En 14 jours d’état d’urgence et de couvre-feu, le Sénégal a enregistré 108 décès dont 10 pour le seul point d’hier, 3 428 cas de plus, un taux de positivité qui ne s’améliore guère. Malgré le tollé suscité et les chiffres extraordinaires, il faut noter qu’au dernier bilan publié le 17 janvier, seuls 388 cas étaient dans les CTE. Près de 3 000 ont des formes bénignes et ‘’suivis’’ à domicile.
L’échec est patent. Mais le gouvernement ne capitule pas. Il tient vaille que vaille à mettre en œuvre des mesures qui ont pourtant montré leurs limites. En attestent les chiffres effarants de la situation du jour. Le 5 janvier, jour de la proclamation de l’état d’urgence et du premier couvre-feu, le bilan faisait état de : 19 964 cas de Covid-19, dont 17 690 guéris ; 428 décès ; 1 845 sous traitement. A l’époque, sur 1 329 tests effectués, 161 étaient revenus positifs : 45 cas contacts, 116 cas communautaires. Il était aussi relevé 35 cas graves et 4 décès.
Malgré l’état d’urgence, malgré le couvre-feu, malgré toutes les mesures qui ont été édictées, le virus continue de progresser à vive allure, de semer malades et morts partout où il passe. Après 14 jours de couvre-feu, le Sénégal compte encore ses morts qui ne cessent d’augmenter.
Si, avant le couvre-feu, le 5 janvier, il était dénombré 4 décès, dans le point d’hier, il a été relevé 10 décès, 11 dans celui de la veille. Dans le même temps, le constat faisait état de 23 392 cas dont 19 531 guéris (soit 3 428 cas de plus en 14 jours de couvre-feu), 536 décès (108 décès durant le couvre-feu), 3 324 sous traitement.
Autre indicateur assez significatif : c’est le taux de positivité qui continue de caracoler au-dessus des 10 %. Selon les chiffres communiqués par le ministère de la Santé et de l’Action sociale dans son point journalier, du 6 janvier au jour d’hier, le taux de positivité n’est descendu en deçà des 10 % qu’une seule fois, et c’était pour reprendre son envol dès le jour d’après. De 12,11 % le 5 janvier, ce taux est passé, dans l’ordre, à 12,47 % le 6 janvier ; 12,39 % le 7 janvier ; 13,04 % le 8 janvier ; 12 84 % le 9 janvier ; 13,76 % le 10 janvier ; 14,95 % le 11 janvier ; 14,31 % le 12 janvier ; 11,59 % le 13 janvier ; 16,05 % le 14 janvier ; 9,54 % le 15 janvier ; 13,53 % le 16 janvier ; 12,95 % le 17 janvier ; 10,38 % le 18 janvier ; 11,64 % le 19 janvier.
Cette situation était pourtant bien prévisible, malgré l’entêtement d’un gouvernement décidé à se battre, nonobstant ses moyens manifestement limités.
Les observateurs peuvent s’accorder, en effet, sur le fait qu’il serait difficile, pour le gouvernement sénégalais, de faire mieux que lors du premier état d’urgence en mars 2020. Avec la peur de la maladie inconnue, l’appui des religieux et le consentement de la plupart des forces vives de la nation, il avait pu imposer une restriction sévère dans les transports en commun, les marchés et autres lieux de commerce, même dans les lieux de culte que d’aucuns estimaient intouchables. Il en était de même des écoles et universités qui avaient été vidées de leurs élèves et étudiants. Ce qui avait marché comme sur des roulettes les premières semaines (de mars à mai, voire même juin), avant l’exaspération des populations qui n’en pouvaient plus d’être enfermées.
Mais même là, malgré leur sévérité et la coopération d’une bonne partie de la population, l’efficacité des mesures était contestée. Et les chiffres démontraient, là également, la limite des mesures restrictives sénégalaises. Exemple ne saurait être plus éloquent que le nombre de personnes contaminées et de décès qui était respectivement de 79 et 0, quand le président de la République proclamait le premier état d’urgence sévère ; et qui est passé à 1 886 cas et 19 décès en août, quand presque toutes les mesures étaient levées.
Pour beaucoup, c’était la capitulation face à un ‘’ennemi’’ qui ne semblait nullement être ébranlé par la série de mesures. Comme par magie, c’est à partir de ce moment que les cas avaient commencé à baisser à nouveau. Jusqu’à l’arrivée des vaccins très controversés à l’échelle internationale. Le gouvernement remet l’accélérateur dans la restriction de certaines libertés des populations, notamment en faisant revenir le couvre-feu la nuit, à partir de 21 h.
La question légitime que se pose nombre de Sénégalais, c’est à quoi sert une telle mesure qui empêche, totalement ou partiellement, des milliers de Sénégalais de mener leurs activités professionnelles ? Pendant ce temps, les niches de propagation de la Covid-19 continuent de foisonner partout à travers le pays. Dans les transports en commun, les lieux de commerce, les lieux de culte, partout, les Sénégalais continuent de faire comme si de rien n’était.
Refusant catégoriquement de constater son impuissance quant à la mise en œuvre de certaines mesures, le gouvernement continue avec ses coups d’épée dans l’eau. Comme pour donner l’illusion de faire face, contre un ‘’ennemi’’ nettement supérieur.
Malgré le tollé provoqué, le nombre de cas de plus en plus galopant, la létalité de cette maladie, en Afrique, reste toujours à des proportions très loin des analyses les plus pessimistes de départ. Le Sénégal, à l’instar de tous les pays de l’Afrique de l’Ouest – qui font beaucoup moins de bruit – est relativement épargné avec un taux de létalité qui se situe autour des 2 %. Alors que la maladie circule depuis mars 2019, le pays en était, selon un bilan établi le 17 janvier, à seulement 388 cas qui ont nécessité une hospitalisation au niveau des centres de traitement épidémiologique. Sur les 3 288 testés positifs ce jour-là, 2 960 étaient en effet ‘’suivis’’ à domicile, c’est-à-dire ont des formes bénignes de Covid-19. Parmi ces derniers, il y en a même qui n’ont pas besoin de traitements et doivent simplement bénéficier de conseils des soignants.
Par ailleurs, quoique très peu efficaces, les mesures restrictives, particulièrement le couvre-feu, ont un impact direct sur l’activité de la plus grande partie de la population active, obligée de fermer boutique dès les coups de 18 h, moment où les marchés et autres commerces étaient bondés de monde. A côté, il y a ces milliers de travailleurs de nuit qui, du jour au lendemain, au moyen d’un simple arrêté d’une autorité administrative, se retrouvent au chômage, sans aucun appui du gouvernement déjà éprouvé par le premier plan de résilience économique et social.
Dans notre édition du 17 décembre déjà, ‘’EnQuête’’ ouvrait une large fenêtre sur les ravages des mesures restrictives sur le business des artistes. Ngoné Ndour expliquait : ‘’Tout le monde sait que la plus grande partie des perceptions de la Sodav vient du spectacle. Et quand les salles sont fermées, il n’y a pas de perception…’’ Et comme pour illustrer l’impact direct sur les artistes, elle disait : ‘’Des gens qui pouvaient percevoir, grâce à ces perceptions, 2 millions F CFA, peuvent se retrouver avec une somme comprise entre 100 000 et 200 000 F.’’ A l’époque déjà, le président de l’Association des métiers de la musique faisait état de 100 milliards de pertes pour le secteur culturel, selon les évaluations.
Les transports en commun, les commerçants, les restaurateurs, les barmans, tous pourraient en dire autant, même s’il est difficile d’en évaluer les impacts financiers. Encore que l’observation du taux de positivité laisse perplexe quant à l’efficacité des mesures prises par l’Etat.
Toutefois, force est de constater que les termes de l’alternative sont loin d’être simples pour le gouvernement. Il s’agit, d’une part, de passer à la vitesse supérieure comme en Europe, pour espérer des résultats mitigés ou de faire comme ses voisins ouest-africains qui ne s’encombrent guère de trop de restrictions, dans la lutte contre la Covid-19.
MOR AMAR