Alors que l’Afrique a émis 9,6 milliards $ d’obligations vertes, le rapport souligne la nécessité de recourir à des solutions de la « finance mixte » combinant des financements concessionnels, un soutien technique et des garanties pour débloquer le potentiel de ce marché sur le continent.
Les émissions d’obligations vertes en Afrique ont atteint un montant cumulé de 9,6 milliards de dollars, mais l’énorme potentiel de ce segment du marché de la dette dédié au financement des projets « verts » demeure largement inexploité sur le continent, selon un rapport publié le 21 mars 2025 par FSD Africa (Financial Sector Deepening Africa), une agence de développement financée par le gouvernement britannique.
Intitulé « Impact of Green Bonds in Africa », le rapport rappelle que les premières obligations vertes en Afrique verte ont été émises en 2013 par la Banque africaine de développement (BAD). Depuis, le marché africain de ce type de titres de dette destiné à financer les projets environnementaux, les énergies propres, les transports en commun à faibles émissions et d’autres projets sobres en carbone s’est développé pour atteindre 76 émissions réalisées par 40 entités, y compris des institutions financières multilatérales, des gouvernements et des sociétés (banques et entreprises). Ces émissions restent cependant très concentrées, l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Maroc, l’Egypte et la BAD accaparant 91 % du total des opérations répertoriées.
Actuellement, l’Afrique représente moins de 1 % du nombre des émissions mondiales de « Green bonds » et seulement 0,3 % de la valeur totale des fonds mobilisés grâce à ces émissions.
Durant la dernière décennie, les émissions d’obligations vertes sur le continent ont augmenté à un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 20 %, un rythme beaucoup plus lent que ceux de l’Asie-Pacifique et de l’Amérique latine, où les émissions ont enregistré des progressions respectives de 70 % et 43 % au cours de la même période.
Les types d’émetteurs sur le marché africain des obligations vertes évoluent et se distinguent des autres régions telles que l’Europe et l’Amérique latine. Dans un premier temps, les émetteurs souverains et les institutions multilatérales ont donné le coup d’envoi du marché des obligations vertes sur le continent, et ont été à l’origine de la quasi-totalité des opérations durant les cinq années qui ont suivi la première émission de la BAD. Une fois que ce type de titres de dette a fait ses preuves, les entreprises et les banques ont fait des incursions remarquables sur le marché, à tel point qu’elles ont représenté plus de 60 % de la valeur totale des émissions au cours des cinq dernières années.
A l’échelle continentale, les obligations vertes financent principalement des projets à objectif mixte (atténuation du changement climatique et adaptation à ses conséquences) et des projets d’atténuation. Au cours de la dernière décennie, les projets incluant à la fois des mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique ont représenté environ 63 % de la valeur totale des émissions, contre 30% pour des projets portant uniquement sur l’atténuation des effets du changement climatique.
Un processus d’émission coûteux
Le rapport souligne d’autre part que les projets financés par des obligations vertes ont eu des effets bénéfiques avérés sur l’environnement en Afrique. Par exemple, le portefeuille d’obligations vertes de la BAD a permis d’éviter l’émission d’environ 43,2 millions de tonnes de gaz à effet de serre, d’ajouter 1,6 million de mégawattheures (MWh) de capacités d’énergies renouvelables et d’économiser 110 millions m3 d’eau. À plus petite échelle, les obligations vertes émises par la banque nigériane Access Bank ont permis de réduire les émissions de CO2 d’environ 4 032 tonnes par an et de protéger quelque 900 hectares de terres contre les inondations.
Les projets « verts » ont également eu plusieurs avantages en matière d’inclusion sociale, notamment dans les domaines de l’accès à l’électricité, de l’amélioration des revenus grâce à la création d’emplois, de l’accès à des transports à faible coût et de l’accès à l’eau.
Au Maroc, les obligations vertes de l’Office national des chemins de fer (ONCF) ont par exemple permis de financer le lancement d’un train roulant grâce à l’énergie éolienne, qui transporte 4,2 millions de personnes par an à des tarifs abordables et réduit les temps du trajet entre Tanger et Casablanca de cinq heures à un peu plus de deux heures.
Malgré leurs bénéfices environnementaux et sociaux indéniables, les obligations vertes restent un petit segment de niche sur les marchés des capitaux en Afrique, en raison des défis macroéconomiques et d’un processus d’émission gourmand en ressources. Les « Green bonds » sont soumis aux mêmes problèmes d’accès au marché des capitaux que la dette traditionnelle dans la plupart des pays africains. Les conditions macroéconomiques instables, telles que la dépréciation des monnaies et l’inflation élevée, créent de l’incertitude pour les investisseurs potentiels. En outre, le risque de change décourage les investisseurs non africains qui ont besoin d’instruments de couverture d’un coût prohibitif pour protéger leurs investissements. Dans ces conditions, les émetteurs doivent offrir une prime de risque pour attirer les investisseurs, ce qui augmente le coût du capital et rend les obligations vertes moins attrayantes.
Le processus d’émission des obligations vertes est aussi très coûteux pour les émetteurs africains. Les frais d’émission de ce genre d’obligations représentent 5% de la valeur totale de l’opération en Afrique, contre 0,9% en Europe.
Compte tenu des conditions du marché en Afrique, des solutions de la finance mixte (Blended Finance) comprenant des financements concessionnels, un soutien technique et des rehaussements de crédit (garanties) sont nécessaires pour débloquer l’énorme potentiel des obligations vertes sur le continent, où 190 milliards de dollars sont nécessaires chaque année pour mettre en œuvre les contributions déterminées au niveau national (CDN), qui représentent les engagements des pays africains à limiter le réchauffement climatique à 1,5C°, conformément à l’objectif de l’Accord de Paris sur le climat.