Doudou Faye est mort en tentant la traversée en pirogue vers les îles Canaries. Dans les centres de formation de Dakar, des centaines de jeunes Sénégalais, souvent poussés par leur entourage, sont prêts à tout pour jouer en Europe.
Il s’appelait Doudou Faye, il avait 14 ans. L’histoire de ce jeune garçon doué pour le football a basculé lorsqu’un soit-disant agent de joueurs a promis à son père de s’occuper de son fils, de lui trouver une place en or dans un grand club de Serie A en Italie. La famille de Doudou n’est pas fortunée. Et elle rêve du destin d’Idrissa Gueye, le Sénégalais du Paris Saint-Germain. Ou de de Sadio Mané, la star de Liverpool. Argent, gloire et succès. Alors le papa règle la somme de 280 000 francs CFA, 380 euros, pour payer les passeurs.
Doudou, convaincu par son père, embarque dans une pirogue en direction des îles Canaries, territoire espagnol, l’une des portes de l’Europe comme peut l’être l’île italienne de Lampedusa en Méditerranée. Mais au bout de six jours de navigation, Doudou, affamé, déshydraté, meurt d’épuisement et le passeur jette son corps par-dessus bord.
Le jeune Doudou Faye est mort en tentant la traversée en pirogue vers les îles Canaries. Le jeune Doudou Faye est mort en tentant la traversée en pirogue vers les îles Canaries. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)
L’onde de choc « Je suis Doudou »
Le drame revient aux oreilles de ses amis, des médias sénégalais … au point de faire la une et de devenir le sujet d’éditoriaux, comme celui-ci, à la radio, signé du journaliste Mamadou Ibra Kane. « Pauvre, innocent, jeté à la mer et à la mort par un père qui s’est décidément trompé d’orientation. La pauvreté ne peut pas tout justifier. Je suis Doudou. » Et le hashtag #jesuisdoudou lancé par ce journaliste a enflammé les réseaux sociaux du Sénégal. Ce qui a provoqué des manifestations, la demande d’un jour de deuil national, l’interpellation du chef de l’Etat, le président Macky Sall.
Le père de Doudou a été arrêté, mis en examen pour homicide involontaire et complicité de trafic de migrants. Il y a une semaine, il été condamné par le tribunal de grande instance de Mbour à deux ans de prison dont un mois ferme.
Des écoles de foot et des « agents » prêts à tout
Tous les parents ne mettent pas leur fils sur une pirogue. La plupart d’entre eux sont ambitieux mais aussi très inquiets. De prétendus agents, des rabatteurs, attendent tous les jours devant les portes de ces écoles de foot. Papa Roger est le père d’un garçon de 17 ans en sport-étude. « Au bout de trois jours, je lui ai tiré les vers du nez, raconte Papa Roger. Et il me fait comprendre qu’il y a des agents qui sont prêts à amener des jeunes Sénégalais, de jeunes footballeurs en Ukraine. J’ai dit : ‘mais pourquoi en Ukraine ?’ Il me dit que là-bas, c’est plus facile d’avoir le visa. Est-ce vraiment le bon choix ? Il ne faut pas aller comme ça à l’aventure. »
Ils ne voient pas de salut ici, en Afrique. A chaque coin de rue, des petits centres sont créés, des jeunes tapent dans le ballon, ils ne cherchent qu’à partir.
Papa Roger, père d’un footballeur de 17 ans
Papa Roger fait partie de ces parents qui ont peur de voir leur enfant tenter la traversée. « Ils sont des milliers à vouloir partir. Il y a beaucoup de jeunes qui se retrouvent en Europe et les parents apprennent qu’ils ont pris la pirogue… C’est ça le danger. Ils ne maîtrisent pas leurs enfants. » Un danger encore accentué par la crise liée au Covid-19.
La pression des familles
Dans les centres de formation, on rêve d’exil, mais les pirogues font peur. Quand on demande à ces jeunes footballeurs, ils éludent. Mais ils ont beaucoup de talent et leur entourage leur répète à longueur de journée qu’ils doivent réussir pour sortir de la misère. La famille, et parfois un village tout entier.
Au centre de formation Diambars (« guerrier » en wolof), Siley, 14 ans, le même âge que Doudou, rêve de devenir footballeur professionnel. « N’importe quelle équipe… Mon objectif, c’est de signer un contrat professionnel. Surtout pour l’argent. Ousmane Dembélé, Mbappé, tout ça, j’aimerais bien devenir comme eux. » Difficile de faire la part entre le rêve de gosse et l’impératif économique.
Oui, j’ai la pression. Toute la famille est derrière moi. C’est difficile parfois, c’est une grosse pression quand même…
Siley, apprenti footballeur de 14 ans
Théoriquement, les centres de formation ne peuvent pas laisser partir des mineurs entre les mains de n’importe qui. La Fifa a fixé des règles. Mais les centres de formation ont bien du mal à les faire respecter. Mathieu Chupin, président du centre Dakar Sacré-Cœur, l’un des plus performants du Sénégal, le reconnaît : « On voit notamment des joueurs qui ont fait six ou sept ans de formation, qui partent totalement à l’aventure du jour au lendemain sans nous prévenir. Et à partir de là, ils se disent : je vais tenter ma chance par telle voie, etc. Il y a souvent une telle pression, effectivement, de la famille pour réussir. On l’a vu dans le cadre de cet enfant, Doudou. C’est dramatique. »
La crise mondiale du Covid a entraîné la crise du tourisme au Sénégal, la principale ressource du pays. Et les départs pour l’Europe ont explosé. Selon les autorités espagnoles, près de 17 000 Africains sont arrivées aux Canaries depuis le début de l’année. Six fois plus qu’en 2019.