Résultats dits « falsifiés », armée réquisitionnée, coupures d’internet… C’est dans ce contexte que la commission électorale s’apprête à déclarer Alpha Condé, vainqueur du scrutin du 18 octobre en Guinée. Pendant ce temps, les manifestations sanglantes ne cessent de s’intensifier dans le pays.
Convaincu d’avoir remporté « au premier tour » du scrutin présidentiel du 18 octobre dernier, le camp de Cellou Dalein Diallo affirme être déterminé à ne se laisser voler la « victoire », à un moment où les résultats partiels, proclamés par la Commission électorale donnent déjà la majorité au président sortant Alpha Condé qui brigue un troisième mandat.
Au cours d’une visioconférence de presse animée jeudi 22 octobre, le staff du candidat de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et de l’Alliance Nationale Pour l’Alternance et la Démocratie (ANAD), composée de plusieurs partis et mouvements, ont annoncé avoir remporté la présidentielle en Guinée avec environ 53% des suffrages exprimés. Un résultat obtenu sur la base de la compilation de 12 744 PV de bureaux de vote sur les quelques 15 000 prévus pour cette élection.
Pour l’occasion, l’UFDG affirme avoir déployé plus de 32 000 délégués sur toute l’étendue du territoire et investi dans du matériel électronique de dernière génération, en plus d’un système de sécurisation de la compilation des votes s’articulant autour de trois piliers lui permettant de détenir « les preuves tangibles » de sa victoire à la présidentielle.
Il s’agit notamment d’un système de SMS mis à la disposition des délégués, de tablettes équipées d’application androïd qui ont servi à prendre en photo les PV après le décompte dans les différents bureaux de vote, puis à les acheminer vers des serveurs hors de la Guinée. Et enfin, d’un call center pour maintenir la liaison constante entre les délégués et le QG de campagne.
D’après l’équipe de Cellou Dalein Diallo, ce système de sécurisation a été mis en place en vue d’assurer « la transparence » du scrutin, dans la mesure la Commission électorale n’avait pas prévu de remettre de copies des PV des bureaux de votes aux délégués des candidats, comme cela se ferait normalement dans tout scrutin qui se veut transparent et démocratique.
D’ailleurs, saisie par des candidats de l’opposition, la Cour Constitutionnelle de Guinée, dans une ordonnance rendue à la veille du scrutin du 18 octobre, a ordonné à la Commission électorale de prendre toutes les mesures pour remettre à chaque représentant de candidats une photocopie lisible du procès-verbal de dépouillement des résultats provisoires conformément à l’esprit de l’article 85 alinéa 4 du code électoral. Une décision qui arrivera malheureusement trop tard.
« Fraudes massives »
Au terme des résultats proclamés par la Commission électorale jeudi 22 octobre, le président sortant, candidat du RPG Arc-en-ciel, arrive en tête des suffrages avec 2,4 millions de voix sur 37 des 38 districts électoraux comptés. Quant à son principal adversaire, Cellou Dalein Diallo, il ne lui est attribué que 1,26 million de voix.
Ce scrutin constitue la troisième confrontation électorale entre les deux hommes après celles de 2010 et 2015.
Pour Nadia Nahman, la directrice de cabinet de Cellou Dalein Diallo, il s’agit là d’une « falsification massive » des véritables résultats de l’élection présidentielle en Guinée. L’UFDG soutenant par ailleurs l’existence de nombreux cas d’inversion de résultats, ou encore de gonflements considérables de taux de participation.
Sur la question, le cas de la commune de Faranah est particulièrement édifiant avec des résultats affichant un taux de participation de 100,14%. Une situation d’ailleurs relevée par des organisations de la société civile dont les estimations oscillent entre 66% et 90% pour cette commune.
Des résultats qui ont de quoi alimenter la suspicion, même si la commission électorale tente de minimiser les choses en parlant d’« erreur de frappe » en ce qui concerne les circonscriptions affichant un décompte où il y a plus de votants que d’électeurs inscrits.
Jeudi, deux responsables de la Commission électorale, Marie Hélène Sylla et Diogo Baldé, respectivement directrice du département démembrements et directeur adjoint du département opérations, ont rendu leur démission. Ceux-ci dénonçant « de graves anomalies constatées dans la procédure de totalisation des résultats du scrutin du 18/10/2020 ».
Crise post-électorale
Alors que la Commission électorale se prépare à déclarer, dans les heures qui suivent, le président sortant, Alpha Condé, vainqueur du scrutin du 18 octobre, la Guinée glisse doucement vers une crise post-électorale dont les conséquences pourraient être graves.
Pendant que les violences s’intensifient dans le pays depuis le début de la semaine avec déjà plus d’une dizaine de morts dont plusieurs tués par balles, ainsi que de nombreux blessés, le gouvernement a réquisitionné l’armée pour le « maintien d’ordre ». L’internet connait par ailleurs des perturbations dans le pays depuis la soirée du jeudi. Le tout, face à une CEDEAO passive.
Pour sa part, le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), qui a déjà perdu deux de ses coordinateurs, tués par balles ces derniers jours, a appelé à « des manifestations dans tout le pays à partir de lundi jusqu’au départ d’Alpha Condé ».
Cellou Dalein Diallo qui s’est autoproclamé lundi vainqueur du scrutin, est quant à lui confiné à sa résidence depuis le 21 octobre, encerclé par un dispositif des forces de sécurités. Une situation que le ministre de la justice, Me Mory Doumbouya, qualifie « de mesures de sûreté dans l’intérêt même de ce candidat et dans l’intérêt de la République ».
Le candidat de l’UFDG et de l’ANAD soutient également que son QG a été investi par les forces de sécurité qui « ont défoncé le portail et forcé les portes d’accès aux bureaux ».
Du côté des partisans de Cellou Dalein Diallo, on se dit déterminés. « Le peuple de Guinée va infliger une humiliation suprême à Alpha Condé », soutient Nadia Nahman. Ajoutant que « les Guinéens sont très déçus de la CEDEAO et de l’Union africaine. Le peuple a très bien compris qu’il ne peut compter que sur lui-même et qu’il lui faut prendre les choses en main ».
Borgia Kobri