de la police et de la gendarmerie (95,9 %), de la santé (29,2 %) et de l’éducation (26,1 %). Parmi les composantes de la société perçues comme initiant le plus la corruption, les fonctionnaires (61,5 %) sont vus, dans le grand public, comme les plus prompts à céder à la corruption. Chez les professionnels, ce sont les personnes qui ont des fonctions touchant aux finances et au management qui sont perçues comme les plus exposées à la corruption. Il s’agit notamment des agents financiers et comptables, des agents de contrôle, des directeurs et des superviseurs’’.
Samba Tall n’est pas le seul militant du Forum civil à avoir été convoqué, depuis le début de l’année, par les forces de sécurité. Le 4 janvier, Moudjibou Rahamane Baldé avait alerté sur le trafic de bois à Kolda, en postant : ‘’C’est la énième fois que l’Observatoire sur le territoire (Oster) de Coumbacara saisit et interpelle les eaux et forêts. Mais le phénomène d’exploitation illégale continue avec de nouvelles méthodes de surexploitation. Aujourd’hui, des veines, des dimbs et 18 longuets verts sont abattus dans une forêt classée par un exploitant identifié en violation de toutes les réglementations. La commune doit exiger au service des eaux et forêts les sites exploités, la liste des exploitants ; les eaux et forêts doivent suivre les recommandations du sous-préfet de travailler dans la transparence avec l’Oster ; il faut l’arrêt immédiat de l’exploitant ; mettre fin à l’octroi de tout quota dans la commune ; que la mobilisation de l’Oster continue.’’
Arrestation humiliante du président d’Horizon sans Frontières
Cette fois-ci, la gendarmerie de Kolda a eu une attitude admirable. Son audition a permis de mettre la main sur un stock illégal de 42 billons de bois par la gendarmerie, entre les villages de Maréwé Demba et Dialacoumby. Le Forum civil s’en est félicité tout en réaffirmant, à travers l’Observatoire des territoires (Oster) sa disponibilité à collaborer avec la gendarmerie pour signaler tout dépôt illégal de bois à Kolda.
Ce scénario, Boubacar Sèye se l’imaginait sûrement, lorsqu’il évoquait les fonds déboursés par l’Union européenne pour lutter contre l’émigration irrégulière au Sénégal. Les déclarations du président de l’ONG Horizon sans frontières lui ont valu un mandat de dépôt, après une arrestation humiliante à l’aéroport de Diass.
Une attitude des autorités fortement dénoncée par les organisations de la société civile et la diaspora sénégalaise. Ces organisations ne cessent de dénoncer des reculs démocratiques du Sénégal, depuis plusieurs années.
La lutte contre la corruption reste-t-elle une priorité du régime en place ? En tout cas, avant d’accéder au pouvoir, le président de la République avait beaucoup fait campagne sur cette question. Malgré la réactivation de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) et la création de l’Ofnac, les Sénégalais sont peu satisfaits des résultats obtenus jusqu’ici.
Selon l’étude sur la perception et le coût de la corruption au Sénégal, effectuée sur la demande de l’Ofnac, seuls 34 % se disent satisfaits des actions menées par le gouvernement contre ce fléau.
Lamine Diouf