Les rivalités entre prétendants virent généralement au pire. Si elles ne sont pas soldées par des Coups et blessures volontaires, elles sont souvent ponctuées par des meurtres. Retour sur un phénomène qui est en train de prendre des proportions inquiétantes dans la région de Louga.
Debout sur son mètre quatre-vingt-dix centimètres (1,90m), Aliou Fall*, travailleur saisonnier, est figé devant la barre du Tribunal d’instance de Louga. Il fixe un regard hagard sur le juge qui vient de prononcer le délibéré de l’affaire de Cvb (Coups et blessures volontaires) ayant entraîné une Incapacité temporaire de travail de 06 jours qui l’oppose au prévenu, M. Sall*, déclaré coupable et condamné à un mois ferme en sus d’une amende de 50 000 FCfa.
Jugeant la peine clémente, Aliou Fall, faisant fi des risques encourus, refuse de quitter la salle d’audience. Le visage en feu, il marmonne à voix basse quelques mots avant de vider les lieux. Son protagoniste avait déjà, quant à lui, rejoint le box des accusés, le sourire aux lèvres, heureux de savoir qu’il va incessamment recouvrer la liberté et… les bras de sa douce qu’il a réussi à arracher des bras de son rival, Aliou Fall, alors qu’il s’apprêtait à célébrer leur mariage. En effet, non contente d’avoir mis un terme à ce projet de mariage, après avoir pressé comme une orange Aliou Fall qui la couvrait de cadeaux, la jeune dame a eu le toupet de «prêter» à son nouveau prétendant, M. Sall, le téléphone portable que son ex lui avait offert.
Malheureusement pour elle, elle a oublié d’enlever sa puce. Cette «erreur» fatale sera lourde de conséquences. Ainsi, voulant appeler la jeune femme pour récupérer le téléphone portable qu’il lui avait offerte en cadeau, Aliou Fall est tombé est sur son «rival». N’en croyant pas à ses oreilles, celui-ci, se sentant poignardé dans le dos une deuxième fois, est subitement entré dans une colère noire. Bouillant de rage, la bave à la bouche, il a sommé son interlocuteur de lui remettre séance tenante le téléphone portable. D’un ton ironique, ce dernier lui demande de ne plus l’appeler. «Je ne te connais pas. Tu ne m’as jamais donné de téléphone», crache-t-il avant de raccrocher au nez son vis-à-vis. Ce dernier, très remonté contre l’attitude de son «rival», a décidé de laver l’affront. La minute d’après, il a pris sa charrette et a filé tout droit vers le village de son protagoniste pour récupérer le téléphone en question.
Lorsqu’il a franchi le seuil de la maison de son rival, celui-ci lui intime l’ordre de vider les lieux. Le saisonnier qui a refusé d’obtempérer, sera roué de coups de bâtons. Il n’a dû son salut qu’à la prompte intervention de la personne qui l’accompagnait. Grièvement blessé, il a porté plainte contre son bourreau, lequel a été arrêté et condamné à un mois ferme. Cette affaire passionnelle qui a failli virer au drame n’est pas un cas isolé à Louga. Entre 2018 et 2020, six affaires de crimes passionnels ont été vidées par la Chambre criminelle contre une dizaine, voire plus d’affaires de Cbv entre 2019 et fin 2020 jugées par le Tribunal des flagrants délits. Ces chiffres, loin d’être exhaustifs, renseignent à suffisance sur la qualité des relations opposant des prétendants qui sont souvent prêts à en découdre pour les beaux yeux d’une femme.
«J’ai failli tuer le cousin de ma femme le jour où je l’ai surpris chez moi en train de la courtiser»
Abdoulaye D., la quarantaine, chauffeur de son état, domicilié dans le département de Linguère, a vécu dans le passé ces rivalités entre prétendants. Rencontré devant le jardin du tribunal de Louga, ce polygame à deux épouses et père de sept enfants évoque ce douloureux épisode qui a failli gâcher sa vie. «Une nuit de retour de voyage, j’ai croisé dans la cour de ma maison un homme qui tentait de prendre la fuite. Je l’avais pris pour un voleur, mais en réalité, j’avais en face de moi le cousin de ma deuxième femme. Ce dernier la courtisait depuis sa tendre enfance, mais elle m’avait choisi. Raison pour laquelle, j’ai perdu le contrôle lorsque je l’ai attrapé et lui ai administré trois coups de machette. Il est tombé à terre, gisant dans une mare de sang. Il a été évacué à l’hôpital et s’en est sorti avec des blessures attestées par un certificat médical.» L’affaire est portée à la barre et Abdoulaye s’en est tiré avec une condamnation à 6 mois ferme. «A la barre, il avait déclaré qu’il s’était rendu dans ma maison pour m’emprunter de l’argent. Ce qui était faux et j’ai réussi à prouver qu’il courtisait en réalité ma femme. C’est cela qui a allégé ma peine. Je suis chanceux, dans la mesure où il a été sauvé in extrémis. Il pouvait mourir, ce qui aurait compliqué mon cas. Vraiment, j’en ai souffert dans ma chair.» Abdoulaye peut remercier sa bonne étoile. Il a été plus chanceux que son cousin qui, lui, a été condamné à 10 ans de réclusion pour avoir tué son rival. Les deux hommes qui se disputaient une ravissante jeune fille, entretenaient des relations très exécrables. Pour solder leurs comptes en homme, ils se sont retrouvés dans la brousse. Abdoulaye Ndiaye : «Ils en sont venus aux mains et les coups pleuvaient de partout. Mon cousin a pris le dessus sur lui avant de le découper en morceaux.» Marquant une courte pause, il poursuit : «Comme l’avait plaidé mon avocat, celui qui veut vivre longtemps ne doit pas s’approcher de la femme d’autrui. On peut tout partager sauf la femme. Un de ses amis habitant la commune de Boulal, est lui aussi actuellement en détention préventive à la prison de Louga. Soupçonnant un jeune du coin de courtiser sa femme, il a décidé de lui régler son compte. Aveuglé par la vengeance, il a confondu «son rival» avec son jeune frère utérin. Le pauvre garçon qui n’avait rien à voir avec cette affaire de sexe, a été sauvagement tué, alors qu’il cherchait de l’eau au forage du village.»
«Le jour où nos rivaux ont essayé de nous brûler vifs»
Un triste sort auquel ont échappé B.S et sa bande de copains. Enseignant en service dans un Centre de formation professionnelle, ayant pignon sur rue à Louga, B.S. n’est pas du tout prêt à oublier la nuit mouvementée qu’il a passée en juillet 2019, dans son village d’origine en compagnie de ses deux amis. Fermant les yeux comme pour chasser de son imagination les mauvaises images qui continuent toujours de se bousculer dans sa tête, cet homme de teint clair, ouvre son album de souvenir où cette histoire invraisemblable est inscrite en lettres noires : «Cette nuit-là, mes deux amis et moi avions quitté la ville de Thiès pour prendre part à une cérémonie familiale qui se tenait dans notre village. Nous nous étions retirés dans une chambre en compagnie de trois jeunes filles. Alors que nous discutions autour du thé, nous avons entendu des voix masculines derrière la case. Subitement, nous nous sommes tus pour mieux les écouter, parce que nous savions tous que les jeunes du village n’appréciaient pas le fait que des «gens de la ville» leur chipent leurs petites amies. Ils voulaient incendier la case et nous brûler vifs. Sentant le danger, nous avons détalé comme des lièvres pour sauver nos peaux. L’histoire avait fait le tour du village. Très critiqués par les vieux, ils prétextaient qu’ils voulaient nous faire peur, mais nous nous étions sentis persécutés, persuadés qu’ils étaient dans les dispositions de mettre à exécution leur menace.» M. Diagne, éleveur de son état, domicilié dans l’arrondissement de Keur Momar Sarr, a lui aussi failli passer de vie à trépas à cause d’une rivalité avec son antagoniste. Courtisant une divorcée au même titre que son rival, il a échappé de justesse à la mort, pendant qu’il était en galante compagnie avec sa petite amie. Il se rappelle avec amertume : «Alors que j’étais couché sur le lit attendant ma petite amie qui s’affairait autour du dîner arrive, une arme a subitement transpercé la clôture de la case et m’a frôlé le bras. Si j’étais en position assise, le coup m’aurait tué sur le coup. J’ai crié de toutes mes forces. Mon rival pensant que j’ai été atteint, a pris la fuite en laissant l’arme sur place. La dame voulait que je porte plainte contre mon rival, parce que ses amis ont confirmé que l’arme lui appartenait, mais finalement, j’ai laissé tout tomber parce que je n’ai pas voulu gêner la famille de ma bien-aimée.»
«La rivalité entre prétendants peut constituer une saine émulation»
Cependant, pour l’enseignant B.S, la rivalité entre prétendants peutconstituer une saine émulation pour les rivaux. Il s’explique : «Quand des prétendants se bousculent devant la porte d’une jeune fille, chacun parmi eux, est dans l’obligation de se battre pour entrer dans les bonnes grâces de la conquête. De ce fait, ils sont tenus de travailler dur pour réaliser ce pari ou bien de se comporter en homme responsable et exempt de reproches. Cependant, si ces derniers en arrivent jusqu’à se battre avec des armes, cela veut dire qu’ils n’inspirent plus confiance. Généralement, dans pareilles situations, les prétendants sont souvent soutenus par leur proche afin qu’ils puissent mettre les chances de leur côté. La violence ne doit pas avoir sa place dans cette rivalité qui est ancrée dans certaines cultures.» S’il le dit !